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  • Denis Heudré, sèmes semés

    par Marie-Hélène Prouteau

    Denis Heudré, sèmes semés,
    Éditions Sauvages, Collection Ecriterres, 2016.
    Présentation de Bernard Berrou.



    Lecture de Marie-Hélène Prouteau


    Voici un recueil dont le beau titre, sèmes semés, est, dès l’abord, promesse de lecture heureuse. L’auteur est le poète Denis Heudré, déjà publié aux éditions La Porte et La Sirène étoilée, présent dans plusieurs revues : Décharge, Spered Gouez, Terre à ciel. Un recueil édité par les Éditions Sauvages, dans la collection Ecriterres, créée en hommage au poète critique et peintre Paul Quéré en 2015-2016. Le prix Paul-Quéré a été attribué à Denis Heudré la même année.

    Je lis ce recueil, ma main tourne les pages. J’ai l’impression de contempler les images d’un kaléidoscope, de retrouver la joie magique de ce jouet d’enfance qui produit d’infinies variations qui se divisent et se multiplient. Quatre chants pour quatre saisons célébrant la pulsation sensible de la vie :

    printemps / rouge-gorgé

    lèvres indécises / d’un été

    l’automne de ses mains / enflammées

    un hiver à découdre / les ombres

    Où défile la fluidité d’instants propres à chaque saison, quand passe la rumeur du vivant dans les branches des arbres, dans les mouvements du vent, dans les gestes de jeunes filles à la ville, dans les pas d’hommes de la terre, jardinier ou paysan.

    Le recueil est construit de façon très maîtrisée, dans le déroulé des quarante poèmes qui se déploient selon la force des saisons. Chaque poème est un bloc homogène sur fond de page blanche, constitué de 6 à 7 vers de même longueur, tous arrêtés par une barre oblique (slash en anglais) :

    « corbeaux bafouant les semailles / l’encre des oiseaux dessine au ciel un vol de mélancolie / d’un tel printemps recueillir le sentiment des pierres des fleurs de la main du jardinier / terre unique et mère aimante / de toutes ses fleurs la nature n’a pas de préférence »

    La marque singulière de ce recueil, c’est cette barre oblique, étonnante trouvaille qui fait sens dans le dispositif. Bout de sillon labouré, bout de ligne ou de vers, on ne sait. Et, selon qu’on s’y arrête plus ou moins longtemps, on est dans la scansion d’un vers ou dans le continu d’une prose. Il y a ainsi, dans cet entre-deux de l’écriture, le sentiment du flux même de la vie qui file son énergie dans ses ébauches tremblées. Indissociable du grain de la voix du poète en état de veille devant ces signes multiples, éclosions merveilleuses, sensations, vibrations du plus simple :

    « l’été a choisi un fil de couleur (on habille bien les paupières avec de la couleur) / et de senteurs / les cerises nées de la fleur / les pommes nées de la fleur / en les goûtant je regrette leurs pétales au vent »

    À vrai dire, ce recueil, par son agencement matériel et verbal, par le timbre de cette voix, offre un plein bonheur sensuel. Qui tient ensemble la terre et les étoiles, le rivage de la mer et les pieds nus sur le sable, les graines qu’on sème comme les mots. Le chant tâtonne, se reboucle, déploie ses figures captées dans la mouvance. J’aime l’inventivité verbale manifeste dans l’audace des néologismes : « le vieux talus jonquillant le printemps », « le soleil se fait décembre » ou « la mer s’équinoxe en son atelier des colères pour quelques bretons semeurs de mers ».

    Nous sommes en Bretagne, quelque part, on n’en saura pas plus, dans une campagne et une ville non nommées. Denis Heudré, qui a réalisé les trois illustrations du recueil, est attentif aux couleurs dans le choix de ses images « l’encre des oiseaux » ou « il a tellement bruiné que les goélands n’ont plus assez de larmes pour apprécier ce bleu ». Ou quand les éclats de soleil lui font penser aux joyeux coloriages de l’enfant débordant de leur ligne.

    La présence humaine est suggérée, avec une grande économie de moyens, souvent dans la métonymie qui fait rêver : « un violon s’échappera parmi les siestes comme un trait tiré sur l’horizon » ou « le vent dégueule ses morts dans les recoins ».

