Étiquette : Sandrine Cnudde


  • 11 avril 2015 — Printemps | Sandrine Cnudde, Patience des fauves

    Éphéméride culturelle à rebours



    M1603         11 avril — PRINTEMPS




    Un prix pour le pain,
    un prix pour les affiches,
    un pour le péage de l’autoroute,
    le granulé pour le poêle,
    un prix pour les chaussures du petit,
    un prix pour le kiné qui te répare l’épaule,
    et toi, le poète, tu coûtes combien ?
    Tu le chiffres comment, le kilomètre à pied,
    le vers qui te réveille la nuit,
    la question qui te brûle le cerveau pour bien la formuler,
    l’élagage de phrase, au mètre cube ?
    Personne ne veut payer l’immatériel ? Eh bien matérialisons !
    Encartons les poèmes, roulons les rimes, ficelons les fiches de lecture de nos paysages intérieurs : je me ferai colporteur. À petits gestes économes, à petits pas précieux, porterai la parole des poètes jusque chez vous. Une pièce suffira, on se débrouille déjà comme ça, et la retraite se fera à l’ombre des vautours.
    Allons voir le code ROME de cette étrange activité : M1603. Parfait ça sonne comme une machine gun à la Belleveaux. J’ai du pain sur la planche, d’autant que le TMT ne pourra bientôt plus me le payer, parce que la ville de Marvejols coule à pic, érodant tous les pans des actions sportives, sociales et culturelles. Mais je suis sûre que l’imagination va innover avec force en ce pays de liberté et de résistance. Après tout, la Bête du Gévaudan, c’est de l’intérieur qu’elle fut terrassée.
    Aujourd’hui j’emporte un peu la tristesse de mes amis. Quand je reviendrai, je compte bien l’avoir transformée.



    29/03/2015 Élections départementales : la gauche perd le Nord / le Pas-de-Calais est en vigilance orange « vents violents » / 4 randonnées pyrénéennes sont désormais accessibles en mode immersion sur Google Street View 30/03/2015 L’État islamique renouvelle sa revendication de l’attaque du musée du Bardo à Tunis / Une route est en construction dans les Alpes pour faciliter les recherches suite au crash de l’A320 provoqué par un pilote suicidaire 31/03/2015 Des plongeurs trouvent 25 statuettes de la Vierge dans le canal de Roubaix / Deux énormes tempêtes balayent le nord de l’Europe/ Personne n’a encore gagné les 73 millions d’euros de l’Euromillions 06/04/2015 L’Inde commande 36 avions de guerre à la France / 150 dauphins s’échouent sur une plage au Japon/ Dans l’Yonne ; organisation du premier speed-dating spécial agriculteurs 08/04/2015 Le magazine Fluide glacial fête ses 40 ans et rend hommage à Charlie hebdo / Lors d’une commission publique à Washington, la NASA affirme que l’humanité est proche de déceler la présence d’une vie extraterrestre / Nouveau pic de pollution à Paris 11/04/2015 Au Panama, poignée symbolique entre Barack Obama et Raul Castro / Une nonne tibétaine s’immole par le feu en refus de placer le drapeau chinois sur le toit de son monastère / Un os de babouin est identifié parmi les 89 os du squelette de Lucy



    Sandrine Cnudde, Patience des fauves, Réseau d’affûts en territoire poétique, Collection Po&psy a parte, éditions érès, 2017, pp. 98-99.






    Sandrine Cnudde  Patience des fauves
    SANDRINE CNUDDE


    Sandrine_Cnudde

    Source



    ■ Sandrine Cnudde
    sur Terres de femmes

    [Je sais que parfois la flamme vacille](extrait d’Habiter l’aube)
    Habiter l’aube (lecture d’AP)
    Gravité/Gravedad (lecture d’AP)



    ■ Voir aussi ▼

    le blog de Sandrine Cnudde
    → (sur Chemins d’étoiles)
    une fiche bio-bibliographique sur Sandrine Cnudde
    → (sur le site des éditions érès)
    la fiche de l’éditeur sur Patience des fauves de Sandrine Cnudde






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  • Sandrine Cnudde, Habiter l’aube

    par Angèle Paoli

    Sandrine Cnudde, Habiter l’aube,
    Collection « La route de cinq pieds », éditions Tarabuste, 2016.
    Treize photographies de l’auteur.



