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Étiquette : Raphaële George
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Raphaële George | [On ne devrait jamais arrêter d’écrire, ce qui est poésie surtout]
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22 août 1978 | Raphaële George, feuilles éparsesÉphéméride culturelle à reboursle 22.8.78
Je n’ai pas l’impression de vivre mais le pressentiment continu de me raconter une vie.
Il faut du temps pour donner de la valeur à une chose et plus encore dans l’effort de peindre ou d’écrire lorsqu’il s’agit de reconnaître qu’une phrase porte du sens ou qu’une toile suggère à elle seule la condensation d’un univers. Tout ce qui porte un sens me paraît en somme une intense condensation intérieure poussée à l’extrême et c’est son excès qui la grandit. En même temps, il y a ici l’acte le plus réducteur qui soit.
J’aime que mon esprit fonctionne aux dépens de mes mains. C’est ce que j’ai compris en inversant la sensation de mes mains travaillant à quelque chose de régulier, de sûr, de rassurant, ainsi je pourrais m’éloigner de mon corps sans m’en rendre compte et je m’en trouverais bien. Par instants, je retrouve la formulation d’une pensée dans le miroir de mes actes, à sa rencontre il m’est permis enfin de jubiler.Sans dateTu ôtes les articles, le corps s’y confond. Peut-être est-ce le nôtre tout entier, hors du temps et de l’espace, qui a cette configuration sournoise comme un vieux rappel de la mer ? Je n’ai pas tant voyagé, je ne sais pas non plus ne pas poser mon sujet lorsque j’écris. Je devine ce qui s’absout dans cette perte, mais je suis inconsolée dès que j’en ébrèche un peu le souvenir qu’il m’en reste. Je ne sais trop que mes mains ne seront jamais assez à ta mesure et je perds mes moyens à te parler dès que tu as quitté les lieux tandis qu’il règne une sombre odeur. Tu es passé par les objets et je ne saurais plus les toucher sans t’y rejoindre. Il y a là comme une chambre d’amour dans l’absence quand la souveraineté du silence tait nos actes mal partagés. Je sais maintenant comment j’ai pu accepter que tu apportes en ce lieu la pureté, et je ne crains pas une certaine paralysie ou même une certaine impuissance de mes gestes au passage – on ne gagne pas ce pays sans y perdre.feuille volante sans date (1980 ?)Je n’ai pas pu aller plus loin qu’une page d’écriture. C’est maigre. Ce que j’écris sans doute m’effraie par tant de difficulté. J’éprouve une sensation d’insatisfaction, de sclérose. Mon esprit se refuse à aller plus loin. Entre temps, je me suis faite belle dans l’espoir de rencontrer dans le miroir ce à quoi ma figure reste fidèle malgré moi. Mon visage reprend son étendue, son territoire de fatigue et d’espoir. Je le travaille au maquillage pour fuir la sinistre certitude de l’éphémère. Je cherche maintenant la paix en te retrouvant. Retrouver mon personnage en t’excluant de la page où je sais que fatalement nous ne nous croiserons pas. Je viens d’ailleurs d’interrompre ce que je viens de te dire pour te réaliser dans mon texte, car je m’aperçois qu’il en est la simple continuité. Je veux fuir, c’est alors que je me retrouve d’avantage. Je cherche à comprendre de quelle façon il est impossible de piéger la présence. Aurais-je la prétention d’être Dieu ? Je ne le pourrais pas, Dieu produit toutes les différences et je ne pourrais que retracer un profil de formes ressemblantes mais dont la forme n’est applicable que par perte de mémoire. Je construis l’après en oubliant simplement l’avant. La prétention est une facétie de masque. Et quand je regarde dehors le fossé demeure. Les mots ont dû être notre premier vol. Tu le savais et as voulu y croire à nouveau. Mais il y a bien là une vérité. Si je peux configurer un « après », qui nous convie à nouveau à la stupeur, n’est-ce pas que j’aborde l’absence réelle ?(1984 ?)Je ne sais ce qui m’amène ici. Avec des mots on croit être un peu plus. On imagine que l’on sait des choses. C’est écrit et on ne sait rien de plus. Pourtant, il y a cette envie d’être du côté du vent… ce désir de faire partie de l’inconnu. Nous voulons faire amitié avec lui. Il nous dépasse et nous laisse dans nos mots, piégés. La mauvaise aventure. Le mensonge. Notre ignorance atteint un point culminant d’irréversibilité. Chercher ? Imaginons une volupté totale. Elle n’aurait pas la forme d’une histoire, elle ne serait ni plante, ni homme. Elle serait tout simplement volupté, une de ces dames qui vous font signe de la tête. Elle serait un véritable enchantement. Nous perdrions la parole sans la regretter. Et si jamais nous trouvions les moyens ou un moyen seulement de tout défaire, de tout réorganiser autrement, y aurait-il un nouvel espoir ?
