Étiquette : récits


  • Nimrod, Le Temps liquide

    par Angèle Paoli


    Nimrod, Le Temps liquide, récits,
    éditions Gallimard,
    Collection Continents Noirs dirigée par Jean-Noël Schifano, 2021.



    Lecture d’Angèle Paoli


    LES GENÈSES DU LAC TCHAD




    Le Temps liquide. Dans la filiation de Gaston Bachelard est le titre que le poète Nimrod a choisi pour insérer sous cette enseigne ses dix-sept récits. Un titre à double hélice pour nommer ce qui dans nos vies passe, sans que nous n’y puissions rien. Le temps coule s’écoule tout comme l’eau, dont il possède tant le flux que la fluidité. Le temps est la pièce maîtresse des récits autobiographiques rassemblés dans ce récent recueil. Le temps, pris dans son mouvement irréversible, incontrôlable, inépuisable. Celui qui mène tout un chacun entre ses rives intangibles, d’un commencement à une fin. La fluidité du temps pourrait n’être qu’une métaphore. Chez Nimrod, elle fait partie intégrante de sa personne, de son esprit, de son écriture. Elle se jumelle avec les fluidités — fluviales et pluviales — qui traversent les terres sahéliennes, les irriguent par brusques accès. Fluidité primordiale liée au Tchad originel, à son lac immense, à ses fleuves. Au Chari et à ses affluents. Au Logone, aux bords duquel l’enfant Nimrod a grandi. Le fleuve qui a rythmé son adolescence continue de nourrir, par-delà ses rives, la mélancolie sans fond que le poète draine avec lui, dans son exil existentiel. Et dans son « irrémédiable » solitude. « Je suis un artésien », écrit-il dans « Festivals ». « Je vis au bord des larmes. »

    D’autres eaux que le Tchad nourricier, inoubliable et fondateur, surgissent sous la plume de Nimrod, grand conteur devant l’Éternel. Elles ouvrent d’autres sentiers. Qui sinuent vers d’autres histoires. Et bifurquent au hasard des rencontres. L’espace se démultiplie, repoussant les frontières bien au-delà des cartes qui les contiennent. Les récits ont aussi le pouvoir de « compresser les distances ». Qu’elles soient spatiales ou temporelles. Ce que Nimrod exprime de manière claire dans cet extrait du « Voyage de Clermont-Ferrand » :

    « En courant, je suis tout ensemble en gare de Bercy (qui s’arrache à mes talons tout en étirant et raccourcissant mes pas), en Auvergne et au Tchad. Ce chevauchement de lieux et de temps me caractérisait depuis bientôt six mois. Car le voyage de Clermont-Ferrand préludait à celui de N’Djamena que j’effectuerais dix jours plus tard. J’en avais une telle conscience que c’était pour ainsi dire chose faite. »

    D’autres voies/voix mêlent leurs échos, tantôt proches tantôt lointaines. Le temps s’étire entre présent et passé ; souvenirs d’enfance – visages et jeux — et vécu d’adulte. Ainsi le poète possède-t-il « le don inné » d’être, dans le même recueil, en de nombreux points de la terre. Dans les embouteillages d’un cortège présidentiel en Afrique ou sur la « guirlande magnifique et inutile de la muraille de Chine » ; dans l’église Notre-Dame de-Lorette à Paris ou perdu dans un voyage onirique entre le Darfour et la Sibérie. Ou encore, pris dans les mailles fallacieuses d’un « festival des lettres tchadiennes ». Événement qui, simultanément, le ramène quelques années en arrière dans les chorales de son enfance, lieu de formation inoubliable, et le cloue au pilori de la violence et de la cruauté du présent :

    « En ce qui me concerne, j’eus la sensation qu’on me dépeçait vivant et, surtout, qu’on sectionnait chacun de mes nerfs sous l’effet d’un faible anesthésiant, lequel ne m’empêchait ni de ressentir la douleur ni de voir les larmes couler à l’intérieur de moi. J’avais assisté, à mon corps défendant, à une mauvaise guillotine. »

    Il arrive que le narrateur se trouve dans un entre-deux. Soit en provenance de France pour rejoindre N’Djamena. Soit l’inverse. Est-ce cet entre-deux qui lui arrache ce singulier aveu, aux interprétations multiples : « Je souffre d’avoir échoué dans les marges. » ? Il arrive aussi que le récit convie le lecteur d’un pays d’Afrique à l’autre. Comme cette traversée mouvementée du Tchad au Cameroun qui narre la fuite du commandant Abdallah :