    Le poète, lui, se tient plutôt en retrait, « je » discret, dans un rapport intime aux paysages traversés :

    « quelques humains fatigués se cachent de leur propre froidure / j’en viens à semer quelques gouttes de ciel pour en faire des nuages »

    Au cœur du regard de Denis Heudré, le titre en atteste, l’essentiel tient au jeu du symbolique entre les sèmes et les graines. Par leur étymologie, par leur petitesse, les unités linguistiques minimales font signe du côté des semences. La nature et l’écriture échangent leurs signes respectifs : « à semer on écrit aussi ». Il y là un tressage omniprésent dans le recueil ; la nature est un ensemble de signes qu’il s’agit pour le poète de déchiffrer comme une poussée de sève. De l’autre, les mots du poème, éclos dans le silence d’une autre germination, sont matériau langagier que le poète peut ensemencer de sa vive parole :

    « que peut-il bien semer au-dessus des vagues fatiguées »

    La quête de la langue épouse, pour le poète, celle des signes de cette poussée au dehors, flottante, créatrice. Et, à certains moments, le vers s’ouvre à une méditation intemporelle du visible, une sorte d’animisme poétique où la terre devient « le dieu de nos dieux ». Voire s’élargit à une inquiétude sur le présent et l’avenir qui rappelle celle d’Élégie de Lampedusa :

    « que nos enfants puissent demeurer ainsi dans notre chance »

    La dernière page, en prose poétique, s’amplifie en une sorte de final dédié à la terre, « compagne prévenante » :

    « Tant que les hommes auront des mots à échanger, la terre pourra poursuivre sa chanson dans le silence d’un cosmos bienveillant ».

    Contre la déroute possible de l’humain, l’acquiescement au monde suppose de sauver d’un même mouvement les graines et les mots, nous dit le poète Denis Heudré.

    Ce beau recueil a la grâce d’un Chant de la terre.



    Marie-Hélène Prouteau
    D.R. Marie-Hélène Prouteau
    pour Terres de femmes







    Denis Heudré  sèmes semés







    ■ Autres chroniques et lectures (25) de Marie-Hélène Prouteau
    sur Terres de femmes

    Chambre d’enfant gris tristesse
    La croisière immobile
    Anne Bihan, Ton ventre est l’océan
    Jean-Claude Caër, Alaska
    Jean-Louis Coatrieux, Alejo Carpentier, De la Bretagne à Cuba
    Marie-Josée Christien, Affolement du sang
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    Guénane, Atacama
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    Jacques Josse, Liscorno
    Martine-Gabrielle Konorski, Instant de Terres
    Ève de Laudec & Bruno Toffano, Ainsi font…
    Jean-François Mathé, Prendre et perdre
    Philippe Mathy, l’ombre portée de la mélancolie
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    Daniel Morvan, Lucia Antonia, funambule
    Daniel Morvan, L’Orgue du Sonnenberg
    Yves Namur, Les Lèvres et la Soif
    Jacqueline Saint-Jean ou l’aventure d’être au monde en poésie
    Dominique Sampiero, Chante-perce
    Dominique Sampiero, Où vont les robes la nuit
    Ronny Someck, Le Piano ardent
    Pierre Tanguy, Ma fille au ventre rond
    Pierre Tanguy, Michel Remaud, Ici même





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  • Andrea Zanzotto, Vocatif, suivi de Surimpressions

    par Angèle Paoli

    Andrea Zanzotto, Vocatif suivi de Surimpressions,
    Éditions Maurice Nadeau – Les Lettres Nouvelles, 2016.
    Traduction de l’italien et présentation par Philippe Di Meo.



    Lecture d’Angèle Paoli



    Andrea Zanzotto, Portrait
    Matteo Bertomoro, Portrait d’Andrea Zanzotto
    Source








