Étiquette : Rembrandt


  • Claude Louis-Combet | Bethsabée à jamais




    Bethsabée
    Rembrandt Harmensz. Van Rijn, dit Rembrandt
    Bethsabée au bain tenant la lettre de David, 1654
    Huile sur toile, 142 x 142 cm
    Paris, Musée du Louvre
    Source







    Du vieil Rembrandt à sa belle Hendrickje



             Amour de moi, que restera-t-il bientôt de mon corps entré dans le reflux ?

    À saute-rides, sur mon visage, ta main cherche un souvenir de beauté.

    L’ombre a perdu la partie dans mon regard. Il s’incolore, il se noie dans la blancheur de ses eaux. Ce ne sont pas larmes retenues, c’est amnios résiduel, antérieur à toute vision, et débordant sans pudeur.

    Je te souris dans la débâcle de mes dents.

    Mes lèvres buboniques ne t’effraient pas encore. Ta bouche vient s’y presser, comme ferait un enfant aveugle qui embrasserait  son chien.

    Mon souffle n’est plus ce qu’il était. Mes bras non plus. Ils sont chétifs dans l’étreinte et étroits dans la douleur.

    J’ai le ventre boudiné et la peau flasque. Encore un peu de lassitude, et j’accrocherai cette défroque au portemanteau.

    Ce n’est pas l’esprit qui souffle le plus. Entre organum et trompette, mon boyau lâche de l’air à tout venant. Musique pour l’oreille et pour le nez ; sans distinction. Aura de fétidité pour celui qui rêva d’être un saint.

    Ma peau a séché. La canicule a frappé le vieux crapaud sur le chemin désert. Il se plisse et s’écaille. Mais ce n’est pas une mue. Le terme seulement.

    Quand la blancheur de mon poil aura conquis mon pubis, alors, amour de moi, rends-moi à la terre qui me rendra la blancheur de mes os.

    Contemple mon phalle. Absenté des puissances du désir, il est comme s’il n’était pas. Rentré en lui-même, il a remonté son cours jusqu’aux lobes du cerveau, où il rêve. Dans le creux de ta main, il a consistance et somnolence de nourrisson. Agite-le tendrement, il régurgitera son lait.

    Mes ballottes  grelottent, maigries  et falottes. La braise est morte. Froids, les marrons. Vides, la gousse et le gousset.

    Un vieux prurit a fait de mon cul une nèfle parmi les ronces. Touche-moi. Touche le fond du sang, le bitume et la poix — dernier recours de ma palette.

    Amour de moi, la chair fut brève. J’ai fixé ta nudité dans la mémoire de mes toiles et sur le papier. Ainsi demeures-tu, tandis que je passe. Éternelle Bethsabée et courbure d’éternité. Éternelle toison d’or rescapée des vaisseaux du temps. David le périssable survivra-t-il dans le souvenir de ta beauté ?

    Ne cesse pas de croître cependant que je m’abîme en absence. Le passé a rattrapé mon corps. Bientôt il le dépassera. Déjà je ne suis que pour avoir été. Sur le chevalet noir, mon dernier portrait me dévisage. Il tient mon coeur dans l’angoisse de ses traits et ton amour dans la lumière de son front.




    Claude Louis-Combet, Bethsabée à jamais in Cantilène et fables pour les yeux ronds, José Corti, 2006, pp. 75-76-77.




    CLAUDE LOUIS-COMBET


    Louiscombet_1
    Source



    ■ Claude Louis-Combet
    sur Terres de femmes

    Celle par qui la ténèbre arrive (note de lecture d’AP)
    Depuis le temps que la chair s’épure
    Hiérophanie du sexe de la femme
    [Il y avait la main] (extrait de Dichotomies)
    Isula, insula
    « J’écris du désir comme du désert »
    Mala Lucina
    Noyau Central
    Le Nu au transept (note de lecture d’AP)
    Radeau de la première femme, III (extrait de Dérives)
    Résurgences
    Suzanne et les Croûtons (note de lecture d’AP)



    ■ Voir aussi ▼

    4 octobre 1669 | Mort de Rembrandt






    Retour au répertoire du numéro de février 2011
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • 4 octobre 1669 | Mort de Rembrandt

    Éphéméride culturelle à rebours


    Le 4 octobre 1669 meurt à Amsterdam, Rembrandt Harmenszoon Van Rijn.







    Rembrandt_1629
    Rembrandt à 23 ans
    Rembrandt, Autoportrait au gorgerin, v. 1629.
    Huile sur toile, 37,7 x 28,9 cm
    Mauritshuis Museum,
    La Hague, Pays-Bas.







