Étiquette : revue littéraire mensuelle


  • Christian Dotremont | Kara




    Alechinsky
    Pierre Alechinsky, Rectangles et noeuds II, 1965.
    Eau-forte exécutée pour illustrer un poème de Christian Dotremont
    dans Paroles peintes II, éditions Lazare Vernet, Paris, 1965.
    Tirage : 15 épreuves signées imprimées en sanguine.







    KARA




    Kara petit nœud de rien du tout
    deux mains serrées au sein des glissements

    Petit ruban de terre sur les cheveux
    sur les fourrures des monts et des vaux

    Drap tendu qui sèche entre les
    Gorges sur les bras de la première pluie

    Karapitale des bois
    de l’âge que j’avais quand je serai vieux

    Où les rennes tordent un cri
    les yeux à l’égyptienne

    Pincée de cordes de cornes
    à tue-tête avec le rien

    Mon grand Nord qui dort la gueule ouverte
    sur toi petit piège chaud

    Lasso assis sur la carte
    blanche de l’espace étalé

    Karasciure de neige dans la
    menuiserie des arbres

    Du bois dont on fait les fleurs
    les racines hautes et les ramures basses

    Entre racines et racines
    un renne qui traîne un renne

    Qui mange un doigt de lichen
    dépassant de l’hiver



    ____________________________
    Ce poème daté de 1961 n’a pas été repris dans les Œuvres poétiques complètes de Christian Dotremont publiées au Mercure de France. Il fait partie d’un ensemble de quatre poèmes parus avec une lithographie de Pierre Alechinsky dans Paroles peintes II, Paris, Lazare-Vernet, 1965.



    Christian Dotremont, Paroles peintes II, éditions Lazar-Vernet, Paris, 1965, in Europe, revue littéraire mensuelle, « Christian Dotremont », n° 1079, mars 2019, pp. 72-73.






    Dotremont Europe




    CHRISTIAN DOTREMONT


    Christian-Dotremont Portrait
    Source




    ■ Christian Dotremont
    sur Terres de femmes


    [Et nous avons traversé toutes sortes de bonnes choses] (extrait d’Ancienne éternité)
    Quand l’avez-vous vue ? (autre extrait d’Ancienne éternité)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Les Hommes sans épaules)
    une notice bio-bibliographique sur Christian Dotremont





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  • Andrès Sánchez Robayna, Patmos (extrait)




    PATMOS (extrait)



    Au commencement, un nom, sa muette résonance.

    Rien d’autre qu’un nom ? Tu sais bien qu’ainsi commence,

    et peut-être ainsi finit,
    la vibration du soleil sur le versant, dans le couchant

    de septembre,
    sur la couleur du chardon,
    une couleur indistincte,
    entre l’acceptation et l’abandon, comme si
    dans l’aubépine brillait la lumière finissante,
    que personne ne contemple. Ainsi le commencement.

    Le commencement. Un nom, deux syllabes qui jaillissent
    comme la langue de l’eau sur le rivage.
    Elles glissent ainsi que deux petites vagues
    sur cette plage déserte,
    et font tinter des galets,
    s’entrechoquer des cailloux sous la lumière du temps.

    Le nom. Ne glisses-tu pas, toi, à l’intérieur de l’ombre,
    entre noms et rivages, entre les noms véritables
    et la lumière qui sauve ?
    Mais ne dis pas qu’un nom n’est rien d’autre qu’un nom,
    il contient le matin, et le soir qui s’éteint, tamisé

    par le temps,
    deux syllabes s’enflammant dans le brasier de juillet.
    Le vent s’agite en elles, et dans la canne sifflante.

    Le nom te convoquait. Tu connaissais le signe.

    Il n’y a peut-être rien d’autre que tu connaisses,
    ce son obscur des noms, les paroles

    obscures,
    les archétypes,
    comme sur la page d’Hölderlin,
    lue en juillet,
    quand le soleil est un ravissement.

    Va aux syllabes
    indestructibles.

    C’est le son obscur qui convoque ainsi
    dans les montagnes de l’île.



    […]




    Andrès Sánchez Robayna, Patmos, in Europe, Revue littéraire mensuelle, novembre-décembre 2018 n° 1075-1076, pp. 242-243. Traduit de l’espagnol par Claire Laguian.





    ANDRÉS SÁNCHEZ ROBAYNA


    Andres-Sanchez-Robayna
    Source




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur la plateforme Vimeo en ligne)
    Patmos. Ainsi le commencement (vidéo-poème)
    → (sur YouTube)
    Patmos, lu par Andrés Sánchez Robayna (2012)
    le site d’Andrès Sánchez Robayna





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  • César Vallejo | Chapeau, Manteau, Gants



    Cafe de la Regence
    Paris : Le Café de la Régence, en 1900







    CHAPEAU, MANTEAU, GANTS



    En face de la Comédie-Française, se trouve le Café
    de la Régence ; il y a là une salle
    cachée, avec un fauteuil et une table.
    Lorsque j’entre, la poussière immobile est déjà debout.

    Entre mes lèvres faites liège, le bout
    d’une cigarette fume, et dans la fumée l’on voit
    deux intenses fumées, le thorax du Café,
    et dans le thorax un oxyde profond de tristesse.

    Il importe que l’automne se greffe sur les automnes,
    il importe que l’automne s’intègre dans les bourgeons,
    le nuage dans les semestres ; dans les pommettes, la ride.

    Il importe de passer pour fou en postulant
    que chaude est la neige, fugace la tortue,
    simple le comment et le quand fulminant !