    « LE MÉTRONOME » D’ANDREA ZANZOTTO




    Le tout nouveau recueil que les éditions Maurice Nadeau consacrent ce mois-ci à Andrea Zanzotto (Vocatif, suivi de Surimpressions) s’attache à reprendre deux volumes importants de la création poétique du poète vénète. De Vocatif (recueil publié en 1957, mais resté inédit en français) à Surimpressions (avant-dernier recueil poétique d’Andrea Zanzotto), c’est un grand saut (de A à Z) dans la traversée poétique d’une vie que nous sommes invités à accomplir. En effet, si les trois sections de l’ensemble des poèmes de Vocatif — « Comme une bucolique » / « Première personne » / « Appendice » — renvoient à des poèmes écrits entre 1949 et 1956, voire en 1957, les sections de Surimpressions — « Vers les paluds » / « Chansonnettes hirsutes » / « Les aventures métaphoriques du fief » — renvoient, elles, aux quasi ultimes créations du poète et à l’année 2001. Pourtant un zeugma aux enjambements multiples relie ces deux pôles extrêmes et les liens sont multiples qui traversent et unissent entre eux les différents recueils du poète. Depuis Vocatif (Vocativo, 1957) à Surimpressions (Sovrimpressioni, 2001) en passant par La Beauté (La Beltà, 1968), La Veillée (Filò, 1976), Idiome (Idioma, 1986), Météo (Meteo, 1996)… un même esprit habite ce qu’Andrea Zanzotto hésitait à considérer comme une « œuvre » et qui n’en demeure pas moins une œuvre unique et essentielle dans le panorama de la poésie italienne du XXe siècle. Une poésie définie par Stefano Colangelo, professeur de philologie à l’université de Bologne, comme une « poésie de l’irréparable ».

    La figure fondatrice et fondamentale du paysage est le point d’ancrage existentiel de la poésie de Zanzotto. L’œuvre de Zanzotto s’inscrit tout entière dans ce qui constitue son univers à la fois réel et intérieur, naturel et mental : le paysage de Vénétie, avec ses paluds menacés de disparition, ses miroirs d’eau à la dérive, ses grands espaces médiévaux absorbés par l’asphyxie. Tout « l’arrière-pays » mental du poète — cette « écologie de l’esprit » qui le caractérise — prend racine dans cette « dévastation » que Zanzotto ne cesse de dénoncer de recueil en recueil. Cet « arrière-pays » d’horizons gangrenés vient se superposer aux collines aimées de Pieve di Soligo, dessinant un domino d’images bousculées par une syntaxe particulière qui fond dans une même cornue d’alchimiste toutes les formes du langage. Incluant dans un même recueil néologismes, termes enfantins et comptines, langages dialectaux (le « petèl ») et scientifiques, inventions et « forgeries » multiples qui privilégient les procédés par agglutination, affinités phoniques et onomatopées, Zanzotto, mêlant l’ancien et le nouveau, associe à la modernité (destructrice) les poètes inventeurs de la grande tradition italienne. De Virgile à Leopardi, en passant par Dante, Pétrarque et Foscolo. Et dans un autre espace littéraire, le maître : Hölderlin. Hölderlin que Zanzotto invoque ainsi dans ce vers de La Beauté :

    « Hölderlin, aide-moi à écrire une ligne tremblante »

    « La Beltà ». L’exigence de Beauté ne parviendra pas à sauver du naufrage un monde à la dérive. Reste la poésie soumise souvent à une ironie tragique, aiguisée par un regard autocritique douloureux mais sans concession.

    Quant au recueil Surimpressions, recueil défini par le poète comme un ensemble de « travaux à la dérive », Andrea Zanzotto précise que celui-ci « doit être lu en relation avec le retour de souvenirs et traces scripturales et, dans le même temps, de sentiments d’étouffement, de menace et peut-être d’envahissements dignes du tatouage. »

    Souvenirs ? Le poème intitulé « Diplopies, Surimpressions » (1945-1995) évoque bien ce « phénomène de perception simultanée de deux images » d’un même objet. Ici deux espaces spatio-temporels se superposent. Les martyrs du 30 avril 1945 sont associés à un paysage et à l’intérieur du paysage, par effet d’observation et de miniaturisation, aux « très légères cloches-aigrettes » qui s’égrènent sous le vent.

    « Duvets de lumière blanche à peine

    répandus dans les lointains des prés,

    Martyrs, humbles éléments

    frères sacrés dans les invasions des vents

    c’est le 30 avril aujourd’hui, votre jour

    d’années désormais si hautes et lointaines

    qu’elles ne sont plus perçues

    par l’effort des yeux

    semiensevelis

    […]

    Martyrs, partout je vous lis dans le tremblotement

    des cloches et des aigrettes perpétuellement

    attachées à disparaître naître redire

    redire de prairie en prairie

    au ras de l’oubli… »

    Pareille évocation existe déjà dans Météo. Ainsi le poème intitulé « Duvets » semble-t-il annoncer celui [supra] de Surimpressions :

    « Pré de cloches, d’aigrettes, là-bas égaré

    Toujours plus profonde avancée

    des conceptions de l’infini

    Duvets de lamentations subtiles      lointaines,

    vibratiles traquenards où la lumière tomba

    souffles, touchers      sur d’immenses surfaces arrêtés »

    Avec, dans le recueil Surimpressions, une mise en relief d’une dimension historique en lieu et place d’une dimension essentiellement climatique.