    LE SECRET DE REMBRANDT


        « Vers les années 1666 à 1669 il devait y avoir à Amsterdam autre chose que les tableaux d’un vieil escroc […] et que la ville. Il y avait ce qui restait d’un personnage réduit à l’extrême, presque complètement disparu, allant du lit au chevalet, du chevalet aux chiottes ― où il devait encore griffonner avec ses ongles sales ― et cela qui restait ne devait guère être autre chose qu’une cruelle bonté, proche, pas loin de l’imbécillité. Une main crevassée qui tenait des pinceaux trempés dans du rouge et du brun, un œil posé sur les objets, rien que ça, mais l’intelligence qui liait l’œil au monde était sans espoir.
        Sur son dernier portrait, il se marre doucement. Doucement. Il sait tout ce qu’un peintre peut apprendre. Et d’abord ceci (enfin, peut-être ?) que le peintre est tout entier dans le regard qui va de l’objet à la toile, mais surtout dans le geste de la main qui va de la petite mare de couleur à la toile.
        Le peintre est là rassemblé, dans le cheminement tranquille, sûr, de la main. Plus que ça au monde : ce tranquille va-et-vient frissonnant en quoi se sont chargés tous les fastes, les somptuosités, toutes les hantises.
        Légalement, il n’a plus rien. Grâce à un jeu d’écritures, tout est entre les mains d’Hendrijke l’Admirable et entre les mains de Titus. Rembrandt ne possèdera plus les toiles qu’il peindra.
        Un homme vient de passer tout entier dans son œuvre. Ce qui reste de lui est bon pour la voierie, mais avant, mais juste avant, il doit encore peindre le Retour de l’enfant prodigue.
        Il meurt avant d’avoir eu la tentation de faire le pitre. »


    Jean Genet, « Le Secret de Rembrandt », Œuvres complètes, tome V, Éditions Gallimard, in Pascal Bonafoux, Rembrandt, Le clair, l’obscur, Gallimard, Collection Découvertes, page 155.







    Rembrandt_1669
    Rembrandt à 63 ans
    Rembrandt, Autoportrait, 1669
    (l’année de la mort du peintre)
    Huile sur toile, 86 × 70,5 cm
    The National Gallery, Londres







    UN PORTRAIT À LA REMBRANDT


        Le jeune avoué demeura pendant un moment stupéfait en entrevoyant dans le clair-obscur le singulier client qui l’attendait. Le Colonel Chabert était aussi parfaitement immobile que peut l’être une figure en cire de ce cabinet de Curtius où Godeschal avait voulu mener ses camarades. Cette immobilité n’aurait peut-être pas été un sujet d’étonnement, si elle n’eût complété le spectacle surnaturel que présentait l’ensemble du personnage. Le vieux soldat était sec et maigre. Son front, volontairement caché sous les cheveux de sa perruque lisse, lui donnait quelque chose de mystérieux. Ses yeux paraissaient couverts d’une taie transparente : vous eussiez dit de la nacre sale dont les reflets bleuâtres chatoyaient à la lueur des bougies. Le visage pâle, livide et en lame de couteau, s’il est permis d’emprunter cette expression vulgaire, semblait mort. Le cou était serré par une mauvaise cravate de soie noire. L’ombre cachait si bien le corps à partir de la ligne brune que décrivait ce haillon, qu’un homme d’imagination aurait pu prendre cette vieille tête pour quelque silhouette due au hasard, ou pour un portrait de Rembrandt, sans cadre. Les bords du chapeau qui couvrait le front du vieillard projetaient un sillon noir sur le haut du visage. Cet effet bizarre, quoique naturel, faisait ressortir, par la brusquerie du contraste, les rides blanches, les sinuosités froides, le sentiment décoloré de cette physionomie cadavéreuse. Enfin l’absence de tout mouvement dans le corps, de toute chaleur dans le regard, s’accordait avec une certaine expression de démence triste, avec les dégradants symptômes par lesquels se caractérise l’idiotisme, pour faire de cette figure je ne sais quoi de funeste qu’aucune parole humaine ne pourrait exprimer.


    Balzac, Le Colonel Chabert [1832], Éditions Gallimard, Collection folio classique, 1999, pp. 60-61.



    Retour au répertoire du numéro d’octobre 2010
    Retour à l’ index de l’éphéméride culturelle
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes

  • 4 octobre 1669/Mort de Rembrandt

    Éphéméride culturelle à rebours


    Le 4 octobre 1669 meurt à Amsterdam, Rembrandt Harmenszoon Van Rijn.