    « La Voie lactée a basculé vers l’ouest où lui répond l’étendue argentée du Logone. Un diamant liquide trace l’itinéraire que suivra le fugitif pour gagner le Cameroun. Mais où trouver des convoyeurs dignes de foi pour le mener à bon port ? »

    Le « diamant liquide » du fleuve n’est pas sans rappeler une autre évocation. Celle du récit onirique qui tourne autour du pur-sang Allahdj et du roi Absakine. Et l’on se trouve soudain emporté dans la magie purificatrice d’un conte des Mille et Une Nuits :

    « C’est alors que je vis La Mecque dans toute sa gloire ! Elle brillait telle un diamant, les pèlerins tournant autour de la pierre noire comme des phalènes immaculées. Je ne rêvais absolument pas. Après avoir contemplé la cité sainte comme si je rinçais mon corps avec ses eaux lustrales, je vis le roi Absakine en personne, qui me rendait Allahdj, mon pur-sang arabe, en se prosternant très bas. »

    Loin des eaux africaines, les eaux européennes sur lesquelles sont bâties nos villes sont parfois des miroirs trompeurs soumis à l’érosion et à la perte. Mais elles réservent aussi d’étonnantes surprises. Ainsi des eaux qui baignent le tout début du récit d’ouverture, lequel donne son titre à l’ouvrage. Le Temps liquide. C’est d’abord Venise. Dont la beauté même condamne le visiteur : « Il survole le temps ; il en est ébloui, effaré ou éconduit. Il glisse sur l’eau – il glisse sur tout. » Outre Venise, il y a au passage Bordeaux. Puis Béthune !

    Béthune ! Quelle surprise ! Sans s’en douter, le poète tchadien ramène sa lectrice quelques années en arrière, du côté de l’Ange-Gabriel, la péniche où les Escales des Lettres accueillaient cette année-là — était-ce en 2011 ? — Lambert Schlechter, dont elle fit alors la connaissance, Éric Pessan, Luis Mizon, Eva Almassy, Zoé Valdés… Et d’autres poètes encore pour lesquels elle s’était déplacée. Mais la lectrice dérive, tout comme dérive aussi le narrateur de ce récit. De manière inattendue. En effet, dans ses pérégrinations crépusculaires dans la ville des Hauts de France, l’Afrique fantôme ressurgit, qui dessine ses contours sur les eaux du fleuve (la Lawe, « affluent de la Lys, sous-affluent de l’Escaut » ?) ou sur les eaux du canal. Nimrod parle du « port de plaisance » où mouille la péniche. Avec un nom biblique si éloquent, la péniche qui l’héberge ne pouvait que servir son flâneur africain. Sous forme de « visitation ». Le récit, dès lors, prend un autre chemin et acquiert toute sa dimension. Poétique et spirituelle. Le jeune garçon qui « visite » le poète a la blondeur des anges de Botticelli. Ils se sont rencontrés « dans la coulée verte, à la jonction de la passerelle qui enjambe la rivière. » De leur dialogue naît la surprise. Une surprise réciproque qui transforme Hugo en bébé ange, et le narrateur en « archange Gabriel ». Une autre rencontre, plus bouleversante encore, est celle que le narrateur fait d’un « ange maléfique » rencontré sur le quai du train Amiens-Paris. Reconnaissant Nimrod, le jeune compatriote tchadien entreprend d’interroger celui dont il admire l’œuvre. Quant au poète, pressentant « une catastrophe imminente », il se tient sur la réserve et se montre réticent. Victime de ses « préjugés », le voilà embarqué au long cours dans la confusion des sentiments. Partagé entre attrait et répulsion, entre « révolte et remords », entre « désarroi » et « assaut d’amour », il finit par se lancer dans le récit complexe de la politique tchadienne, sans doute pour amener son jeune compagnon à mesurer ses élans idéologiques. Jusqu’au moment où se produit la catastrophe attendue. Nimrod prend alors conscience de ce qui le taraude depuis un moment. L’histoire du jeune tchadien, la violence de son vécu viennent se superposer à la vie de son propre fils, à qui est dédié « Le Voyage de Clermont-Ferrand ». À Claude, i.m. Au cours de ce récit fait de rebondissements, d’entrelacements d’époques et de lieux, l’idée que le poète se faisait du jeune tchadien a évolué. Perçu au début de leur rencontre comme un « ange maléfique », il est devenu « un Christ ». Un « ange de la miséricorde » qui, par-delà les distances et la mort, s’ingénie à lui envoyer des signes.

