Étiquette : Première partie


  • Serge Basso de March | [La corde à linge est seule]



    LA CORDE A LINGE
    Collage photographique, G.AdC







    [LA CORDE À LINGE EST SEULE]





    La corde à linge est seule et découpe la pluie
    au fil des aventures où les pinces se noient
    Squelettique et déchue sur le fil de ses larmes
    elle n’a plus de raisons au jeu du vent qui passe
    Elle trace au ciel qui pleut une ligne où se meurt
    l’appel des jours passés Elle se souvient d’hier
    quand le linge orgueilleux arborait ses couleurs
    quand le fil se tendait à ME coloriser
    et laissait voir au monde nos humanités
    Au pied de ses poteaux arthritiques et rouillés
    dans le silence épais qui sonne à contre-jour
    le soir gris la tutoie et connaît sa puissance


    Je te laisse le chat qui dort sur le fauteuil
    la couleur de la soupe et l’odeur du café
    Je te laisse un bouton un beau crayon sans mine
    le bout du bout du banc un truc et deux machins
    et la virgule en trop et la cédille en moins
    Je te laisse trois notes au-delà des portées
    et ce livre perdu jusqu’au bout de ses pages
    Je te laisse un vieux seau, trois tomates et un dé
    une ardoise et un sac et qui SAIT quoi encore
    Je te laisse des mots patati patata
    Garde ces trois fois rien qui font déjà beaucoup
    j’ai déjà trop de choses à ranger dans ma vie

    Je parle avec la mort sur le bout de la langue
    avec ce trou creusé sous le hasard des pelles
    Je parle pour savoir si l’envers de l’endroit
    est là-bas ou ici caché sous un mouchoir
    Je parle à contretemps sur l’absolu des mots
    qui resteront gravés sur la pierre établie
    et je radote un peu sur le peu qui me reste
    Je parle sans savoir ce que je ne sais pas
    ce qui me pousse encore depuis les premiers sangs
    à parler jusqu’au bout du silence ET des peurs
    Je parle pour souscrire aux déraisons des os
    qui viendront m’inventer jusqu’à demain déjà




    Serge Basso de March, «Première partie, Chœurs | J’ai la mort à nos pas Qui me sait Et puis quoi ? (Douze Poèmes au carré) », Triptyque d’un horizon aperçu, Oratorio, Avec la mort, un vieux chat et quelques personnages mythologiques égarés, éditions LansKine, 2020, pp. 22-24.






    Serge Basso de MarchTriptyque




    SERGE BASSO DE MARCH


    Serge Basso de March  portrait
    Photo : Adrienne Arth
    Ph. © Adrienne Arth
    Source





    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions LansKine)
    la fiche de l’éditeur sur Triptyque d’un horizon aperçu
    → (sur le Dictionnaire des auteurs luxembourgeois)
    une notice bio-bibliographique sur Serge Basso de March





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  • Layli Long Soldier | wahpániča



    Whereas X NB








    WAHPANICA
    (extrait)





    Je commence une ligne au sujet de buttes blanches d’où penchent des visages ciselés aux paupières de pierre cliquetant la nuit, mais j’abandonne. À la place je pousse mon amour dans ce monde et t’envoie une lettre estivale. De la boîte aux lettres à la porte, tu lis les virgules à voix haute. Je suis devenue une épouse d’eau embouteillée virgule eye-liner noir au cil virgule et manches aux poignets. Ces semaines seule seule seule virgule je tire mon corps vers une table aux chaises vides et parfois je ne peux contrôler l’impulsion de commander. Seule seule j’ordonne assieds-toi virgule mange virgule et j’écris en détail pour faire taire un écho virgule la rupture d’une ligne de faille.

    *

    Je voulais écrire au sujet de wahpániča un mot traduit en anglais par pauvre virgule ce qui signifie plus précisément être dans la misère n’avoir rien à soi. Mais cette nuit je ne peux me résoudre à balancer un marteau usé sur la pauvreté afin de frapper les conditions de cette lente frustration. Alors je demande quoi d’autre est là à entendre ? Une virgule m’apprend à diviser une phrase. À m’arrêter. La virgule exige une séquence d’éléments la virgule est césure elle-même. La virgule m’interrompt, silencieuse.

    *

    Jour de la fête des pères virgule je ne suis pas avec toi. Mes yeux fixent une photo noir et blanc de toi virgule mon mari vêtu d’une chemise violette virgule tes cheveux attachés en arrière et tes yeux sur le visage de notre fille endormie. Quand j’écris virgule je m’approche des gens que je veux connaître virgule du langage que je veux parler.

