Étiquette : René Daumal


  • René Daumal | [Rien ne ressemble…]



    [RIEN NE RESSEMBLE…]



    Rien ne ressemble au profond sommeil comme le suprême éveil.

    Se faire automate, c’est s’endormir ; mais s’éveiller, c’est se faire automate.

    Quoi que je fasse, c’est un faux-fuyant ; et si je ne fais rien, c’est la panique. Pan, pan, pan. Voilà le premier trouble, et toujours premier.

    Mais je sais que je fais telle chose ou que je ne fais rien, non parce que je me serais contemplé agir ou ne pas agir, mais parce que je désire faire telle chose ou ne rien faire.

    Je retrouve ainsi l’intime unité du désir, dans toute action et même ce qu’on prétend inaction, et je découvre le levier propre à me retourner : il n’est pas au dehors.

    Comme c’est facile. Mais je pense peut-être mon avenir de plusieurs années. Plus délicate en ses mouvements est la mimique du futur, plus elle est trompeuse ; mais plus on gagne à la surmonter. Métaphysique, mythologie, acte. Et prenez garde : chaque pensée a encore son fantôme.


    et puisque les monades n’ont pas de fenêtres, elles ne peuvent s’unir entre elles qu’en devenant Dieu.



    René Daumal, Exorcisme, in (Se dégager du scorpion imposé), Poésies et notes inédites, 1924-28, Éditions Éoliennes, Bastia, juin 2014, page 79. Édition établie par Claudio Rugafiori & Alessandra Marangoni.






    René Daumal





    RENE  DAUMAL


    Diptyque_ren_daumal
    Diptyque photographique, G.AdC



    ■ René Daumal
    sur Terres de femmes

    la Seule
    21 mai 1944 | Mort de René Daumal (+ un extrait du Mont Analogue)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Éoliennes)
    la fiche de l’éditeur sur (Se dégager du scorpion imposé)





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  • René Daumal | La Seule

    «  Poésie d’un jour  »



    Au_carrefour_martel_de_la_lune
    Ph., G.AdC







    LA SEULE


    Je connais déjà ta saveur
    je connais l’odeur de ta main
    maîtresse de la peur,
    maîtresse de la fin.

    J’ai touché déjà tes os
    à travers ta chair sans âge
    pétrie d’insectes millénaires
    et de calices de fleurs futures.

    J’ai dormi depuis les déluges, j’ai dormi
    au fond de toi, sur ton épaule, j’ai dormi sans nom
    ― ta poitrine n’a pas changé
    l’air de la vie n’a plus le nerf de m’éveiller ―
    ne me nomme jamais, ne me réveille pas,
    tes poumons immobiles ont désappris aux miens
    à respirer le souffle faible de ce monde,

    le mourant ! car il agonise dans les trompettes,
    les pluies battantes, et qu’il crève, le géant faible,
    monde vieillard qui s’époumone
    dans le feu pâle auréolant ta tête.
    Cette lueur, ô veilleuse aveugle des morts, pensante
    sans sommeil au fond des rêves
    loin de l’huile de la vie,
    endormeuse, nous avons ensemble ce secret
    que je t’ai pris au carrefour martelé de lune ;
    souviens-toi, tu étais habillée en petite fille,
    tu guettais sur les dalles, la bouche sur ton secret.
    […]


    René Daumal, Le Contre-Ciel [1936], Gallimard, 1955 ; Collection Poésie, 1970, pp. 62-63.





    ■ René Daumal
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    [Rien ne ressemble…]
    21 mai 1944 | Mort de René Daumal





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  • 16 mars 1908 | Naissance de René Daumal

    Éphéméride culturelle à rebours



        Le 16 mars 1908, naissait à Boulzicourt, dans les Ardennes, René Daumal.






        Diptyque_ren_daumal
        Diptyque photographique, G.AdC






        Proche des surréalistes dont il partage l’intérêt pour l’exploration de l’inconscient, l’écrivain René Daumal anime avec Roger Gilbert-Lecomte, Roger Vailland et André Rolland de Renéville (1903–1962), la revue du Grand Jeu. Assoiffé d’absolu dans un monde ruiné par les excès du rationalisme, René Daumal, cherchant désespérément à concilier métaphysique et matérialisme, se tourne vers les philosophies orientales, en particulier la spiritualité hindoue. L’œuvre entière de René Daumal porte la marque de cette quête : Contre-ciel (1936), La Grande Beuverie (1938), puis Poésie noire, poésie blanche, Le Mont Analogue, œuvres publiées en 1952, huit ans après la mort de l’écrivain, survenue à Paris le 21 mai 1944.

        Le Mont Analogue, roman d’aventures alpines, non euclidiennes et symboliquement authentiques « fut commencé par René Daumal en juillet 1939 lors de son séjour à Pelvoux dans les Alpes et à un moment particulièrement tragique des son existence. Celui-ci venait d’apprendre — à trente et un ans — qu’il était perdu : tuberculeux depuis une dizaine d’années, sa maladie ne pouvait avoir qu’une issue fatale à court terme. Trois chapitres étaient achevés en juin 1940 quand Daumal quitta Paris en raison de l’occupation allemande, sa femme, Véra Milanova, étant israélite. Après trois ans passés entre les Pyrénées (Gavarnie), les environs de Marseille (Allauch) et les Alpes (Passy, Pelvoux), dans des conditions très difficiles sur tous les plans, Daumal connut enfin, au cours de l’été 1943, un moment de répit et espéra pouvoir finir son « roman ». Il se remit au travail, mais une dramatique aggravation de sa maladie l’empêcha de terminer la relation de son voyage « symboliquement authentique ». »





    EXTRAIT du MONT ANALOGUE



        » Voici, schématiquement, comment nous pouvons nous représenter cet espace ; les lignes que je trace représentent ce que seraient les trajets de rayons lumineux, par exemple ; vous voyez que ces lignes directrices s’épanouissent en quelque sorte dans le ciel, où elles se rejoignent à l’espace général de notre cosmos. Cet épanouissement doit se produire à une hauteur telle – bien supérieure à l’épaisseur de l’atmosphère – qu’il ne faut pas songer à pénétrer dans la « coque » par en haut, en avion ou en ballon.





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         » Si maintenant nous figurons le territoire en plan horizontal, nous avons ce schéma. Remarquez que la région même du Mont Analogue ne doit offrir aucune anomalie spatiale sensible, puisque des êtres tels que nous doivent pouvoir y subsister. Il s’agit d’un anneau de courbure, plus ou moins large, impénétrable, qui, à une certaine distance, entoure le pays d’un rempart invisible, intangible ; grâce auquel, en somme, tout se passe comme si le Mont Analogue n’existait pas.





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         Supposant – je vous dirai tout à l’heure pourquoi – que le territoire cherché soit une île, je représente ici les trajets d’un navire allant de A à B. Nous sommes sur ce navire, je braque une lunette dans la direction de la marche du navire ; je vois le phare B, dont la lumière a contourné le Mont Analogue, et je ne me douterai jamais qu’entre le phare et moi s’étend une île couverte de hautes montagnes. Je poursuis ma route. La courbure de l’espace dévie la lumière des étoiles et aussi les lignes de force du champ magnétique terrestre, si bien que, naviguant avec le sextant et la boussole, je serai toujours persuadé que je vais en ligne droite. Sans que le gouvernail ait à bouger, mon navire se courbant lui-même avec tout ce qui est à bord, épousera le contour que j’ai tracé sur le schéma de A à B. Donc, cette île pourrait avoir les dimensions de l’Australie, qu’il est tout à fait compréhensible, maintenant, que personne ne se soit jamais avisé de son existence. Vous voyez ? »


    René Daumal, Le Mont Analogue, Gallimard, Collection L’Imaginaire, 1981, pp. 63-64.





    ■ René Daumal
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