    Alliages de réalisme et de poésie, les récits de ce recueil offrent à voir « un théâtre du monde » qui n’exclut nullement le regard critique du poète. Un regard non dénué d’humour – même si « l’humour n’a rien d’universel » — ni de tendresse bienveillante. La plume de Nimrod cependant n’épargne ni le nationalisme exacerbé de certaines personnalités ni l’hypocrisie haineuse dont elles font preuve à son égard ; ni la violence des procédés ni les bassesses qui permettent de la mettre en scène. Ni sa propre souffrance. La lucidité du poète envers ceux de son peuple et envers lui-même confèrent à l’ensemble de ces mosaïques de visages et de formes une authenticité et une force qui vont de pair avec l’attachement que Nimrod nourrit pour son pays d’origine. Et même si l’aveu est douloureux qui lui dicte cette phrase d’« Une dispute imaginaire » : « Je portais le pays dans les veines, à l’image d’une galerie de souvenirs destinée à m’humilier », il existe dans l’univers de l’écrivain des moments de bonheur qui affleurent, des souvenirs d’insouciance et de joies enfantines inoubliables. Il y a aussi des visions qui donnent au récit sa dimension mythique. Ainsi de cette évocation du lac Tchad, inattendue et admirable :

    « L’autre nuit, en errant autour de la maison de ma mère, j’ai eu cette lueur : nous étions au commencement des batraciens qui barbotaient, heureux, dans le lac Tchad. Naguère, il s’étendait des rivages des Syrtes à ceux du Soudan du Sud jusqu’à la mer Rouge à l’est. Au fil d’un long ajustement, nous sommes devenus des êtres humains, jouant au football dans les clairières et les prés, à mesure que le lac rétrécissait. C’est bien plus tard que l’invention des dieux puis celle de l’Église ont accaparé notre appétence à chanter la gloire, la beauté, l’amour. Les étapes de toutes ces métamorphoses ne se peuvent conter. »

    Si elles ne se peuvent conter, « ces métamorphoses » évoquées en quelques lignes, donnent à réfléchir. Tout en compressant l’histoire du pays et des hommes, le poète-conteur n’ouvre-t-il pas pour nous mille chemins — de rêve et/ou d’interrogations —, depuis les genèses du lac Tchad, ses rives insituables mais heureuses, jusqu’à sa réalité d’hier prise entre football et Église ? Au lecteur paléontologue, ethnologue ou astronome d’aujourd’hui d’investir à son gré les pistes du silence qui jalonnent le « long ajustement » auquel le poète fait allusion. Il ne m’avait pas échappé non plus, en observant récemment les cartes satellitaires comparatives, que le lac avait singulièrement rétréci en quelques années à peine. De quoi inquiéter, soulever bien des questions et ouvrir la voie à la nostalgie de ce qui a été et s’avère définitivement perdu. Loin d’« une enfance buissonnant d’échos », laquelle sans cesse nourrit la « quête de sérénité ».



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Nimrod  Le Temps liquide





    NIMROD


    Nimrod 2





    ■ Nimrod
    sur Terres de femmes


    En remontant le Lac Tchad (extrait du Temps liquide)
    [J’ai aimé ma mère] (poème extrait de Sur les berges du Chari, district nord de la beauté)
    Nimrod | Des « paroles plus précieuses que l’or » (chronique d’AP)
    L’enfant n’est pas mort (lecture d’AP)
    Gens de brume (lecture d’AP)
    [je suis la dernière figure de l’homme] (poème extrait de Babel, Babylone)
    L’herbe (poème extrait d’En Saison)
    Sous les étoiles
    Sur les berges du Chari (lecture d’AP)
    [Tu poseras ton faix] (poème extrait de J’aurais un royaume en bois flottés)
    Le roman s’achève (poème extrait de Petit Éloge de la lumière Nature)
    La Traversée de Montparnasse (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Gallimard)
    la fiche de l’éditeur sur Le Temps liquide de Nimrod
    → (sur le site de la Mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une notice bio-bibliographique sur Nimrod
    → (sur le site du Point)
    un entretien de Nimrod avec Valérie Marin La Meslée
    → (sur le site de la revue Project-îles)
    une rencontre avec Nimrod (24 novembre 2020)





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  • Nimrod | En remontant le Lac Tchad




    Lac-Tchad-1963-2017
    Images satellite du Lac Tchad
    Source : NASA Earth Observatory








    EN REMONTANT LE LAC TCHAD





    Un lac ne se remonte jamais. Il malmène la droite ligne qui va de A à B. Bien des phénomènes obéissent à cette loi, excepté ceux qui gouvernent le lac Tchad. La grande réserve d’eau est formée de panses et bagatelles, on dirait des bourses entre ses jambes de grand mâle. Un esprit mal tourné le comparerait à la démarche des femmes opulentes, qui sont de véritables océans portatifs. Le lac Tchad est une gourde que les filets des marins pêcheurs draguent sans discernement.