    […]

    Parce que wahpániča signifie n’avoir rien à soi. Rien. Pourtant j’ai l’intention que la virgule signifie ce que nous avons donc je me ralentis pour me souvenir que c’est vrai un enfant réussit mieux quand lié étroitement à un parent avant l’âge de cinq ans virgule intimement. Près de toi virgule notre fille ferme les yeux et vous reposez vos têtes lacs bleu-noir virgule un verre historique renversé sur l’oreiller. Elle le gardera. Et s’il est vrai que ce qui débute comme souci doublera dans le temps soulèvera sa tête comme un point à notre phrase alors j’admets que je réussis mieux avec la musique entre les variations de la voix qui s’élève et monte et descend. Néanmoins je fouille dans mes poches commode tiroirs bibliothèque virgule cueillette méticuleuse virgule parce que je dois l’écrire pour le voir virgule je supplie le dictionnaire d’apprendre un mot pour pauvre virgule dans un langage que j’ose appeler mon langage virgule qui suis-je. Frisson envahissant ma bouche barbouillée simplement de l’huile à la surface virgule parce que je me sens wahpániča je me sens seule. Mais c’est une traduction débordante pour comment je ne réussis pas à dire ce que j’ai à l’esprit virgule la douleur méta-locutoire d’être pauvre en langue.




    Layli Long Soldier, « Première partie, Voici les préoccupations », Attendu que, éditions Isabelle Sauvage, Collection « Chaos », 29410 Plounéour-Ménez, 2020, pp. 53-54. Traduit de l’anglais (américain) par Béatrice Machet.





    Attendu que couv






    I begin a line about white buttes that bend chiseled faces and click stone eyelids at night, but abandon it. Instead, I push my love into this world and mail you a summer letter. From mail-box to door, you read the commas aloud. I’ve become a wife of bottled water comma black liner at the lash comma and sleeves to the wrist. These weeks alone alone alone comma I pull my body to a table of empty chairs and sometimes I cannot stop the impulse to command. Alone alone I instruct sit down comma eat up comma and I write in detail to hush an echo comma the rupture of a fault line.

    *

    I wanted to write about wahpániča a word translated into English as poor comma which means more precisely to be destitute to have nothing of one’s owns. But tonight I cannot bring myself to swing a worn hammer at poverty to pound the conditions of that slow frustration. So I ask what else is there to hear? A comma instructs me to divide a sentence. To pause. The comma orders a sequence of elements the comma is caesura itself. The comma interrupts me with, quiet.

    *

    Father’s day comma I am not with you. I stare at a black-and-white photo of you comma my husband in a velvet shirt comma your hair tied back and your eyes on the face on our sleeping daughter. When I write comma I come closer to people I want to know comma to the language I want to speak.

    […]

    Because wahpániča means to have nothing of one’s own. Nothing. Yet I intend the comma to mean what we do possess so I slow myself to remember it’s true a child performs best when bonded with a parent before the age of five closely comma intimately. Next to you comma our daughter closes her eyes and you rest your heads blue-black lakes comma historic glass across the pillow. She’ll keep this. And if it’s true that what begins as trouble will double over to the end will raise its head as a period to our sentence then I admit I perform best to the music inbetween the rise and fall of the voice. Nevertheless I dig through my pockets dresser drawers bookshelves comma meticulous picking comma because I must write it to see it comma how I beg from a dictionary to learn our word for poor comma in a language I dare to call my language comma who am I. A sweeping chill my stained mouth just oil at the surface comma because I feel wahpániča I feel alone. But this is a spill-over translation for how I cannot speak my mind comma the meta-phrasal ache of being language poor.




    Layli Long Soldier, Wahpániča, Whereas, Graywolf Press, Minneapolis, Minnesota 55401, 2017, pp. 43-44.





    Whereas finalist[…]



    LAYLI LONG SOLDIER


    Layli-Long-Soldier
    Source




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    une fiche bio-bibliographique sur Layli Long Soldier
    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la fiche de l’éditeur sur Attendu que
    → (sur Harvard Review Online)
    Whereas by Layli Long Soldier reviewed by Michael Wasson
    → (sur YouTube)
    Poet Layli Long Soldier reads from Whereas (poem 38)
    → (sur YouTube)
    Layli Long Soldier | Whereas || Radcliffe Institute (The poet and artist Layli Long Soldier presents Whereas, a poetry reading [6:26] and discussion featuring Nick Estes [45:24])





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