Étiquette : René Char


  • Gabrielle Althen, Soleil patient

    par Matthieu Gosztola

    Gabrielle Althen, Soleil patient,
    Arfuyen, Collection Les Cahiers d’Arfuyen n° 225, 2015.



    Lecture de Matthieu Gosztola




    « Ce livre, même s’il dit aussi la complexité ordinaire de l’expérience existentielle, voudrait évoquer un trajet, avance l’auteure dans un éclairant « En guise d’argument ». Un trajet qui aille du gris, peut-être erroné, du moment à quelque visite furtive du meilleur. Trouver manque, son premier titre, était une expression de ma mère. Bretonne, transplantée en Algérie, elle pouvait dire qu’elle trouvait manque des ciels mobiles de sa Bretagne natale. La langue lui eût permis de dire tout simplement qu’elle en manquait. Mais l’expression – venue d’où ? – qu’elle employait, dans le paradoxe qu’elle institue entre le fait de trouver et celui de manquer, possède un caractère actif qui me touche. Il y a une initiative dans trouver manque. Falloir, le second titre, correspond à une autre initiative. Celle de répondre. Continuer et se battre pour secouer la grisaille ? Sans doute. Bien davantage cependant s’appliquer, comme on entretient un feu, à mériter son désir. »

    « [L]a poussière […] commençant à nos cœurs », la peine, la douleur apparaissent bien en premier (mais c’est pour que puisse avoir lieu – ensuite – la consolation) : « Choses noires avec choses blanches / Dans l’heure qui se tourmente / Le monde debout près de la peur […] ». « Tu appartiens à ta douleur ». « [A]imes-tu encore ton corps qui se délabre ? » « Il n’y a là aucun salut / C’est un oubli de la lumière ! »

    « La lumière est certaine mais elle est en voyage ». Quelle posture adopter, en conséquence ? Faire pousser des ombres ! « Je traversai la vitre et me baignai dans la couleur / Dans le jardin je fis pousser des ombres ». « Que la couleur me pardonne / J’ai fait pousser des ombres ! » « J’avais besoin de fleurs ». « J’étais venu pour du lilas ». « On a coupé tous les lilas ».

    « Le soleil dort encore / Et la fleur tient son cœur ». Puis la lumière paraît, cette enfant. « Dans les bois de la lumière, marche un ange à la rencontre du moment, sceau sur le jour qui fléchit, sourire à l’ombre dans l’inattendu que d’aucuns croient blessure. » « Les pentes sont très douces et la clarté aussi ». « Amen dit la lumière de la lumière ». « Car chacun, vois-tu, habite son ogive. Malgré l’ombre, une musique s’y concentre et des soleils s’entrecroisent. On cherche des accords. Sans murmures, rayonnement pour rayonnement, le tout reste secret. »

    Des larmes à la joie, des larmes au mystère : vivre ce trajet intérieur, jusqu’à l’amour (« Repère les crissements de la neuve aventure, et si parfois l’espace manque, c’est que le cœur y est futur. » « La limpidité n’épelle pas ses chemins, bien que les signes ni ne manquent ni ne mentent. Vous parcourrez ainsi beaucoup de passerelles, puis ce sera l’amour. »)

    Cela nous est possible grâce à la parole poétique (qui est notre « imperceptible clef de voûte »). Grâce à ce feu. Grâce aux doigts fous, amoureux, du vent (notre sensibilité), qui jouent, tendres, dans la chevelure de ce métaphorique (mais non moins vécu) feu.

    Si le feu qu’est la parole poétique est vécu, c’est parce qu’il n’est pas donné. Il est à construire. C’est-à-dire à recevoir (activement), avec une disposition d’accueil de tout l’être, avec une écoute sans limites données à la profondeur de cette dernière. « Nous avions il est vrai revêtu d’implacables prisons / Dans l’anfractuosité de nos phrases banales ». « Il n’y a pas encore de mots à l’horizon. » « Un mot / Pour attirer la foudre / Dans le gris sans éperons du moment ». « Des perles manquent au chapelet de la parole ». « J’ai prié / Pour que / Chaque jour la parole m’éveille ».