    Ainsi se dessine son courant animé par un mouvement pendulaire. Alors, les eaux se répandent, heureusement endigués par le cercle magnétique terrestre qui, à l’image de l’horizon, met à contribution ses vitrines blindées en vue de les empêcher de verser hors du monde, quand les Martiens prennent le frais au crépuscule.

    Le lac Tchad est la dernière station des eaux douces du monde. Les courants intersidéraux les ont déposées dans la galaxie de l’Orient pour notre aise. Tous les soirs, les étoiles nous rappellent à son bon souvenir. Et les randonneurs aussi, qui vont y boire pour l’ivresse et la joie.



    Nimrod, Le Temps liquide, récits, éditions Gallimard, Collection Continents Noirs dirigée par Jean-Noël Schifano, 2021, page 18.






    Nimrod  Le Temps liquide




    NIMROD


    Nimrod 2





    ■ Nimrod
    sur Terres de femmes


    Le Temps liquide (lecture d’AP)
    [J’ai aimé ma mère] (poème extrait de Sur les berges du Chari, district nord de la beauté)
    Nimrod | Des « paroles plus précieuses que l’or » (chronique d’AP)
    L’enfant n’est pas mort (lecture d’AP)
    Gens de brume (lecture d’AP)
    [je suis la dernière figure de l’homme] (poème extrait de Babel, Babylone)
    L’herbe (poème extrait d’En Saison)
    Sous les étoiles
    Sur les berges du Chari (lecture d’AP)
    [Tu poseras ton faix] (poème extrait de J’aurais un royaume en bois flottés)
    Le roman s’achève (poème extrait de Petit Éloge de la lumière Nature)
    La Traversée de Montparnasse (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Gallimard)
    la fiche de l’éditeur sur Le Temps liquide de Nimrod
    → (sur le site de la Mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une notice bio-bibliographique sur Nimrod
    → (sur le site du Point)
    un entretien de Nimrod avec Valérie Marin La Meslée
    → (sur le site de la revue Project-îles)
    une rencontre avec Nimrod (24 novembre 2020)





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  • Angèle Paoli | [Te souviens-tu de la Madonna del Parto ?]


    Madonna del parto
    Piero della Francesca, Madonna del Parto, v. 1455 (particolare)
    Museo della Madonna del Parto, Monterchi








    [TE SOUVIENS-TU DE LA MADONNA DEL PARTO ?]



    Te souviens-tu de la Madonna del Parto ? murmure une voix derrière son épaule. La « Madonna » de messer Piero ? La Madone en robe de velours bleu ? Oui, celle qui pose sa main sur son ventre rond, écarte d’un doigt le plissé du tissu, regard baissé vers l’enfant qu’elle porte et qu’elle sent bouger en elle. Je me souviens des deux anges qui tirent les rideaux d’un dais de théâtre pour lui permettre de prendre place. Sur les devants de la scène, sans doute. Une scène intérieure. Sans parole. Muette. Où était-ce ? Quelque part en Toscane. Dans un petit village un peu à l’écart. Nous avions découvert la fresque de messer Piero dans une chapelle de cimetière. C’était à Monterchi, je crois. N’était-ce pas le village d’origine de la mère de Piero ? Romana di Perini ? Oui, peut-être. Je ne sais plus. Et ensuite ? Ensuite nous avons déjeuné dans une auberge. Une auberge de chasseurs, modeste et un peu triste, comme ce village dont l’unique trésor est cette peinture, protégée, jalousement gardée, surveillée. Comment la Madonna del Parto avait-elle échoué là ? C’est de cela que nous avions parlé, de ce mystère. Qui n’en est peut-être pas un. Piero avait sans doute voulu rendre hommage à donna Romana, sa mère. Je me souviens aussi de la Résurrection de messer Piero. Tu venais de lire le dernier J.-B. Pontalis. Son Dormeur éveillé. Oui. Une rêverie immobile. Les serviteurs du Christ endormis à ses pieds. Bouche ouverte, disais-tu, et dodelinant de la tête. Bouche ouverte ? Vraiment ? En es-tu si sûre ? Il me semble, mais j’invente peut-être. Je sais que le tableau du maître de Borgo t’avait hypnotisée, tenue longtemps absente à toi-même. Comme si tu étais toi aussi sous l’emprise d’un sommeil irréel. De cela seul, je me souviens. De la pinacothèque du Borgo, il ne me reste rien. Tout s’est effacé. Seules les lignes des collines douces se sont inscrites en moi. Je me souviens de ton émoi devant la blondeur de leurs courbes. Tu me disais que Piero Della Francesca les avait admirées bien avant nous, lui qui aimait tant les représenter dans ses paysages.