    César Vallejo, Poèmes Humains in Europe, revue littéraire mensuelle, novembre-décembre 2017, n° 1063-1064, page 23. Traduit de l’espagnol par Florence Delay.







    Vallejo







    SOMBRERO, ABRIGO, GUANTES



    Enfrente a la Comedia Francesa, està el Cafè
    de la Regencia ; en él hay una pieza
    recóndita, con una butaca y una mesa.
    Cuando entro, el polvo inmovil se ha puesto ya de pie.

    Entre mis labios hechos de jebe, la pavesa
    de un cigarrillo humea, y en el hume se ve
    dos humos intensivos, el tórax del Café
    y en el tórax, un óxido profundo de tristeza.

    Importa que el otoño se injerte en los otoños,
    importa que el otoño se integre de rotoños,
    la nube, de semestres ; de pómulos, la arruga.

    Importa oler a loco postulando
    ¡qué calida es la nieve, qué fugas la tortuga,
    el cómo qué sencillo, qué fulminante el cuándo !



    César Vallejo, Poemas humanos (1923-1938), Les Éditions des Presses modernes, Au Palais Royal, juillet 1939. Supervision de Georgette Marie Philippart.





    CÉSAR VALLEJO


    Vallejo-portraitpicasso1
    Pablo Picasso, Portrait posthume
    de César Vallejo,
    1938





    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Esprits Nomades)
    César Vallejo, Une alchimie de l’incandescence et de la révolte
    → (sur le site de Libération)
    Vallejo, Valse trilce, par Philippe Lançon





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  • Mahmoud Darwich | Des vœux



    DES VŒUX



    Ne me dis pas : Que ne suis-je vendeur de pain en Algérie
    Afin d’entonner un chant avec un rebelle !
    Ne me dis pas : Que ne suis-je gardien de troupeaux
    Au Yémen
    Afin de célébrer de ma voix les révoltes !
    Ne me dis pas : Que ne suis-je garçon de café à La Havane
    Afin d’exalter les victoires des démunis !
    Ne me dis pas : Que ne suis-je portefaix à Assouan
    Afin de chanter les rochers !

    Ô mon ami !
    Le Nil ne pourra jamais se déverser dans la Volga
    Ni le Congo dans l’Euphrate ou le Jourdain
    Tout fleuve a sa source, son courant, sa vie !
    Ô mon ami, notre terre n’est pas stérile
    Toute terre a son jour de naissance
    Toute aube, son rendez-vous avec un rebelle !



    Mahmoud Darwich, « Poèmes anciens (1964-1977) », in Europe, revue littéraire mensuelle, janvier-février 2017, n° 1053-1054, page 34.






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    MAHMOUD DARWICH


    Mahmoud-Darwish




    ■ Mahmoud Darwich
    sur Terres de femmes

    Je demeure vivant
    Si le jeune homme était un arbre



    ■ Voir aussi ▼

    le site de la revue Europe (présentation du n° 1053-1054 – Mahmoud Darwich – janvier/février 2017 + sommaire et préface en PDF)





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  • Paul Celan | Tübingen, Jänner




    TÜBINGEN, JÄNNER



    Zur Blindheit über-
    redete Augen.
    Ihre — “ein
    Rätsel ist Rein-
    entsprungenes” —, ihre
    Erinnerung an
    schwimmende Hölderlintürme, möwen-
    umschwirrt.

    Besuche ertrunkener Schreiner bei
    diesen
    tauchenden Worten:

    Käme,
    käme ein Mensch,
    käme ein Mensch zur Welt, heute, mit
    dem Lichtbart der
    Patriarchen: er dürfte,
    spräch er von dieser
    Zeit, er
    dürfte
    nur lallen und lallen,
    immer-, immer-
    zuzu.

    (“Pallaksch. Pallaksch.”)







    TÜBINGEN, JANVIER



    Les yeux saoulés de mots re-
    disant d’être aveugle.
    Leur — « Énigme ce qui
    est pur
    surgissement » — leur
    souvenir de
    tours Hölderlin flottant dans les
    tourbillons de mouettes piailleuses.

    Visites de menuisiers noyés à
    ces
    mots en plongée :

    Si venait,
    si venait un homme,
    si venait un homme au monde aujourd’hui, avec
    la barbe de lumière des
    Patriarches : il pourrait,
    s’il parlait de ce
    temps, il
    pourrait
    seulement bredouiller et bredouiller
    toujours, rebredouiller tou-
    jours, -jours

    (“Pallaksch, Pallaksch.”)



    Paul Celan, «  Tübingen, janvier » in revue littéraire mensuelle Europe, septembre-octobre 2016, n° 1049-1050, pp. 188-189. Traduction de Jean-Pierre Lefebvre.






    Celan Europe




    PAUL CELAN


    Paul_celan
    Dirk Hagner, Portrait de Paul Celan
    Reduction woodcut on washi, 2000
    102 x 57 cm
    Source




    ■ Paul Celan
    sur Terres de femmes

    23 novembre 1920 | Naissance de Paul Celan
    La main pleine d’heures
    Lob der Ferne
    Lointains
    Stimmen
    TANT D’ASTRES
    13 février | Paul Celan, Tout en un
    5 décembre 1960 | Lettre de Nelly Sachs à Paul Celan
    Jeudi 11 décembre 1969 | Lettre de Paul Celan à Ilana Shmueli
    Correspondance Nelly Sachs | Paul Celan (lecture d’AP)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Lyrikline)
    Paul Celan disant lui-même dix de ses propres poèmes





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