    Lecture d’Angèle Paoli


    Extrait-habiter
    Ph. Sandrine Cnudde, Habiter l’aube, page 8.
    « C’est une maison pleine de trous.
    Une rivière terreuse la traverse de lune en lune.
    L’éclat des pas retourne des miroirs pâles
    et de vieux taureaux éteints boivent au rouge de nos doigts.
    C’est la maison de l’aube. » (Sandrine Cnudde, Habiter l’aube, page 9)
    Source







    UN CHANT D’ÉTERNITÉ




    Dans la cochlée de la caverne murmure le chant des doigts qui effleurent. Parois qui se dessinent, strates oblongues bosselures concrétions. Se glisser par la chatière, laisser l’eau du sol incertain absorber le corps, prendre appui, se rassurer à l’ombre obscure de la lumière, noir profond d’un temps inatteignable. Les mains tâtonnent, les paumes trempent dans les ocres. Ancrent leurs formes dans la roche. Mains déployées à même les pliures et les fissures pariétales.

    Pourtant l’on n’y voit rien. Ou si peu et si mal. On ne distingue que chapelets de pierre de cristaux, ramifications rideaux et striures, superpositions de lignes ombrées. Les photos de Sandrine Cnudde, « bougies allumées » que la poète insère en pages hors texte, sont efflorescences de noir de blanc où filtrent des lueurs parmi les frondaisons, derrière les cils, le long des « cloisons sombres ». Il faut se faufiler derrière la poète, repousser les peurs de la nuit, avec elle « habiter l’aube ». Se défaire de ses us et petits conforts, la suivre sur les sentes. « Je te convie à voir », écrit-elle, dès les premières pages de son dernier recueil : Habiter l’aube. Et la lectrice de la suivre. Avide. D’emboîter le pas de la poète à travers la remontée des siècles. Ou, plus simplement, d’emprunter le même chemin : « suivre cette rivière à pied ». La Vézère ; depuis le plateau de Millevaches où la rivière prend sa source, jusqu’aux grottes de Dordogne où notre temps se perd dans la nuit des temps. Avec elle se fondre. En elle reconnaître sa part d’humanité :

    « Vézère, je masse ta fontanelle liquide

    qui opère les liquides de ma masse.

    Je suis de cette humanité sédimentée sur tes rives.

    Le soleil brille. »

    Œil-torche. Pupille et paupière inversées. Fente verticale qui cille plus étrangement et fixe, derrière ridules et poils, lumière sombre d’un œil géant d’auroch, peut-être. Se glisser-voir, tenter de retrouver et de faire revivre ce qui fut il y a des millions d’années et que voyaient les magdaléniens nos ancêtres, qui nous ont précédés en ces lieux. Traquer le paysage. Fossiles calcaires de vertèbres le long desquels fendre les pentes jusqu’à l’orée des lavandes.

    D’où nous vient cette nostalgie des aurochs ? Lisant Habiter l’aube, je m’interroge. Avec Sandrine Cnudde pour guide, le désir opère, profond, qui tenaille longtemps après la traversée du voyage poétique auquel elle invite. Voyage en préhistoire. Traversée silencieuse sous les nuages, dans le contact permanent avec l’eau et la pierre, les arbres et les étoiles. Avec pour seul compagnon le chien complice de ses peurs. Ensemble ils forment un étrange hybride ; un « cyclope à six pattes ». Seul susceptible de faire « sauter la calcite déposée sur nos langues. » Lesquelles « se renouent dans une inclusion goulue d’humanité. »

    Le désir est tenace, chez la poète, de retrouver ce « versant animal », indissociable de son projet de marcheuse. Il devient aussi le nôtre. Magie des mots qui rend possible l’appropriation du monde, ou plus exactement un fusionnement profond semblable sans doute à celui que réalisaient nos ancêtres en peignant sur les parois rocheuses des cavernes. Scènes de chasse émouvantes, poursuite des grands fauves laineux, mammouths géants et cerfs — ces « scribes-à-la ramure »  —, qui perpétuent leur course à travers temps.

    « Au fond des grandes réserves de nuit

    il y a des murs mous activés par des doigts agiles

    secoués de tourbillons cornus et de remous à bosses. »

    En amont d’ « habiter l’aube », il y a les origines :

    « La source : une jeune fille sans visage ». Doublée d’un poids plume :

    « Ce doit être d’avoir trop longtemps

    pesé moins de cinquante kilos

    et trop souvent déménagé

    pour ressentir un tel besoin de

    massif

    central »

    Avant la jeune fille, en remontant plus loin encore, il y a une petite fille de cinq ans. Sandrine Cnudde se retourne un instant sur ses jeunes années et y croise la rivière Corrèze, affluent de la Dordogne à qui elle rend hommage. Chant vibrant inscrit sur une photo en double page, ombres et trouées de lumière :

    « Ô Corrèze, Corrèze !

    mégacéros de mon enfance.