    Cette parole poétique, Gabrielle Althen (dont il faut lire également les très beaux essais que sont Proximité du Sphinx, Intertextes, 1991 –, Dostoïevski, le meurtre et l’espérance, Le Cerf, 2006 – et La Splendeur et l’Écharde, Corlevour, 2012), Gabrielle Althen l’abreuve au moyen (la liste n’est point exhaustive) de la mythologie, de l’Antiquité, des contes, d’une forme réinventée de la ballade, d’allusions faites à Rimbaud (« Autres saisons, autres châteaux. », « Au-dessus de la chance perdue des saisons de l’offense, la danse surélevant ses lignes où des ponts se parlaient. »…) ; elle l’abreuve et l’ouvrage (écrire : « nous étions la table où s’enfante le jour » ; « [l]a liberté fut nue sur la table du jour ») en se servant des outils de haute valeur et fort difficiles à manier que sont la formule (sa justesse, sa précision) et la beauté onirique, imprécise du rêve, se situant ainsi bellement, et de frappante manière, en ce recueil, à mi-chemin entre René Char (qu’elle a connu dès 1974) et Georges Schehadé.




    Matthieu Gosztola
    D.R. Texte Matthieu Gosztola
    pour Terres de femmes







    Gabrielle Althen, Soleil patient 2




    GABRIELLE ALTHEN


    Gabrielle Althen
    Source



    ■ Gabrielle Althen
    sur Terres de femmes

    Soleil patient (note de lecture d’Isabelle Lévesque)
    Corps à corps (poème extrait de Soleil patient)
    La Cavalière indemne (note de lecture d’AP)
    L’isole (extrait de La Cavalière indemne)
    Sans titre
    Vie saxifrage (extrait)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Une fois le gris devenu l’autre versant du bleu
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    un poème extrait de Vie saxifrage



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Arfuyen)
    la page de l’éditeur sur Soleil patient
    le site personnel de Gabrielle Althen
    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Gabrielle Althen
    → (sur La Pierre et le Sel)
    Gabrielle Althen, entre splendeur et écharde






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  • 3 janvier 1952 | Lettre de Nicolas de Staël à René Char

    Éphéméride culturelle à rebours



    Composition sans titre pour rene-char nicolas de stael (1)
    Nicolas de Staël
    Composition sans titre pour René Char, 1952
    Lithographie originale, 9/15, atelier Jean Pons, Paris
    Source





    Paris, 3 janvier 1952






             Cher René,


             Pensé à toi ce matin. Si tu envisages de donner ta pièce à Vilar* au moment propice pour le TNP, pense sérieusement à la possibilité de faire gueuler certains acteurs en scandant. N’oublie pas les Grecs. Cela me fait faire du souci, ton passage à la rampe dans cet endroit.
    Pense à l’idée de chœur scandant, mâchant tes mots. Pense aux places à quatre sous où les voix parviennent à peine, là.
             Le chœur parlé n’est pas difficile pour toi en coupe.
             Exige un rétrécissement de la scène hauteur-largeur.
             Supprime quatre à six rangées de fauteuils pour créer une zone neutre.

             Bon, excuse-moi, ça passe par ma tête comme cela.
             Pour ton ballet**, l’idéal serait une couleur par tableau.
             Un tableau blanc, blanc, blanc.
             Un bleu.
             Un rose.

             Au point de vue composition, c’est important. Le lieu de l’action ne doit pas changer nécessairement, mais alors c’est l’heure dans le ciel.
             Indique-moi cela précisément.
             Merci.


             De tout cœur.


             Nicolas




    Notes de Marie-Claude Char :

    * Jean Vilar souhaitait adapter au TNP Le Soleil des eaux de René Char, édition illustrée par Georges Braque, dont Nicolas de Staël possédait un exemplaire. Char refusa, estimant que le texte n’avait pas assez de dialogues pour le théâtre.

    ** Le projet de ballet « L’abominable Homme des neiges » s’inspire du texte « Bois de Staël », écrit par René Char lors de l’exposition du 12 décembre 1951, évoquant la découverte d’empreintes « humaines » géantes sur les flancs de l’Himalaya. René Char en confia les décors à Nicolas de Staël, qui réalisa de nombreux dessins et aquarelles préparatoires, puis se mit en quête d’un compositeur.