    Rembrandt_1629
    Rembrandt à 23 ans
    Rembrandt, Autoportrait au gorgerin, v. 1629.
    Huile sur toile, 37,7 x 28,9 cm
    Mauritshuis Museum,
    La Hague, Pays-Bas.






    LE SECRET DE REMBRANDT


        « Vers les années 1666 à 1669 il devait y avoir à Amsterdam autre chose que les tableaux d’un vieil escroc […] et que la ville. Il y avait ce qui restait d’un personnage réduit à l’extrême, presque complètement disparu, allant du lit au chevalet, du chevalet aux chiottes ― où il devait encore griffonner avec ses ongles sales ― et cela qui restait ne devait guère être autre chose qu’une cruelle bonté, proche, pas loin de l’imbécillité. Une main crevassée qui tenait des pinceaux trempés dans du rouge et du brun, un œil posé sur les objets, rien que ça, mais l’intelligence qui liait l’œil au monde était sans espoir.
        Sur son dernier portrait, il se marre doucement. Doucement. Il sait tout ce qu’un peintre peut apprendre. Et d’abord ceci (enfin, peut-être ?) que le peintre est tout entier dans le regard qui va de l’objet à la toile, mais surtout dans le geste de la main qui va de la petite mare de couleur à la toile.
        Le peintre est là rassemblé, dans le cheminement tranquille, sûr, de la main. Plus que ça au monde : ce tranquille va-et-vient frissonnant en quoi se sont chargés tous les fastes, les somptuosités, toutes les hantises.
        Légalement, il n’a plus rien. Grâce à un jeu d’écritures, tout est entre les mains d’Hendrijke l’Admirable et entre les mains de Titus. Rembrandt ne possèdera plus les toiles qu’il peindra.
        Un homme vient de passer tout entier dans son œuvre. Ce qui reste de lui est bon pour la voierie, mais avant, mais juste avant, il doit encore peindre le Retour de l’enfant prodigue.
        Il meurt avant d’avoir eu la tentation de faire le pitre. »


    Jean Genet, « Le Secret de Rembrandt », Œuvres complètes, tome V, Éditions Gallimard, in Pascal Bonafoux, Rembrandt, Le clair, l’obscur, Gallimard, Collection Découvertes, page 155.






    Rembrandt_1669
    Rembrandt à 63 ans
    Rembrandt, Autoportrait, 1669
    (l’année de la mort du peintre)
    Huile sur toile, 86 × 70,5 cm
    The National Gallery, Londres






    UN PORTRAIT À LA REMBRANDT


        Le jeune avoué demeura pendant un moment stupéfait en entrevoyant dans le clair-obscur le singulier client qui l’attendait. Le Colonel Chabert était aussi parfaitement immobile que peut l’être une figure en cire de ce cabinet de Curtius où Godeschal avait voulu mener ses camarades. Cette immobilité n’aurait peut-être pas été un sujet d’étonnement, si elle n’eût complété le spectacle surnaturel que présentait l’ensemble du personnage. Le vieux soldat était sec et maigre. Son front, volontairement caché sous les cheveux de sa perruque lisse, lui donnait quelque chose de mystérieux. Ses yeux paraissaient couverts d’une taie transparente : vous eussiez dit de la nacre sale dont les reflets bleuâtres chatoyaient à la lueur des bougies. Le visage pâle, livide et en lame de couteau, s’il est permis d’emprunter cette expression vulgaire, semblait mort. Le cou était serré par une mauvaise cravate de soie noire. L’ombre cachait si bien le corps à partir de la ligne brune que décrivait ce haillon, qu’un homme d’imagination aurait pu prendre cette vieille tête pour quelque silhouette due au hasard, ou pour un portrait de Rembrandt, sans cadre. Les bords du chapeau qui couvrait le front du vieillard projetaient un sillon noir sur le haut du visage. Cet effet bizarre, quoique naturel, faisait ressortir, par la brusquerie du contraste, les rides blanches, les sinuosités froides, le sentiment décoloré de cette physionomie cadavéreuse. Enfin l’absence de tout mouvement dans le corps, de toute chaleur dans le regard, s’accordait avec une certaine expression de démence triste, avec les dégradants symptômes par lesquels se caractérise l’idiotisme, pour faire de cette figure je ne sais quoi de funeste qu’aucune parole humaine ne pourrait exprimer.


    Balzac, Le Colonel Chabert [1832], Éditions Gallimard, Collection folio classique, 1999, pp. 60-61.



    Retour au répertoire de octobre 2010
    Retour à l’ index de l’éphéméride culturelle
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes