[TI HO VISTO CERCARE PER ORE]
Ti ho visto cercare per ore la
parola perfetta,
chiudere le stanze del tempo
e spalancare la terra con dita nude
alla ricerca del suono giusto
è un lavoro chirurgico il tuo
non ci sono scogliere a picco
sull’oceano
e non c’è vento a scompigliarti
i capelli
così ti ho visto scartare la vita
sfiorarne il respiro migliore
ed allontanarlo
solo perché non adatto al tuo verso
la mia vita invece non suona così
i miei pensieri steccano spesso
e le stanze del mio tempo
le ho spalancate urlando
parole sgradevoli
le prime trovate sotto mano
(non sono un chirurgo
dio solo sa quanto ci abbia provato)
e vomitando, ruttando, gridando ed
insultando
io le mie scogliere le ho trovate
nei boschi di Big Sur
e più a oriente, nelle Ebridi interne,
le ho trovate in mezzo alla
piana di Sigiriya
ed infisse come denti bianchissimi
sulle bocche di Bonifacio
e non smetterò di cercarle
ovunque le mie gambe mi porteranno
finché mi reggerà il fiato
il vento nei capelli invece
manca ad entrambi
e non ho neppure mani da passarci
se tutto quello che mi è stato dato
è un alfabeto diligente.
Alessandro Brusa, La raccolta del sale, Giulio Perrone editore, collana Poiesis, Roma, 2013, pp. 102-103.
[JE T’AI VU CHERCHER PENDANT DES HEURES]
Je t’ai vu chercher pendant des heures le
mot parfait,
verrouiller les chambres du temps
et fouiller la terre à doigts nus
à la recherche du juste son
un travail de chirurgien le tien
il n’y a ni falaises à pic
sur l’océan
ni vent pour t’ébouriffer
les cheveux
ainsi je t’ai vu écarter la vie
en effleurer le souffle le meilleur
et l’éloigner
uniquement parce que non adapté à ton vers
ma vie, elle, ne sonne pas pareil
mes pensées jouent souvent faux
et les chambres de mon temps
je les ai grand ouvertes en hurlant
des mots déplaisants
les premiers trouvés sous la main
(je ne suis pas chirurgien
dieu seul sait combien j’ai essayé)
et vomissant, rotant, criant et
insultant
moi mes falaises je les ai trouvées
dans les forêts de Big Sur
et plus à l’orient, dans les Hébrides intérieures,
je les ai trouvées au milieu de la
plaine de Sigiriya
et plantées comme des dents à la blancheur parfaite
sur les bouches de Bonifacio
et je n’aurai de cesse de les chercher
partout où mes jambes me mèneront
tant que le souffle me portera
le vent dans les cheveux en revanche
nous manque à tous les deux
et je n’ai pas même de mains à y passer
si tout ce qui m’a été donné
est un alphabet diligent.
Traduit de l’italien par Silvia Guzzi.
Recension de La raccolta del sale, par Fabio Michieli *
(traduite de l’italien par Silvia Guzzi)
Le sel pour panser le temps : le temps passé, et le temps proche; parce que le sel cicatrise, le sel condamne, mais il conserve aussi ce qu’il est bon d’emporter avec soi dans l’avenir, ou du moins dans le présent quotidien. Ainsi c’est l’expérience de vie qui est mise sous sel et projetée vers demain. Et récolter le sel est un art, comme l’est la poésie (sans rhétorique).
La poésie d’Alessandro Brusa va droit au centre, parce que son centre c’est la vie. Sa poésie, ses mots (qui, comme il le dit, « l’habitent »), est directe mais elle demande, à juste titre, en conséquence, obligatoirement, un certain effort, une certaine attention de la part du lecteur : parce que c’est l’éthique même de son écriture qui le veut.
Bannies les formes closes, banni le vers canonique : le discours est haché, fragmentaire et reconstruit par étapes. Le vers est en chute et plus d’une fois il prend certaines choses pour acquises et se permet de commencer par deux points. Un usage de la ponctuation qui n’a que faire des formules avant-gardistes rabâchées (celles qui donnent çà et là des coups de pied dans le vide) mais qui participe de la construction du discours et indique des pauses qui ne sont pas seulement syntaxiques : ce sont des pauses de la pensée ; elles rendent fidèlement l’idée que tout ce qui est écrit et qui se lit à l’instant est la conséquence d’une expérience qui n’entend pas voiler la rage, la douleur, la joie, l’amour, le désir, la peur. L’intention d’Alessandro Brusa n’est pas de dissimuler le corps derrière les mots mais plutôt de construire le corps avec les mots (ceux qui « l’habitent »).
La présence de nombreuses synesthésies doit donc être appréciée du double point de vue linguistique et psychologique : les audacieuses associations de mots habituellement étrangers l’un à l’autre – du moins dans le langage courant – sont l’expression d’une perception très personnelle de son vécu et de sa façon à lui de l’analyser.
C’est ainsi que se manifeste un moi poétique que l’on retrouve dans presque tous les poèmes de La raccolta del sale mais que l’on se gardera bien de qualifier d’omnipotent dans la narration : car le moi ne domine pas la scène, pas plus qu’il ne la contrôle. Le moi est acteur d’une évolution, d’un parcours rythmé en cinq parties qui dialoguent entre elles, à deux doigts du roman de formation (Alessandro Brusa, rappelons-le, a débuté avec un roman) sans toutefois se prendre au piège d’une narration indésirable. Rien de tout cela.
La manière dont il se dévoile nous renvoie davantage au passé, voire aux poètes romantiques anglais, à un Percy Bisshe Shelley qui, tel un involontaire Virgile, illustre le premier volet du recueil Nel silenzio del suo sangue. Et le voilà, le sang, la première humeur du corps que l’on croise dans ces poèmes. Un corps à la fois observé du dehors et ausculté du dedans. Encore une fois, c’est ce déchiquètement net et précis qui le distingue d’une grande partie de la poésie de ces dernières années qui a placé le corps au centre de son propos.
Un corps démembré et reconstruit sur lequel se lisent clairement toutes les cicatrices que le sel de la vie a séchées et soignées. Exposées et non pas cachées. Aucune opération de reconstruction plastique et, dès lors, faut-il encore le répéter, aucun recours à des formes closes ni à aucun mètre rassurant et reconnaissable.
La raccolta del sale est le premier chapitre d’une poétique du corps qui commence à s’écrire vraiment aujourd’hui.
Fabio Michieli
D.R. Fabio Michieli
pour Terres de femmes
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Fabio Michieli est né à Venise en 1971. Licencié es-lettres (lettres modernes), il a soutenu une thèse sur Niccolò Tommaseo et son récit historique Il duca d’Atene, dont il a publié en 2003 une édition critique et commentée (éd. Antenore, Padoue). Il est l’auteur de nombreux textes critiques sur Niccolò Tommaseo, notamment parus dans les Quaderni Veneti et dans le Giornale storico della letteratura italiana. Son recueil poesieDire a été publié en 2008 par “L’arcolaio”, maison d’édition dont il dirige la collection « Fuori collana ». Les recensions de ce grand lecteur de poésie et de romans sont reproduites sur le site www.alleo.it et dans divers ouvrages et revues (“l’immaginazione”, Italian Poetry Review). Il assure aussi, aux côtés de Gianni Montieri et d’Anna Maria Curci, la rédaction en chef du blog littéraire Poetarum Silva.
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