Étiquette : Prix


  • Marilyse Leroux, Le Sein de la terre

    par Angèle Paoli

    Marilyse Leroux, Le Sein de la terre,
    éditions La Lucarne des Écrivains, 2018.
    Prix Maram al-Masri 2018.



    Lecture d’Angèle Paoli




    LE CONTRE-CHANT DES AMANTS




    C’est au cœur de la terre, en son sein le plus secret, que s’abrite, intact, le voyage. Le voyage auquel nous sommes conviés dans ces pages est celui de l’amour. Marilyse Leroux en est l’égérie, et la coryphée qui conduit le dialogue poétique avec l’être aimé.

    Le Sein de la terre est un très bel ouvrage, superbement accompagné des peintures et aquarelles de Véronique Durruty. L’artiste compose un voyage onirique qui va l’amble avec les poèmes. Pluriel, coloré, léger, aérien. Dansant. L’échange entre les amants se joue sur le fil ténu d’horizons, floraux et végétaux, bercé par le mouvement des vagues et par celui des lèvres et des corps. Chaque page est une découverte. Un arrêt sur image. Un suspens. Poème et dessin alternent ; caractères romains et italiques également. Masculin/féminin. Sous les italiques se tissent les mots de la poète.

    La voix est assurée, mais elle est douce. Avec elle renaît l’espoir. D’un ailleurs, d’un autrement. L’autre voix est celle de l’amant que rend inconsolable la perte de la femme aimée. D’un poème à l’autre, la plainte sourd. Elle déroule au fil des pages son long ruban de désarroi. Ainsi dans la complainte ci-après où semblent devenus insaisissables mots et gestes de l’amant et tant perdu :

    « Je ne sais plus rien

    ton rire n’atteint plus

    le lit de la mer

    je ne l’entends plus rouler

    sur les pentes

    la peau de l’eau a changé

    ma langue ne la reconnaît plus. »

    Et l’amante de répondre par des mots qui ouvrent sur d’autres possibles :

    « Il faut partir

    sans te détourner du feu

    qui consuma nos corps

    Ce qui a été vécu

    tourne encore

    dans les chambres

    Autre magie autre rituel

    le silence reprend les gestes

    dans un autre phrasé. »

    Car l’amour est multiple, lui aussi — comme le voyage —, qui va de la passion jusqu’à la dissolution. Il laisse les amants désemparés, chacun cherchant l’autre à son aune. Un « filament » léger continue pourtant de courir de l’un à l’autre, d’unir les amants, par-delà les souffrances de la séparation.

    « Une force nous relie

    à tout le bleu en dessus ».

    À chaque souvenir évoqué dans la mélancolie d’un bien perdu, l’amante répond par des images énigmatiques. À chaque plainte, elle dispense un conseil. Le ton est souvent celui de l’injonction, tendre et confiante :

    « Laisse mûrir ta voix

    à l’ombre des portes

    tu connaîtras le voyage

    où les signes s’épousent »

    ou encore, plus loin :

    « Ouvre les yeux

    la lumière est ton collier ».

    Marilyse Leroux a placé son recueil sous l’égide du poète latin Ovide : « Omnia mutantur, nihil interit » | « Tout change, rien ne meurt. » Avec ces vers « lampedusiens » tirés des Métamorphoses s’entreprend la longue marche vers un inconnu dont seule la poète, comme jadis les pythonisses au temps des oracles, semble posséder les clés d’un renouveau :

    « Va ne crains rien

    la beauté rattrapera

    le long de la route

    à la lisière d’un bois

    d’une prairie ou d’un lac ».

    L’amant égaré s’obstine. Il se perd dans l’envers du miroir. Toute tentative de changement se mue en son contraire. De son côté, la sibylle poursuit la voie qui est sienne. Elle dans la clarté de la lumière ; lui dans la nuit qui l’obsède. Lui dans une errance sans boussole ; elle dans une sagesse inaccessible ; lui dans les mots du reproche ; elle dans la parole prophétique :

    « Tu avais un cœur de prophétie

    sur des lèvres d’amante

    pourquoi as-tu brisé mon chant

    me voici ombre avec mon ombre

    mon chemin reste long de toi. »

    L’aruspice répond en écho :

    « Je vois ton visage

    en découpe sur la grève

    le moment est venu

    de te retourner

    Rien n’est perdu

    si tes mots s’accrochent

    à d’autres pointes

    laisse le nuage

    confondre l’énigme. »

    Le dialogue amoureux se poursuit en un contrepoint continu de voix qui se cherchent et s’effleurent sans vraiment se rejoindre. Comme si les amants se situaient sur des courbes opposées d’une même ligne mélodique. Usaient de langages irréconciliables. Dans des univers de pensées si irréductibles que nulle image ne peut les ressouder.