À mon avis nous sommes ici pour aller, aller simplement. Et tant qu’à aller, cela peut se faire bien. Soyons sages enfin. Soyons quelques-uns d’heureux.
Vraisemblablement nous ne pouvons pas inventer d’autres choses que des babioles, des petites histoires. Et moi je dis qu’il y a des histoires qui vous changent à condition de vouloir les entendre. Le prix, c’est qu’il faut donner de soi. Le mieux pour cela est d’être celui qui fait l’histoire. Les histoires ne sont plus des problèmes pour ceux qui les inventent.
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NOTE D’AP. : ces feuilles éparses inédites nous ont été aimablement transmises par Jean-Louis Giovannoni pour la revue Terres de femmes.
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Feu noir sur feu blanc, ou comment lire Raphaële George ?
par Gisèle BerkmanChroniques de femmes – EDITO/SOMMAIRE
Chronique de Gisèle Berkman
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Raphaële George, Double intérieur
par Isabelle LévesqueRaphaële George, Double intérieur,
précédé de L’Absence réelle,
de Raphaële George & Jean-Louis Giovannoni
Éditions Lettres Vives, collection Terre de poésie, 2014.
Lecture d’Isabelle Lévesque« D’où vient cette musique où ne vibrent que déchirure, écartèlement ? »
Où vit le double.À l’intérieur de soi, une autre instance, nécessaire et fragile, nous habite. Fragile, elle peut rompre. Le pas. La vie.
Comment savoir que l’on existe sans le regard de l’autre ? Et quand cet autre s’éloigne, le lien se fait sentir : la peur qu’il se défasse surtout, que l’autre disparaisse. Pour conjurer cette disparition, cette absence dans laquelle on pourrait s’effacer, créer cet autre en soi, si différent et si proche, dont le regard accompagne et rassure, devient une nécessité. L’une écrit, l’autre peint. Plus jamais de monologue. La mort s’éloigne. On l’espère.
Alors donner corps à ce double intérieur. Loin des figures, des gestes et des recours artificiels. Il faut le sortir de l’anonymat : en un être vivent Ghislaine Amon et Raphaële George (ce nom qu’elle choisit en mars 1984). Aucune ne joue au démiurge, il s’agit par le nom de reconnaître (de légitimer ?) celui/celle qui est. En soi. Nous regarde, nous soumet. Ce deux forme unité car l’intériorité vit de ces deux êtres. Le choix de Raphaële, Jean-Louis Giovannoni le précise, est signifiant : « en hébreu : Dieu guérit (de refa, guérir et El, Dieu) ». Indispensable préface qui nous éclaire sur la nécessité de ce nouveau nom. Pas un « thème littéraire », pas une figure de style : « quelque chose nous écoute à l’intérieur », c’est un « lieu », une « écoute interne » qui ne se dissocie pas de l’être. Rien n’est séparé : fusion. Tenter de faire exister les présences, celles qui se sont absentées, en soi : leur accorder un lieu, une existence. Forme de défense, ce « double intérieur » garantit la permanence de l’être, « poche où loger, se maintenir ». Forme maternelle, on y pense comme Raphaële George elle-même le note en des pages publiées par la revue Diérèse (Numéro 63 – automne 2014) : l’une porte l’autre (laquelle ? à tour de rôle ?). Deux identités coexistent portées par la voix de l’auteur. Raphaële George écrit à Ghislaine Amon (62, rue de Montreuil 75011 Paris), comme nous l’apprend Jean-Louis Giovannoni, dont la préface ouvre une porte sur le sens de ce double pour la poète. Même adresse, même corps, deux noms sans que l’un remplace l’autre, chacun est vivant en ce double.
Or, dans Double intérieur, « Ghislaine Amon / Raphaële George occupe la place d’un mort ou plus exactement, écrit sous couverture de Joë Bousquet, elle devient son double intérieur ». Enchâssement, le double lui-même habité par un autre.
La première partie (écrite en une semaine, indique Jean-Louis Giovannoni), L’Absence réelle1, propose un échange de lettres signées. Celui-ci fut écrit à la place d’un article envisagé, signé de Raphaële George et de Jean-Louis Giovannoni, portant sur les textes de Joë Bousquet. Le prenant trop à cœur, le projet suscita des symptômes chez Jean-Louis Giovannoni (la paralysie par un mimétisme terrible), passagers, certes, mais il fallut « briser cet espace de l’immobilité ».
Cette correspondance est précédée de quatre portraits de Joë Bousquet peints par Ghislaine Amon, les deux premiers sur des calques. On devine des traits, un visage, ils viennent peu à peu pour se révéler (au sens photographique) dans les deux derniers sur papier. Amorce du processus de naissance – le double vient à la vie, enchâssé, il existe, sa forme surgit de l’intérieur et le corps est donné par le nom, la lettre qui agit pour matérialiser l’être en soi.
Édifiant concert de voix, de postface en préface, de Ghislaine Amon/Raphaële George et Jean-Louis Giovannoni en passant par Joë Bousquet, autant de destinataires et d’instances sur un terrain mouvant où chacun revêt un costume à sa taille, où l’autre se glisse et se trouve. Le lecteur suit/se perd, les pistes mènent à des identités déployées, nécessaires, où chacune éprouve dans son corps sa voix, la nécessité de l’autre.
La filiation, la reconnaissance en un écrivain, aîné comme Joë Bousquet, le rend « plus vivant qu’un vivant ». C’est Joë Bousquet parlant par la bouche de Ghislaine Amon /Raphaële George, devenu « aura », « défi » lancé pour conjurer le silence ou l’absence, parole rendue par voix interposées. Multiple en un, sans réduction. Telle est l’affirmation de la première lettre qu’une seconde suit sans attendre de réponse, dans le désordre vivant de l’impulsion et de la nécessité. Elle affirme la « splendeur » du défi, invite le destinataire, Jean-Louis Giovannoni, à rompre le silence de l’admiration et de l’hommage pour rejoindre la folie, « acceptant la mort qui [l’]’habite », elle noue renaître au destin de l’absence. Dialectique du visage et de son effacement, cette correspondance ne la résout pas, elle la reconnaît posant des jalons sur sa nécessaire reconnaissance comme « la page blanche et l’apparition de [ses] mots ». Car Jean-Louis Giovannoni pose le lieu impossible (« territoire ») comme une constante : dans les livres, dans les photographies, dans le corps, nul ne tient. Pourtant le lieu traversé peut livrer, délivrance animale organique, la présence. Où sommes-nous (nous n’y sommes plus) ? Traversant/traversé, « inatteignable mouvement ».
Sur les pourtours, une présence, l’absence réelle, frôlée, perdue/gagnée, cette altération, cheminement perceptible et fragile, « surface donnée » et soustraite. « [C]orps d’immobilité » lorsque Jean-Louis Giovannoni en proie au même mal que Joë Bousquet reste momentanément au lit, cloué en cette « absence réelle », or cette immobilité va de pair avec une fuite de la mémoire ; l’auteur « oublie » ce qu’il lit de Joë Bousquet, au fur et à mesure. Il s’éloigne et le poème s’ouvre, « disponibilité à être au bord du silence », « corps d’apparition », fantôme plus réel que le corps. Alors s’opère la délivrance, écriture du poème retenu qui s’absente. La douleur délivre, comme en miroir, la réponse « à la parole de celui qui a parlé le premier ».
La seconde partie, Double intérieur2, regroupe des textes écrits entre 1977 et 1984.
Le taxi, premier texte, montre un corps de mère « mutilé », « couvert de bandelettes », pareil à celui des momies :
« ses yeux me regardaient dessous ».
Les paupières semblent garder le corps scellé pour conserver « le son de nos voix ». Ce corps sans vie reste lieu de traversée livrant la narratrice à des visions : le corps se lève. Cercueil où gît la mère sans sa canne, membre essentiel pourtant, « sa force », le corps se redresse, « son regard sous les paupières », étonnantes, pour un reproche vivant. Conte fantastique ou réalité : mêmes images et voix de culpabilité.
Le double se déplace, il est projeté sur une vitre réfléchissant à son tour une « autre face » qui nous permet « de nous voir de loin ». Les sections suivantes ont pour titres : Suaires, puis Drap, toiles d’un sommeil temporaire ou définitif. La mort laisse passer les voix sous les suaires. Couverture impossible, rien ne ferme, ni paupières, ni drap.