    Ainsi se répondent en écho des thèmes et des lieux. Des figures déjà citées dans d’autres recueils affleurent à nouveau puis réémergent de manière inattendue, tissant entre les œuvres de différentes époques un tissu réticulaire aux mailles serrées, fait de reprises, de transitions, d’hybridations. Ainsi les « Relectures de Topinambours » (in Surimpressions) renvoient-elles aux « Topinambours » de Météo. Et les « Lieux Ultimes du “Galaté au Bois” » (in Surimpressions) renvoient-ils au Galateo in Bosco, recueil de vers composé entre 1975 et 1978. Et toujours, au premier plan du tableau, la composante essentielle du paysage. Un personnage à lui tout seul, qui agit et pense en lieu et place du sujet, disparu par effacement. Pour dialoguer avec « ces lieux froids, vierges qui/éloignent/la main de l’homme », Zanzotto met en scène « un homme triste », un vieil homme anéanti, absent à lui-même comme le sont aussi ces

    « dominos de mystères

    tombant l’un après l’autre en eux-mêmes

    attirés dans le touffu du finir

    sans fin, sans fin des aventures. »

    Paysage et personnage, seuls protagonistes des poèmes de Surimpressions, sont emportés dans le même mouvement. Et s’ils peuvent se rencontrer, c’est dans leur absence partagée. Car aucun autre humain vivant ne se montre sur les devants de la scène et nul autre que « l’homme triste » ne prend la parole. Ainsi dans « Ligonàs », celui-ci s’adresse-t-il directement au paysage. Pourtant, si le mot réapparaît dans le second poème, il apparaît entre crochets et biffé : [paysage]. Avalé par les constructions sauvages, détruit par les cultures intensives qui ont anéanti les cultures traditionnelles, le paysage n’existe plus. Seul persiste encore, dans un repli de la mémoire, ce qui jadis fut :

    « Cette intime splendeur

    d’“il était une fois” et qui

    depuis des années escarpées reste séparée de moi… »

    À nouveau dans Surimpressions, mais dans la section intitulée « Les aventures métaphorique du fief », le poète dénonce les effets de la « démence » sur le paysage. Une démence généralisée, totale, individuelle et collective à la fois, résultat de la folie humaine. Une sorte de maladie d’Alzheimer a frappé le monde. En témoigne le poème intitulé « Méduse/par un froid juillet  » :

    « Très chère d’un même âge,

    déjà brillante belté,

    il y a peu encore

    tu étais une vieille limpide.

    puis l’alzaillemer est venu

    pour te transformer en émail… »

    Ainsi, le cosmos, l’univers tout entier, la nature sont-ils désormais soumis à d’autres logiques, à d’autres raisons, à d’autres lois que celles qui régissaient jadis avec harmonie, non seulement le monde mais également le « Fief ». Jadis l’univers était « Un ». Les dieux qui peuplaient la nature de leurs histoires, en assuraient l’équilibre. La religion de la nature offrait à l’homme « une paisible liturgie », sensible dans les vers de Zanzotto. Aujourd’hui, les voix se sont tues. Restent le vide et son contraire, la surabondance — cette « prolifération métastasique  » — ainsi qu’un silence voué à la cacophonie.

    Et le vieil homme triste d’invoquer la voix pour la supplier de se faire discrète :

    « N’exhale plus du silence par saccades

    par soubresauts, enflammé

    enflammé mal volontiers dans le sublime

    parfois nauséosemblable en coulées de rimes

    disparaissant, voix, n’exhale plus n’intime plus

    ne te déplace plus dans une existence interdite

    ne m’interdis pas d’être — »

    Pourtant, dans le poème « Ligonàs II », le « vieil homme » confie au paysage toute la reconnaissance qu’il éprouve envers lui, malgré les dissonances et les fractures :

    « tu continues à me donner une famille

    grâce à tes familles de couleurs

    et d’ombres quiètes mais

    néanmoins mues-par-la-quiétude,

    tu donnes, distribues avec douceur

    et avec une distraction ardente le bien

    de l’identité, du “moi”, qui pérenne-

    ment revient ensuite, tissant

    d’infinies autoconciliations : depuis toi, pour toi, en toi. »

    Qui dit invocation dit aussi évocation, provocation et vocatif. Tout cela est inclus dans un même vocable. Vocatif. Tel est le titre qu’Andrea Zanzotto a choisi pour rassembler dans un même recueil les poèmes lyriques écrits entre 1951 et 1957. Ce titre est repris en écho dans le poème intitulé « Cas Vocatif » (in « Comme une Bucolique », première section du recueil). Le poète y interpelle ses pensées, avec une interjection noble immédiatement contrebalancée par une série de notations négatives, lourdes de sens :

    « Ô mes amusements cruellement interrompus,

    pensées où je me crois et vois,

    goulu vocatif,

    halètement décérébré. »

    Goulu, le vocatif ? Oui. Il l’est en effet. Ce cas (en latin) se nourrit de toutes sortes d’images qui façonnent l’esprit du poète. Le fleuve et l’eau, les paysages bucoliques de Pieve di Soligo, la colline du Montello, les bois, les arbres, le monde, l’été, les foins de juillet… Les camarades défunts, la mère-enfant, absente présente dans une ode élégiaque où le poète l’évoque avec tendresse, lui parle, l’interroge, s’interroge. Une très belle ode :

    « toujours il revient

    ton fils, ô mère, par des routes

    courbes, par d’infinis enveloppements… »

    ou encore :

    « la route s’engazonne et les larmes

    se pressent dans mon regard. Ô maman. »

    Et toujours revient dans les évocations/invocations, « le vert squameux du monde » — dans ses multiples variations — lequel accompagne le poète qui s’abîme dans son désarroi :

    « je m’enterre en vertes physiques lenteurs. »

    À des étudiants de Parme qui demandaient un jour (en 1980) à Andrea Zanzotto pourquoi la poésie contemporaine est souvent difficile à comprendre, le poète vénitien répondit par une métaphore :

    « Il existe une compréhension qui se fait de manière immédiate, celle que l’on peut avoir à la lecture d’un journal et, pour un article de journal, c’est indispensable. Il n’en est pas ainsi pour la poésie, parce qu’elle se transmet par des impulsions souterraines, phoniques, rythmiques… Pensez au fil de l’ampoule électrique qui nous envoie la lumière, le message lumineux, grâce justement à la résistance du support. Si je dois transmettre du courant à longue distance, j’utilise des fils électriques très épais, et le courant passe et arrive à destination sans déperdition. En revanche, si j’utilise des fils électriques d’un tout petit diamètre, le courant a du mal à passer, il force et génère un phénomène nouveau, la lumière ou la couleur. C’est ce qui se produit dans la communication poétique, dans laquelle c’est la langue qui constitue le support. Le fait de densifier de manière excessive les signifiés, les motifs, de surcharger les informations, tout cela peut provoquer un « court-circuit », une obscurité, non par défaut mais par excès. » (Traduction inédite AP)

    Pour le poète Eugenio Montale, la « poésie très cultivée » de Zanzotto est celle d’un « poète percussif mais non bruyant : son métronome est peut-être le battement du cœur. » À l’instar du poète russe Vélimir Khlebnikov (que Montale regrette de ne pouvoir lire dans sa langue), Andrea Zanzotto « creuse dans le langage comme une taupe. » Tout pareillement à Philippe Di Meo, traducteur en langue française quasi exclusif du poète Zanzotto, qui offre ici, dans ce nouveau volume des œuvres du grand poète vénitien, une traduction fouillée. Exemplaire. Admirable en tous points.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli







    Zanzotto Nadeau







    ANDREA ZANZOTTO


    Zanzotto
    Source



    ■ Andrea Zanzotto
    sur Terres de femmes

    Verso i Palù (poème extrait de Surimpressions)
    10 octobre 1921 | Naissance d’Andrea Zanzotto (notice bio-bibliographique + un poème extrait de Fosfeni)
    18 octobre 2011 | Mort d’Andrea Zanzotto (+ un poème extrait de La Beltà)
    (Anticicloni, Inverni)(poème extrait de Fosfeni)
    Cantilene londinese d’Andrea Zanzotto
    Comment puis-je oser vous appeler ici (poème extrait d’Idioma)
    Così siamo (extrait de IX Egloghe)(Hommage à Andrea Zanzotto [III])
    Filò, la Veillée (lecture d’AP)
    Ticchietto (extrait de Meteo)
    Vocativo (extrait)(Hommage à Andrea Zanzotto [I])
    A.Z. [Andrea Zanzotto], par Jacqueline Risset (Hommage à Andrea Zanzotto [II])



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur En attendant Nadeau)
    une lecture de Vocatif suivi de Surimpressions par Giorgia Bongiorno





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