    L’amante semble détenir un savoir antique, bâti sur une expérience unique, acquise de longue date. Lui, au contraire, poursuit son rêve bâti sur l’écume. L’impalpable éphémère dont il est impossible de se délivrer. Là où l’amant progresse en ressassant le passé, l’amante répond en regardant le futur.

    « Tu me disais

    jamais sans toi

    et je le croyais ».

    À quoi l’amante répond :

    « Avance amour

    lorsque tu me retrouveras

    ce ne sera pas le halo de la lune

    ce ne sera pas l’éclat de la mer

    mais ce qui brille de moi

    à l’intérieur de toi. »

    Ainsi se poursuit le dialogue des amants. Jusqu’au détachement ultime qui est celui de l’absolu de l’amour. Un superbe contre-chant que cette chanson mythique des amants.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Marilyse Leroux  Le Sein de la terre






    MARILYSE LEROUX


    Marilyse Leroux





    ■ Marilyse Leroux
    sur Terres de femmes

    [Autour de nous le mouvant devient cercles] (extrait d’Ancrés)
    [Livre ouvert] (extrait de Nés arbres)
    [Une goutte est la mer] (extrait du Temps d’ici)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    [Tu ouvres une brèche]




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Terre à ciel)
    une page consacrée à Marilyse Leroux






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  • Irène Dubœuf | [Une lueur confuse s’empare de la terre]



    Toute crainte s’envole dans un battement d’ailes
    Ph., G.AdC







    [UNE LUEUR CONFUSE S’EMPARE DE LA TERRE]



    Une lueur confuse s’empare de la terre.
    Une hypothèse
    dans les marges du ciel.

    J’écarte le silence : à trop vouloir l’entendre
    l’oreille s’habitue à sa voix
    rare est le silence qui ne soit habité.

    Des moineaux impatients se disputent le jour.
    Toute crainte s’envole
    dans un battement d’ailes.

    L’aube a la voix de l’oiseau.




    Irène Dubœuf, « L’Heure blanche » in Triptyque de l’aube, Voix d’encre, 2013, page 13. Peintures de Michel Verdet. Grand Prix de la ville de Béziers 2013.






    Triptyque de l'aube 2




    IRÈNE DUBŒUF


    Irène Duboeuf





    ■ Irène Dubœuf
    sur Terres de femmes


    [Incertitude du ciel] (extrait de Cendre lissée de vent)
    Lisières (extrait d’Effacement des seuils)




    ■ Voir aussi ▼


    le site d’Irène Dubœuf
    → (sur le site des éditions Voix d’encre)
    la fiche de l’éditeur consacrée à Triptyque de l’aube d’Irène Dubœuf
    → (sur Incertain Regard)
    une note de lecture d’Hervé Martin sur Triptyque de l’aube
    → (sur le site de la revue en ligne Possibles, nouvelle série [n° 4, janvier 2016])
    une page consacrée à Irène Dubœuf
    → (sur Recours au Poème)
    des extraits de Cendre lissée de vent





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  • François-Xavier Maigre |
    [Au bord du chemin où meurent les pierres]



    [AU BORD DU CHEMIN OÙ MEURENT LES PIERRES]




    Au bord du chemin où meurent les pierres
    je veux dédier ma petitesse
    aux vagues échappées entre les grains de ciel
    aux possibles lueurs qui scintillent au large
    venin sacré des étoiles de mer


    À tout ce qui renaît
    outre-lande
    et sous la peau
    quand se taisent les foules


    J’épouse un royaume
    en perte de lui-même
    l’opacité criblée de dunes
    où s’accoude la nuit
    et ce peu de chaleur
    à mes poings
    restée


    Couronné d’astres lointains
    d’incertaines gravités
    liées à mes pas nus
    je me dédie
    âme et or
    à tout ce qui chancelle.




    François-Xavier Maigre, Dans la poigne du vent, Éditions Bruno Doucey, 2012, page 13.




    _________________________________________________
    NOTE d’AP : Dans la poigne du vent a reçu en 2012 le prix du festival international de Struga, en Macédoine, prix parrainé par l’Unesco, et le prix PoésYvelines 2012, soutenu par le Conseil général des Yvelines et la maison de la poésie de Saint-Quentin-en-Yvelines.





    FRANÇOIS-XAVIER MAIGRE


    François-Xavier Maigre




    ■ François-Xavier Maigre
    sur Terres de femmes

    Chemin des arbousiers



    ■ Voir aussi ▼

    le blog de François-Xavier Maigre (Poésie, Musique & Littérature)
    → (sur le site du Nouveau Recueil)
    d’autres poèmes de François-Xavier Maigre (+ une notice bio-bibliographique)
    → (sur Recours au poème)
    Dans la poigne du vent, de François-Xavier Maigre (lecture de Gwen Garnier-Duguy)





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