    René Char | Nicolas de Staël, Correspondance 1951-1954, Éditions des Busclats, 2010, pp. 86-87.





               « Pour entendre la voix de ces lettres, pour la placer dans leur timbre, il faut s’éclairer à la lumière de ces années 1951-52-53, heure d’ouverture de l’atelier du peintre à la voix du poète. Et savoir que sur la tranche du siècle, un livre parmi les plus beaux Poèmes de René Char aura consacré leur amitié.
              René Char naît en 1907 à L’Isle-sur-Sorgue. Nicolas de Staël en 1914 à Saint-Pétersbourg. Ils ont respectivement 44 et 37 ans au moment de l’embrasement d’un feu commun. « L’artisanat furieux » avec sa « roulotte rouge au bord du clou » posera son regard sur les tableaux « Ressentiment » ou « Jour de fête ».
              C’est ainsi que Le Marteau sans maître dans ses fulgurances aura été surpris par une amitié dont on peut dire qu’elle brûla comme « le vent parcourt une année en une nuit ».
              Cette toute première lettre de René Char adressée au peintre ouvre les battants d’un large portail sur leur amitié naissante sans réserve. Elle énumère le premier choc reçu de l’œuvre et celui de la personnalité du peintre — la mesure prise d’un acte de création dans un atelier à envergure de cathédrale, la présence de Françoise de Staël, qui « donne des vergers d’oliviers aux instants qu’elle gouverne », et enfin, dans l’attachement d’une première rencontre qui laisse présager un échange fructueux, des événements à venir, René Char quitte ce jour-là l’atelier en emportant une œuvre qu’il met au mur, et lui offre une « vraie et fraîche émotion ».


    Anne de Staël, Extrait de l’Avant-Propos (mai 2010) in op. cit. supra, pp. 9-10.






    Char - de Stael jpg 3





    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terres de femmes)
    16 mars 1955 | Mort de Nicolas de Staël
    → (sur YouTube) une video Gabriel Fauré, Pavane – Nicolas de Staël








    ■ René Char
    sur Terres de femmes

    14 juin 1907 | Naissance de René Char
    Dame qui vive, c’est elle
    Juvénile devenir
    La chambre dans l’espace
    La frontière en pointillé
    Souvent Isabelle d’Égypte






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  • 3 juillet 1923 | Naissance d’Henriette Grindat

    Éphéméride culturelle à rebours


    Le 3 juillet 1923 naît à Lausanne Henriette Grindat.




    Portait d-Henriette Grindat
    Image, G.AdC




         Élève de Gertrude Fehr, Henriette Grindat étudie la photographie à l’École de photographie de Lausanne puis à l’École des Arts et Métiers de Vevey, en Suisse. En 1948, elle séjourne à Paris et expose, l’année suivante, à la Librairie-Galerie La Hune. La même année, elle participe au Gewerbmuseum de Bâle à l’exposition Photographie in der Schweiz-heute. Le mois de juillet 1949 est marqué par sa rencontre avec le graveur Edgar Albert Yersin qui devient son compagnon.

        Publié aux éditions de la Guilde du Livre en 1952, Lausanne, son premier ouvrage, rassemble 50 photographies. De 1952 à 1959, Henriette Grindat multiplie les voyages : Algérie, Venise, Espagne, Proche-Orient, Afrique. Ces moments d’itinérances sont accompagnés d’expositions et de nombreuses publications : Dictionnaire pittoresque de la France (Arthaud, 1955), Le Livre des arbres (Paris, Arts et Métiers graphiques, 1956), Algérie, ouvrage préfacé par Jean Amrouche (Guilde du Livre, 1956), Méditerranée  (Guilde du Livre, 1957), Adriatique (Éditions Françoise Mermod, 1959), Le Nil  (Guilde du Livre, 1960), Matière  (Éditions Chabloz de Lausanne, 1960).

        L’année 1962 est consacrée à ses Abstractions. À la rêveuse matière (Éditions du Verseau, Lausanne, 1963), est une plaquette-estampe qui regroupe un poème de Francis Ponge, une gravure d’Edgar Albert Yersin et une photographie d’Henriette Grindat. De 1964 à 1973, l’artiste s’attache à une série sur les agaves.

        En 1965 est publié, sur l’initiative de René Char, La Postérité du soleil d’Albert Camus, aux Éditions Edwin Engelberts de Genève. Les photographies qui accompagnent le texte de cette édition à tirage limité ont été prises par Henriette Grindat au début des années 1950 à L’Isle-sur-Sorgue. Cet ouvrage, enrichi d’Itinéraire, poème liminaire de René Char, et d’une postface du poète, a fait l’objet d’une exposition éponyme dans la galerie de l’éditeur genevois. Une autre exposition La Postérité du soleil se tiendra à L’Isle-sur-Sorgue en 1967, puis en 1977.

        Entretemps, Henriette Grindat épouse Edgar Albert Yersin (1970) et effectue deux voyages aux États-Unis. En 1968, elle expose à l’Art Institute of Chicago, puis, en 1971, au Massachussetts Institute of Technology de Boston. De retour en Europe, Henriette Grindat participe à l’exposition « Print » (Lausanne) et cherche à promouvoir (avec d’autres photographes) l’édition de photographies à tirages limités.

        L’année 1984 est marquée par une exposition monographique « Photographien 1948-1983 » au Kunsthaus de Zurich, et surtout par le décès d’Edgar Albert Yersin.

        Le 25 février 1986, Henriette Grindat se suicide à Lausanne. Elle est une des grandes figures de la photographie des années 1950-1980.


                     LA POSTÉRITÉ DU SOLEIL, Extraits



    « Ici veille, sous des boucliers d’argile tiède, un peuple de rois. L’herbe pousse entre les douces tuiles rondes. L’ennemi est le vent  l’alliée, la pierre. »




    A(2)





    « Voici le proche lit de l’amour. La place
    est déjà chaude. On les entend rire, au loin. »




    « 
    Ici vit un homme libre.
    Personne ne le sert. »




    « 
    Le flot primordial se partage. Sur la pierre il devient force opaque, huile et sang noir. Mais une fois libéré, il écume dans le soleil. Cède à mon désir ! »





    B





    « 
    Le torrent est aride. Au printemps,
    il emporte tout. Les hommes qui lui
    ressemblent reçoivent la privation et la
    volupté du même coeur reconnaissant. »




    « 
    Autour de l’arbre juvénile du hasard, de frêles moissons se préparent. Demain, oui, dans cette vallée heureuse, nous trouverons l’audace de mourir contents ! »




    Albert Camus, La Postérité du soleil, Éditions Gallimard, 2009, pp. 8-20-32-40-48-66.






        « La Postérité du soleil naquit de la rencontre d’une jeune photographe, Henriette Grindat, du plaisir qu’Albert Camus prenait de plus en plus à parcourir ce pays, et de mon désir, quand je vis les premières photographies d’Henriette Grindat, d’obtenir des images, des portraits, des paysages du Vaucluse qui différaient des photographies cartes-postales ou des documents de pure recherche que le maniérisme involontaire exile aussitôt.

        Nos yeux trop rapides, peut-être trop habitués, n’en peuvent transmettre que la boursouflure ou un ascétisme affecté. Tous les pays cessent de se valoir dès qu’on différencie le relief de leur peau pour en exprimer un aspect mental qui nous importe. Je voulais qu’Henriette Grindat saisît avec son objectif l’arrière-pays qui est l’image du nôtre, invisible à autrui, et nous donnât ce que je m’efforce dans la poésie d’atteindre, si dire cela n’est pas trop hasardeux : le passé voilé et le présent où affleure une turbulence que survole et féconde une flèche hardie.

        Camus approuva. Les photographies le satisfaisaient infiniment. Le projet nous surprit ensemble, par cette pente qui est celle où nous nous définissons, de faire un livre… »


    René Char, La Postérité du soleil, Éditions Gallimard, 2009, pp. 74-75.





    ■ Voir/écouter aussi ▼

    le dossier de presse de l’exposition Henriette Grindat, Matières et Mémoire (L’Isle-sur-la-Sorgue, 7 novembre 2009 – 7 février 2010, Hôtel Campredon – Maison René Char)
    → (sur TSR Archives)
    un film de Christian Mottier et Yette Perrin sur Henriette Grindat (5 mars 1966, film réalisé à l’occasion de la publication de La Postérité du soleil)




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