Étiquette : Salah Al Hamdani


  • Isabelle Lagny — Salah Al Hamdani | [Dans la lumière blanche]


    [DANS LA LUMIÈRE BLANCHE]




    Dans la lumière blanche
    nuée d’arbres
    où s’échouent
    tous les bateaux [S. A. H.]

    Traînée d’oiseaux moqueurs
    sur la langue de l’aube
    Une saison déchirée par l’aridité
    du roc sur l’horizon
    [I. L.]

    De toi
    je mords
    la part de temps
    et ce qu’il te reste de nuit

    Étire ton amour rugueux
    jusqu’au sel qui chemine
    dans les anfractuosités de l’air
    abris de coquillages
    échos de mon désir


    Finie l’Euphrate
    comme le souvenir de mon père
    dans une fiole
    emplie de dunes

    L’oiseau du balcon
    qui donnait sur le néant
    n’est pas revenu de la guerre

    Tu t’échappes sans cesse
    Tentative de crier
    lorsqu’une voile
    essaye de te retenir

    Mes écrits s’égouttent
    à ton départ
    et mes empreintes
    s’attardent sur tes jours brisés

    Sautons à cloche-pied
    Sur l’étrangeté d’un destin
    Où chaque tragédie
    Fait éclore un bonheur

    Je presse ta poitrine
    au souvenir d’une blessure
    Elle sourd de ma langueur
    sous l’œil goguenard des mouettes


    C’est toujours de la même citadelle
    qu’il faut s’échapper
    embrasser l’autre rive

    L’amour lui-même
    ne suffit plus
    ainsi que cette blessure
    qui s’efface en silence
    dans ton rêve

    Des hommes traversent le pont
    ma pensée s’évade
    comme un cheval
    sous le poids d’un mirage
    et me voilà déjà en toi

    Serai-je la foudre
    ou cette infime lueur qui s’échappe
    de la page ?

    … (Silence)



    Isabelle Lagny — Salah Al Hamdani, « Prisme » (extrait) in Contrejour amoureux, Le Nouvel Athanor, 2016, pp. 93-94-95-96-97. Préface de Jacques Ancet.






    Contrejour amoureux






    SALAH AL HAMDANI


    Salah Al Hamdani  NB2
    Ph. Helmut Schneese



    ■ Salah Al Hamdani
    sur Terres de femmes

    Bagdad, désespérément (extrait de Rebâtir les jours)
    Le début des mots (extrait de Bagdad mon amour)
    Saison du sel







    Salah Isabelle 2
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (dans la poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Isabelle Lagny
    → (sur BabelMed)
    une lecture de Contrejour amoureux par Cécile Oumhani
    → (sur BabelMed)
    un entretien avec Salah Al Hamdani et Isabelle Lagny, auteurs de Contrejour amoureux (propos recueillis par Cécile Oumhani et publiés le 14 mars 2016)
    → (sur RFI)
    Salah Al Hamdani dans En sol majeur (Yasmine Chouaki)
    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Salah Al Hamdani
    → (sur YouTube)
    un entretien avec Salah Al Hamdani





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  • Salah Al Hamdani | Le début des mots



    Bagdad mon amour 2
    Photomontage de Ronny Someck
    Source








    LE DÉBUT DES MOTS



    Je vous appelle dans cette aube blanche dépourvue de neige. Vous qui habitez le même matin que moi, qui voyez le même ciel que moi. Cela fait trente ans que j’essaie de vous rejoindre avec mon exil.

    Ma jeunesse, mes belles années, je les ai enterrées auprès de vous, je les ai comptées, je les ai mastiquées et recomptées pour fabriquer des souvenirs.

    Ma vie d’autrefois ne racontait rien d’important. En Orient, avant cette plongée dans votre histoire, votre civilisation, ma vie n’avait pas d’autre forme que la prison, l’angoisse et les pleurs.

    En 1975, mon bateau a jeté l’ancre dans les gencives de votre ville, de vos rues. Avec vos chiens, vos poètes, vos écrivains, vos artistes et vous-même, ma vie prenait l’apparence du rêve. J’ai alors tellement dissipé de joies sur les murs de Paris, sur vous, sur votre nuit et sur vos matins.

    Je ne voulais rien perdre. Donner sans compter, mais ne rien gaspiller, tout consommer pour vivre l’instant. Durant ma convalescence, après Bagdad, pour m’habituer à l’absence de la mère, j’écrivais des poèmes.

    J’ai suivi les chemins fébriles de toutes ces années, grêle de froid qui s’écrase en sanglots amers. Tous ces sanglots de vos histoires s’écoulaient en moi avec sécheresse.

    Tout le marbre des monuments, figurines, statuettes, effigies, bustes babyloniens, mes nuits, mes fleuves et mes appels à la souveraineté ont été dérobés de mon corps au grand souk de l’Orient, par Napoléon-Saddam.

    Dans mon pays natal, on allait à la mosquée, on se mettait en rang devant Allah et on disait bonjour à la mère de celui qu’on avait exécuté la veille à mains nues. On nourrissait les mensonges, on faisait le ramadan le jour et on se saoulait le soir. Les discours autour du livre saint étaient raffinés. La nourriture l’était aussi. Les morts et les victimes avaient la couleur du sable de l’Orient.

    On y était les champions innommables de la conjugaison du verbe tuer : Je tue, tu tues, il (elle) tue, nous tuons, vous tuez, ils (elles) tuent. On avait inventé le zéro à seule fin de comptabiliser tous les morts. Nous sommes les champions dans notre manière de faire nos choix entre nos cadavres et ceux des autres.

    Je vous appelle de très loin, de mon cimetière et de ces morts pour rien. Je vous écris de mes champs de victimes, de ce silence amer, de la lâcheté de tous les dieux des hommes.