Draps dans lesquels nous naissons, dormons, rêvons, aimons, mourons… Le drap peut devenir toile pour le peintre, support de sa création, prolongement de lui-même. Sur cette toile, c’est lui-même qui s’étend.
« Pour la première fois, je me suis couchée au sol, le corps plaqué au plus fort de mes limites afin de tenter de disparaître entièrement, ne voulant pas céder au relief […]. […] les choses qui ont trop de relief ne disent plus rien. Elles perdent progressivement leur attrait. »
Et finalement le drap devient suaire, ou bandelettes pour momie, comme celles qui entourent la mère morte, et toutes ces momies qui apparaissent dans le livre.
Vit-on encore quand on vit parmi les morts, les fantômes ?Nous sommes un espace ouvert à nos fantômes comme à nous-même.
Autant de multiples différés, réfléchis, les perceptions visuelles et sonores brouillées, réceptacles ou interstices, « interlignes » d’un livre polyphonique. Recherche de surface (carbone) où lire à l’envers un reflet, « miroir », aucune image simple pour trouver une « face possible ». L’écriture de même n’est pas faiseuse :
« Au contraire, ses déformations infinies faisaient que nous ne pouvions nous penser, autres, qu’abandonnés. Je m’étais perdue. »
Sous la plume, le trait du signe dérobé peine à se fixer :
« Bien sûr mon écriture n’est pas de moi, ni la forme et ce qui se raconte sans moi, simplement remonte. Je ne suis qu’un écho lointain pour de vieilles images englouties. »
Perpétuelle mouvance « dans la vague d’argent » du carbone. Je ne puis écarter ces portraits de Gilbert Pastor que Jean-Louis Giovannoni « envisage ». Comme si tout re-commencement faisait destin. Processus vivant perpétuel en nous d’un visage (une voix, nôtre/autre) à naître. Loi organique et psychique confondues :
« Je faisais des signes, je les voyais voguer loin, ils rebondissaient probablement dans une oreille qui m’avait été choisie et que ponctuellement je remplissais par mes voix. Mais au moment de rencontrer l’autre, déjà elles avaient disparu. »
La dernière section donne à lire des Pages du journal et Feuilles éparses ; plusieurs textes sont datés, liés aux pages précédentes par la nuit et la mort, l’« abandon » où les voix du double pigmentent la page (écrivent). Rêve de conservation, rêve de carbone devenu « immenses cellophanes […] sur une couche de terre aussi imperméable que l’or, prête à la conservation ». Étais, ces matériaux, plus sûrs que des impressions photographiques car nous lisons en eux les voix qui les traversent tout en étant gardées. La terre, première, redevenue « premier miroir » où se retrouver tel un masque écartant la « sinistre certitude de l’éphémère ».
Isabelle Lévesque
D.R. Isabelle Lévesque
pour Terres de femmes
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1 Texte précédemment publié par Les Cahiers du double, en 1980, sous le titre Correspondance posthume imaginaire de Joë Bousquet à un jeune écrivain, puis par les éditions Unes, en 1986, avec le titre choisi par Jean-Louis Giovannoni : L’Absence réelle.
2 Titre choisi par Jean-Louis Giovannoni.
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Ghislaine Amon (Raphaële George) | [Ne parle pas, ne dis rien]
Ghislaine Amon & Jean-Louis Giovannoni
l’année de la publication du Petit Vélo beige
Source
[NE PARLE PAS, NE DIS RIEN]
Ne parle pas, ne dis rien, il reste par terre les morceaux de ma poupée en porcelaine et l’œil de maman qui saigne. Tu ne sais plus quoi faire. Pauvre petit frère. Tu me prends par la main pour que je ne regarde pas. Tu m’emportes sur la voie ferrée sous le pont où certains ont écrit « Kroutchev assassin » ! Il fait nuit et tu ne sais pas s’il sera possible de rentrer. Dans la chambre le petit recroquevillé dans son lit se fait tirer par une voiture à pédale derrière le vélo de la Ghislaine. Cette enfante perdue fait le cochon pendu dans un square loin de la maison. Attendre le moment pour renverser le petit sur le gravier. Mais chaque fois c’est moi qui tombe et qui n’arrive pas à me relever dans les sous-sols du HLM pendant que « les jeunes voyous » me tâtent les seins. J’ai beau tirer derrière moi, le landau, le grand landau avec toutes les poupées du monde à l’intérieur, je n’ai pas encore accouché mon petit frère, sinon, à demi, lors de soirées courtes, espace de se caresser sans y prendre garde. Mais lorsque tu poses ta tête contre la mienne, petit, il y a des bruits que l’on n’arrive pas à saisir. Ils remontent par les tuyaux des sanitaires, j’entends l’eau qui coule dans l’évier et les voisins qui crient.
Ghislaine Amon, Le Petit Vélo beige, Éditions de l’Athanor, Collection Jean-Luc Maxence, 1977, pp. 31-32.
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NOTE d’AP : Le Petit Vélo beige a été réédité (sous le patronyme de Raphaële George) en 1993 dans la Collection entre 4 yeux des Éditions Lettres Vives. Avec une préface de Jean-Louis Giovannoni.
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Raphaële George, Suaires (extrait)
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2 avril 1951 | Naissance de Raphaële GeorgeÉphéméride culturelle à reboursLe 2 avril 1951 naît à Paris Raphaële George, de son vrai nom Ghislaine Amon.
Ph., G.AdC
DOUBLE INTÉRIEUR (extrait)
Je ne sais ce qui s’entame ici lettre ou écriture ? La parole a finalement quelque chose que je ne comprends pas très bien et qui m’échappe. Que te dire si ce n’est que la journée fut belle et que de nouveau tout s’étire dans le petit bord du silence. J’ai l’impression même en écrivant de forcer quelque chose. Ainsi ai-je la sensation étrange de désirer éteindre tout désir en moi, me faire si petite, si petite et si forte tout à la fois. Mes vêtements m’ont l’air complètement inutiles. Je sens tout avec une dérision effrayante de laquelle je sais venir une sauvagerie sans appel et sans nom ; un enfermement galope en moi si fort que je m’exile. Un deuil indéfinissable commence à naître contre quoi ma générosité perd, s’épuise et ne peut me raisonner. Je tente un dernier souffle d’intelligence que je veux puiser en mon travail et ne plus croire qu’à un seul acte de clarté authentique : Ma Création. C’est de là que peut émerger à nouveau ma plus grande sérénité. Je ne sais quel en sera le prix ni si tu pourras y figurer ?
Ce que je voudrais possible frise la petitesse et m’éclate comme ce que j’appelle les petites peurs de cette terre qui nous rendent sans cesse à la bassesse. Or je hais toute bassesse. Et si tu veux une place dans ma vie sache faire le geste qu’il faut pour qu’il me fasse mesurer où est ton amour. Sans cela, je me renfermerai en ma coquille et nous créerons en nous l’exigence d’un tel non-lieu.
Raphaële George, Double Intérieur, in Double Intérieur, précédé de L’Absence réelle (Raphaële George & Jean-Louis Giovannoni), Éditions Lettres Vives, Collection Terre de poésie, 20213 Castellare di Casinca, 2014, pp. 112-113.
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NOTE d’AP : Double intérieur est disponible en librairie depuis le 18 avril 2014.
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7 juin 1982 | Raphaële George, JournalÉphéméride culturelle à rebours
Le prophète Jérémie
Portail de l’abbaye Saint-Pierre de Moissac (Tarn-et-Garonne)
Face interne du trumeau
Source
PAGE DE JOURNAL
Le 7 juin 1982
Et le matin cette peur à repousser. J’écoute Orlando de Lassus et me parle à moi-même, essayant d’imaginer que l’échec n’existe pas dans l’art ; ce n’est qu’une question de travail.
Il suffirait de refaire. Mes questions n’avancent guère. Je me piège à travers elles, les répétant sans cesse. Elles filtrent la mauvaise crainte, celle qui s’installe, qui fait siège autour de moi, me permettant l’état de recul, me laissant gratuitement l’attente.
Jamais, autant que dans ces états, je ne ressens aussi bien la fatigue. Si je me nourris pour fuir l’épuisement, c’est mon corps lui-même qui se fatigue, s’alourdit comme s’il refusait d’être nourri. Toujours Orlando de Lassus me sauvera. Toujours ses Psaumes* m’élèvent et me font trouver la paix, le calme, la patience et précisément l’amour vrai. À travers lui, eux, cette musique, J.-L. me suit en ombre douce. Il est présent […]
Écriture plus petite qu’hier, mais lisible. J’essaie de préserver cette apparence du lisible dans le but de pouvoir me relire. S. tape tous ses textes au fur et à mesure. Cela devrait m’être une leçon de travail et d’acceptation. Écrire a toujours été pour moi une façon de me clarifier, de me restituer une voix. […]
Raphaële George, Page de Journal, in Revue Recueil N°4-5, Éditions Champ Vallon, été 1986.
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* Psaumes de Pénitence [Psalmi Davidis pœnitentiales] de Roland de Lassus [Orlando di Lasso] (à cinq voix)
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30 avril 1985 | Mort de Raphaële GeorgeÉphéméride culturelle à reboursLe 30 avril 1985 meurt à l’Hôpital Saint-Louis, à Paris, des suites d’un cancer généralisé, Raphaële George, née à Paris le 2 avril 1951.
Peintre et poète, elle avait publié en 1977, sous son vrai nom (Ghislaine Amon), son premier livre : Le Petit Vélo beige dans la Collection Jean-Luc Maxence des éditions de l’Athanor (rééd. Éditions Lettres Vives, 1993). 1977 fut aussi l’année où elle fonda, avec Mireille Andrès, Patrick Rousseau et Jean-Louis Giovannoni, les Cahiers du Double (Marseille, éditions de l’Athanor), qu’elle dirigea ensuite, avec Jean-Louis Giovannoni, jusqu’en 1981.
Ont été publiés aux Éditions Lettres Vives (dans la Collection Terre de poésie, créée par Michel Camus [1929-2003] et Claire Tiévant), sous le pseudonyme de Raphaële George (Ghislaine Amon quitta son nom d’état-civil pour le pseudonyme de Raphaële George aux fins de « n’être que sa propre naissance », comme il lui arrivait souvent de le dire) : Éloge de la Fatigue, précédé de Les Nuits échangées (1985. Préface de Pierre Bettencourt ; 2e édition, 1986) et Psaume de silence suivi de Journal (posth., 1986. Présentation de Jean-Louis Giovannoni). En 1980, Raphaële George a co-écrit avec Jean-Louis Giovannoni L’Absence réelle, « correspondance posthume-imaginaire de Joë Bousquet à un jeune écrivain » (Éditions Unes, avril 1986).
Deux de ses livres ont été traduits en allemand et publiés, en édition bilingue, aux Éditions Jutta Legueil : Les Nuits échangées suivi de Éloge de la fatigue (Nächte im Tausch et Lob der Müdigkeit, Stuttgart, 1990) et Psaume de silence (Psalm des Schweigens, Stuttgart, 2003). En avril 2014, un inédit de Raphaële George, Double intérieur, a paru chez Lettres Vives, précédé de la réédition de L’Absence réelle.JOURNAL (extrait)
Écriture comme une escale.
Ôtons les articles : le corps se perd, se fond. S’agit-il du nôtre, hors du temps et de l’espace, cette figure si totale ? Un vieux rappel de la mer…
Fermer les yeux pour rejoindre une autre lumière, une source qui se dissimule et qui refuse de se lever dans mon corps aujourd’hui.
Comme j’ai souffert jusque là, et maintenant que je souffre vraiment : je sais que je ne souffre déjà plus, car la lumière vient.
Bien-être étrange qui nous fait être le monde dans son mouvement et naître de ce monde par la grâce de l’abandon.
Raphaële George, Journal in Psaume de silence suivi de Journal, Éditions Lettres Vives, Collection Terre de poésie, 1986, page 33.
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Raphaële George | [Amour]
Michelangelo Merisi da Caravaggio, Amor vincit omnia, 1602
Huile sur toile, 154 × 110 cm
Berlin, Gemäldegalerie
Source
[AMOUR]
Amour
nuit au fond du corps
déjà prête à m’ensevelir.
De cet amour il faut croire
qu’il est une part de moi
un morceau de ma chair
ce regard intérieur
qui sait ce que veut l’appel du jour.
Dans ces yeux, mes yeux ont vu
ce qu’ils désirent
et y renoncer serait mourir à moi-même.
Existe-t-il cet autre
qui ne nous reproche jamais d’être ?
Est-il l’épure de soi-même
au point de croire que jamais
nous ne saurions le perdre ?
Raphaële George, Les Nuits échangées in Éloge de la fatigue, précédé de Les Nuits échangées, Éditions Lettres Vives, Collection Terre de poésie, 1985, page 17. Préface de Pierre Bettencourt.
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NOTE d’AP : cet ouvrage, le quatrième de la Collection Terre de poésie (collection créée par Michel Camus [1929-2003] et Claire Tiévant), a été achevé d’imprimer le 2 avril 1985 pour l’anniversaire de Raphaële George.
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