    Madonna particolare 2






    Madonna particolare 3





    La lecture de ce Dormeur éveillé nous a ramenés tous deux à cet été-là. Un été toscan, lourd de chaleurs et de siestes. C’était l’été de tes trente ans. Je t’avais proposé de passer le mois de juillet à « La Scheggia », dans une villa du Cinquecento. Cette idée t’avait enchantée. La Scheggia ? Une écharde dans le paysage ? Peut-être. J’avais déniché l’adresse du marquis d’A… dans les Carnets d’adresses du Monde. Le marquis était ravi de faire notre connaissance. Il aimait la Corse. Il cabotait, l’été, à bord de son voilier et il lui arrivait de faire halte dans le porticellu de Centuri. Il y avait des amis. Beaucoup d’amis. Le marquis avait décliné pour nous toute une litanie de noms prestigieux. Artistes, gens de lettres, gens d’argent, qui ne faisaient pas partie de ton monde. Ni du mien, bien sûr. Il était reçu dans les plus belles maisons d’Américains disséminées sur les collines environnantes du Cap Corse. Les fameuses maisons aux plafonds peints, signes de fastes anciens. Les haciendas blanches des riches planteurs de canne à sucre, de café, de coton venaient se superposer aux paysages toscans, sous la lumière aveuglante de la Corse. Tu imaginais la vie de tes ancêtres, hamacs et calèches, robes à volants et ombrelles, tous les clichés que les aventuriers du Cap Corse avaient importés de Trinidad ou du Venezuela. […]



    Angèle Paoli, « Parmi les lys d’eau, Alfea », Italies Fabulae, récits, éditions Al Manar, 2017, pp. 9-11. Postface d’Isabelle Lévesque.





    Italies Fabulae 3



    PIERO DELLA FRANCESCA


    Piero della Francesca  Autoritratto 2
    Piero della Francesca, Autoritratto
    Resurrezione (particolare)
    Museo Civico, Sansepolcro





    ■ Piero della Francesca
    sur Terres de femmes


    Yves Bonnefoy | Une silencieuse ordalie
    Erri De Luca, Piero della Francesca
    [Anne-Marie Garat, I] Piero della Francesca | La Madonna del Parto
    [Anne-Marie Garat, II] Piero della Francesca | La Madonna del Parto
    Michaël Glück, L’Enceinte
    Mario Luzi | Près de la reine de Saba
    Bernard Simeone | Madonna del Parto
    12 octobre 1492 | Cole Swensen, Mort de Piero della Francesca





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  • Laure Cambau | tekké




    TEKKÉ




    Le berger décore l’arbre à prières
    de petits rubans colorés
    les poèmes sèchent au vent avec les mûres
    flottent se balancent dans l’air du soir
    tournent avec la musique soufie et les derviches
    et sur les rubans qui volètent
    je lis le chant des têtes
    une langue d’arbre et d’huile
    et dans le désordre des vœux
    je trouve la sortie du poème
    issue obscure et liquide
    de la moiteur du boulevard à la fraîcheur du tekké
    la terre sous la terre parle une langue d’huile
    borborygme onomatopée
    le vent se cache derrière l’arbre ma paupière et la toile
    avec les araignées et les derviches
    peut-être les vers à soie tisseront mes mots entre deux fibres
    du trottoir aux collines
    de la remise en flammes
    aux braises noires des steppes
    je cueille le ruban rouge
    sous le mûrier

    une ronde de mots muets

    me réveille




    Laure Cambau, « Connais-toi toi-même ainsi tu pourras connaître Dieu », Le Manteau rapiécé, Un voyage au fil du souffle, florilège Bektachi : Dialogue, récits, poèmes, psaumes et souffles, éditions Unicité, 2017, page 35.






    Laure Cambau  Le Manteau rapiécé






    LAURE CAMBAU


    Laure_cambau
    Ph. © Laure Cambau
    Source





    ■ Laure Cambau
    sur Terres de femmes

    Ma peau ne protège que vous (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Pèlerin
    Tombeau de Janis
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Sans pourquoi



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Laure Cambau
    → (sur le site de Claude Ber)
    une page consacrée à Laure Cambau (invitée du mois de juin 2010)






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