    Le mal de vivre loin des miens m’affole. Je n’ai pas grand-chose pour menacer ma nuit, ni inquiéter ma tumeur en pleine obscurité, sinon prononcer le nom de la lumière des steppes à haute voix :

    Madinat Al-Salam*, Bagdad mon amour

    Je suis heureux que le boucher de tes enfants, Saddam

    soit mort

    Oh ! Malheur de ma mère, dis-moi quel bourreau sera le suivant…

    Dans ma chambre, l’autre soir, j’ai souri à un aigle venu me couver de ses ailes déployées, comme un nuage noir sur un jardin d’hiver. Ma nuit est toujours la même, moi, le silence et cette idée de posséder le jour.



    Salah Al Hamdani, Bagdad mon amour, suivi de Bagdad à ciel ouvert, Le Temps des Cerises, 2014, pp. 15-16-17. Préface de Jean-Pierre Siméon.





    _________________________________
    * NOTE : Madinat Al-Salam (cité de la paix), ancien nom de Bagdad.






    Bagdad mon amour








    SALAH AL HAMDANI


    Salah Al Hamdani  NB2
    Ph. Helmut Schneese



    ■ Salah Al Hamdani
    sur Terres de femmes

    Bagdad, désespérément (extrait de Rebâtir les jours)
    Saison du sel
    Isabelle Lagny — Salah Al Hamdani | [Dans la lumière blanche] (extrait de Contrejour amoureux)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site de France Culture)
    Salah Al Hamdani lisant l’extrait (ci-dessus) de Bagdad mon amour
    → (sur RFI)
    Salah Al Hamdani dans En sol majeur (Yasmine Chouaki)
    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Salah Al Hamdani
    → (sur YouTube)
    un entretien avec Salah Al Hamdani






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  • Salah Al Hamdani | Bagdad, désespérément






    Bagdad_7
    Source







    BAGDAD, DÉSESPÉRÉMENT



    Partir sans se quitter soi-même
    regarder simplement le bleu de la mer
    et s’imprégner de la chair du ciel

    Ne pas fuir sa nuit
    sur un navire inerte

    Partir n’est pas regarder devant
    mais corriger l’usure du temps
    ébarber les saisons

    Partir ne signifie pas chasser le clair de lune
    mais l’aube qui aboie au fond de l’homme

    Car c’est ici
    que l’averse dissimule l’ombre de Bagdad
    comme au retour d’un long voyage
    comme une saison obscure
    cadencée par le deuil

    Le lointain vient en petites vagues
    et se fixe comme une aile sur mon matin

    Alors je sors
    je marche
    et je m’élève
    dans la lumière aveuglante

    Puis je me balance
    comme un hiver égaré dans sa brume



    Salah Al Hamdani, Rebâtir les jours, Éditions Bruno Doucey, Collection « L’autre langue », 2013, pp. 35-36.







    Hamdani








    SALAH AL HAMDANI


    Salah Al Hamdani  NB2
    Ph. H. Schneese



    ■ Salah Al Hamdani
    sur Terres de femmes

    Le début des mots (extrait de Bagdad mon amour)
    Saison du sel
    Isabelle Lagny — Salah Al Hamdani | [Dans la lumière blanche] (extrait de Contrejour amoureux)



    ■ Voir aussi ▼

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  • Salah Al Hamdani | Saison du sel



    Une femme au visage d'argile
    Ph., G.AdC








    SAISON DU SEL


    à Isabelle


    Je voudrais offrir à tes yeux des rivières
    des roses absolues
    des années labourées sans récolte de cendres
    Je voudrais remonter notre destin de l’abîme
    préserver la mémoire de l’euphorie
    loin des rêves pris entre les plis du silence
    d’exilés morts à force de regret

    Tu vois que les caprices de notre automne ne mènent à rien
    Les saisons n’ont pas laissé de traces
    et la rivière étirée en cortège d’ombres blanches
    parle de blessures
    comme de cendres après la pluie

    Ce sont de vieux jours incendiés de haines
    qui nous ont permis d’apprivoiser la paix
    Jours en mouvement lent
    comme des restes de braises
    dans la nuit morte

    Il nous échoie la blancheur du sel
    que le destin a tissé au royaume du vent
    aussi haut que mes jours torturés

    Avec ta sève
    et ce sel perdu dans les pentes et l’ombre éblouie
    de tes hanches
    que mon corps sans cesse conquérant
    remonte
    la forêt écimée dans l’immensité
    nue face à la mer
    témoignera un jour
    que le vent a humé les pierres
    et dispersé les nuits brisées
    d’une femme au visage d’argile



    Salah Al Hamdani in Revue Sarrazine n° 13, Papier(s), 2012, pp. 54-55.








    SALAH AL HAMDANI


    Salah Al Hamdani  NB2
    Ph. H. Schneese



    Poète et écrivain de langue française et arabe, Salah Al Hamdani est né en 1951 à Bagdad. Exilé en France en 1975, il a commencé à écrire en prison politique en Irak vers l’âge de 20 ans. Il est aujourd’hui l’auteur de nombreux ouvrages littéraires (romans, poésies, nouvelles et récits) écrits et publiés pour la plupart en arabe ou en français. En 2008, Emmanuèle Lagrange a réalisé un documentaire sur lui : Bagdad-Paris, Itinéraire d’un poète.



    ■ Salah Al Hamdani
    sur Terres de femmes

    Bagdad, désespérément (extrait de Rebâtir les jours)
    Le début des mots (extrait de Bagdad mon amour)
    Isabelle Lagny — Salah Al Hamdani | [Dans la lumière blanche] (extrait de Contrejour amoureux)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

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    une fiche bio-bibliographique sur Salah Al Hamdani
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    un entretien avec Salah Al Hamdani





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