    Je connais ma taille dans tes forêts.

    Ta Souvigne est

    ma rivière juste

    en nouant les bras, j’en croise les deux rives. »

    Comme un écho à cette double page et à cet hymne à la Corrèze survient l’hommage aux « pères », poème qui se déroule sur huit vers (libres) entre deux vers identiques, formant paroi, rives d’une même rivière qui se rejoignent après découlement de son flot :

    « Les pères partent comme les pentes pleines d’eau-fièvre. » (vers 1 et 8 de la page 23)

    Pères invisibles qui poursuivent leur route et hantent la mémoire, plus présents sans doute et plus vrais que nombre d’inventions qui s’imposent au regard par la violence.

    C’est toujours aux intersections que se fait l’échange et que se construit le monde. Couseuse infatigable, Sandrine Cnudde brode ses contes sur la répétition et sur les formules incantatoires. En magicienne sensible aux rituels célestes, elle dialogue avec l’aigle, proche en cela des artistes qui habitaient les grands espaces glaciaires, en adéquation parfaite avec le monde animal. Adepte de la verticalité et de l’élévation, la conteuse-couseuse connaît l’art d’assembler les « parcelles » pour composer le dessin de son espace mental, land art personnel que domine « la grande forêt ».

    « À l’écoute d’un souffle venu des fissures de la terre », la poète renoue avec les origines du monde. Et redécouvre ce qui la fonde en profondeur :

    « tu réalises alors que ce que tu
    contactes dans ce ravin des années
    c’est ta seule Robe irradiante
    nudité. »


    Habiter l’aube. Une leçon de vie exigeante et profonde. Une « barque de papier » où rejoindre « l’âge d’homme » en suivant le cours secret des rivières, celui-là même qui permet à la poète de partager avec nous son « chant d’éternité ».



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Sandrine Cnudde, Habiter l'aube,




    SANDRINE CNUDDE


    Sandrine_Cnudde
    Source



    ■ Sandrine Cnudde
    sur Terres de femmes

    [Je sais que parfois la flamme vacille](extrait d’Habiter l’aube)
    Gravité/Gravedad (lecture d’AP)
    11 avril 2015 — Printemps | Sandrine Cnudde, Patience des fauves



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  • Sandrine Cnudde | [Je sais que parfois la flamme vacille]




    [JE SAIS QUE PARFOIS LA FLAMME VACILLE]





    Je sais que parfois la flamme vacille. C’est le seuil du soupirail.
    Tous les vacillements ne sont pas des découpes sur un jour décliné.
    À l’intérieur des yeux très vieux, une clarté semble faire appel d’air,
    elle se déplace sur des éclats de comètes. C’est pourquoi je
    préfèrerais qu’il n’y ait pas d’avions dans le ciel.
    Quelque chose comme le crâne très dur d’un rhinocéros
    attarde les doigts sur le contact des barrages hydroélectriques.
    Faire partie du monde qui va à sa perte en prenant le temps de plier
    les drapeaux, décorseter les semences, monter sur le ring de la pluie
    (pour le rebours des tambours et la liquidation des querelles).
    Au temps des neiges invariables : l’offrande des torches.
    Laisser le vent rappeler l’étincelante poussière.
    Je sais que si on avait pu faire autrement, on aurait choisi les mêmes
    couleurs.



    Sandrine Cnudde, Habiter l’aube, Tarabuste, 2016, page 29. Treize photographies de l’auteur.






    Sandrine Cnudde, Habiter l'aube,




    SANDRINE CNUDDE


    Sandrine_Cnudde
    Source



    ■ Sandrine Cnudde
    sur Terres de femmes

    Habiter l’aube (lecture d’AP)
    Gravité/Gravedad (lecture d’AP)
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  • Sandrine Cnudde, Gravité/Gravedad

    par Angèle Paoli

    Sandrine Cnudde,
    Gravité/Gravedad,
    éditions Lanskine,
    Collection « l’Instantané », 2015.



    Lecture d’Angèle Paoli



    Sandrine Cnudde, Gravité, ph
    « Un certain récit, échappé des ombres,
    Veut être dit : il ruisselle des entailles »

    _____________________
    Sandrine Cnudde, Gravité/Gravedad,
    éditions Lanskine, page 15.
    Ph. © Sandrine Cnudde.







    LA VOIE(X) VIVIFIANTE D’« UNE VERTICALE CHANTANTE »




    La marche est au centre. Elle va de pair avec la gravité qui donne son titre au livre singulier de Sandrine Cnudde. Gravité/Gravedad. Titre polysémique, avec ce sérieux qui accompagne la marcheuse dans la gravité solitaire de son entreprise. Marcher sur les sentes, le long des frontières et sur les seuils, ne va pas sans péril. Entre escarpements et failles, progresser de « Mar a Mar » exige une ténacité de fer. Mais rien n’arrête la poète, qui clame haut et fort : « Dehors sera ma maison ! ». Et la traversée pédestre des Pyrénées se fait de « rives à rives ». D’est en ouest. En cinq étapes qui s’échelonnent sur cinq années. Avec des ellipses temporelles plus ou moins longues.

    Que reste-t-il de tout ce temps voué à la marche, depuis la Méditerranée jusqu’à l’Atlantique ? Cet Atlantique qui ne se peut atteindre, que l’on n’atteint jamais ? De Banyuls à Hendaye, de montagnes en dénivelés, de haltes en pérégrinations marquées d’interrogations multiples et de doutes. Que reste-t-il ? Et entre temps, d’une année l’autre, que s’est-il passé ?

    Il reste des photographies. Cinq en tout. « Je photographie une forme de souvenirs », confie Sandrine Cnudde dans le cahier où elle couche ses notes. Photos de paysages en noir et blanc, montagnes pierreuses et rochers, échelonnements de crêtes, troupeaux de brebis et moutons paissant au pied des nuages. Il reste de courts poèmes annoncés par des dates. 11 juin 2005/29 juillet 2008/4 septembre 2011… Poèmes incisifs « rasés au plus près du vécu », que leur brièveté rapproche des haïkus. Il reste aussi, qui ponctuent de la même façon le recueil, cinq poèmes plus longs. Dont la forme médiévale, l’organisation régulière — trois quintils séparés par un refrain — et la structure rimée sont empruntées au virelai, poème à forme fixe connu en France dès le XIIIe siècle. On pourrait songer à Christine de Pisan ou à Guillaume de Machaut. Mais c’est au trouvère Guiot de Dijon que la poète-marcheuse emprunte le vers qui la guide et l’encourage dans sa marche et dans son travail d’écriture : « Chanterai por mon corage ».

    Les virelais qui jalonnent l’ouvrage confèrent à ce recueil original son tempo ainsi qu’une musicalité autre. Dans le même temps, ils constituent des moments de pause dense, à tonalité épique. La poète — cette « verticale chantante » — cheminant de l’un à l’autre, dialogue avec les ombres qui gîtent au creux des failles. Par le choix des images, le premier virelai évoque le récit médiéval de combats « que le tranchant d’un seul cri désencombre ». Le second poursuit la marcheuse jusque dans les « lambeaux vaporisés » de sa mémoire. Dans le troisième, celle-ci fait halte pour affronter les images qui l’assaillent. Dont celle de la licorne : « Presser mon œil contre son œil, et croire. » Opposant passé et présent, le quatrième virelai évoque les chants anciens d’« élagueurs de cols », de mâtures et de navires. Montagne et mer ici se rejoignent. Ne participaient-elles pas l’une et l’autre des mêmes rêves, des mêmes conquêtes ? Le dernier virelai chante la fin du périple. La traversée a permis à la marcheuse d’entrevoir un instant l’« enfance nue ». Mais les interrogations demeurent, qui ouvriront sans doute de nouveaux espaces.

    « J’ai pu joindre les rebords des pays,

    Où les jumeaux* retournent les cohortes ;

    Rendue, telle une voile qui faseye

    À cette interrogation que je porte

    Aux ouvertures qui bégayent.

    La chute des corps ? Un sursis sans pareil. »

    Ainsi se clôt Gravité/Gravidad.

    Mis à part le précédent refrain — « La chute des corps ? Un sursis sans pareil » —, chaque ritournelle (reprise par 3 fois) présente une variante. Parfois par léger glissement, quasi imperceptible à première lecture. Le même et le dissemblable s’épaulent et s’épousent en harmonie. Beauté et mystère de ces refrains qui scandent le poème :

    « De rives à rives, il marchait sur son ombre. » / « De rives à rives, il marche sur son ombre. » / « De rives à rives, tu marches sur ton ombre. »

    Ainsi l’ensemble des virelais rejoint-il le projet initial de la poète-marcheuse. Elle marche, elle chante, déposant ses cairns sur le blanc de la page ; comme autant de jalons qui ponctuent le temps qui ponctuent l’espace. Petits joyaux qui pépitent au cœur de l’effort.

    « Hélas, à défaut de transformer le fer en or,

    ma peine ne produit qu’un formidable

    charivari de forge. » (14 juin 2005)

    Malicieuse Sandrine Cnudde, qui s’y entend en transmutation poétique : de « fer en or » à « forge », voilà un bien joli mot-valise ! Et qui sait également jouer des fricatives. Le joli « charivari » en effet que celui que s’offre cet ébouriffement de « f ».

    Mais il est vrai qu’il en faut des efforts pour « conquérir la matière “montagne”. » Il faut grimper et puis descendre, monter encore, descendre à nouveau ; affronter cordillères et gouffres, surmonter ses peurs ses angoisses :

    « Je désapprouve la désescalade

    de la cheminée du Canigou.

    Je proteste vivement contre

    ce chaos vertical plus funeste

    qu’un rassemblement de sorcières. » (16 juin 2005).






    Moutons
    « Les troupeaux pleurent sous la lune mongole »
    ________________________
    Sandrine Cnudde, Gravité/Gravedad,
    éditions Lanskine, page 43.
    Ph. © Sandrine Cnudde.






    Il en faut aussi du chemin pour se libérer de ses propres « méfiances ». Il en faut du temps pour se délester de ce qui peu importe. Parfois même, l’oubli gagne progressivement jusqu’à effacement des mots et de soi. Parfois, au contraire, la marche réserve des rencontres. Sandrine Cnudde est ouverte à ce qui se présente. Elle cueille l’instant tel qu’il se pose devant elle. Avec simplicité et gourmandise. Et c’est bonheur que de la suivre et que de la lire, même lorsque la montagne effraie.

    « Devant l’abri sous roche,

    le réchaud frétille pour une poignée de girolles. » (2 août 2008)

    Renouer avec la montagne, c’est accepter de s’en remettre à elle, avec modestie. La montagne décape nettoie ravive libère. Remet chaque chose à sa juste place. Et la poète accueille les images que celle-ci suscite en elle ou qu’elle lui offre.

    « À mes pieds des bancs de sardines et les cétacés.

    Il y a des millions d’années.

    Je me contenterai de la vision

    sous les petites jupes jaunes. » (2 août 2008)

    Marcher est toute une entreprise. Il y faut peine et courage. Pour le plaisir de goûter, après la terreur et l’effort, au sentiment d’intense liberté que cet effort procure. Goûter à pleins poumons et mordre à pleines dents. Dans la sensualité simple des bonheurs octroyés par la vie en pleine nature.

    « Quelle chance d’aller dans le vent !

    Quel délice de dormir à la lune et ses

    museaux d’argent !

    Quelle fortune de manger à

    la grâce de l’herbe et

    aussi, à l’occasion,

    de sentir le bouc. » (17 juin 2005)

    Pour ce plaisir-là, qu’elle nous offre en partage, pour sa courageuse endurance, pour sa gaîté sans pareille, pour sa belle jeunesse, que la poète soit saluée.

    « Chaque matin j’endosse la vie

    comme une nouvelle tentative

    de soulever le ciel. », écrit-elle le 9 août 2009.

    Cette voie(x)-là est vivifiante. Que son « corage » la porte toujours plus loin toujours plus avant, là où la conduisent ses pas, « jeune chien/défroissant l’horizon » dans la jubilation ludique de son écriture.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli




    _________________________________
    * Les jumeaux : nom donné aux deux rochers qui forment l’anse d’Hendaye.






    Sandrine Cnudde, Gravité.jpg 2




    SANDRINE CNUDDE


    Sandrine_Cnudde
    Source



    ■ Sandrine Cnudde
    sur Terres de femmes

    Habiter l’aube (lecture d’AP)
    [Je sais que parfois la flamme vacille](extrait d’Habiter l’aube)
    11 avril 2015 — Printemps | Sandrine Cnudde, Patience des fauves



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  • Olav H. Hauge | Nous ne voguons pas sur la même mer



    ME SIGLER IKKJE SAME HAVET



    Me sigler ikkje same havet,
    endå det ser so ut.
    Grovt timber og jarn på dekk,
    sand og sement i romet,
    djupt ligg eg, seint sig eg,
    stampar i broddsjø,
    uler i skodde.
    Du sigler i ein papir båt,
    og draumen ber det blå seglet,
    so linn er vinden, so var er bylgja.







    NOUS NE VOGUONS PAS SUR LA MÊME MER



    Nous ne voguons pas sur la même mer,
    trompeuses sont les apparences.
    Ferrailles et grumes sur le pont,
    sable et ciment dans mes soutes,
    je m’enfonce, je suis lent,
    je foule les vagues houleuses,
    je hulule dans la brume.
    Toi tu vogues sur un bateau de papier,
    ta voile bleue gonflée de rêves,
    si tiède le vent, délicate la vague.




    Olav H. Hauge, Bateau de papier, édition bilingue, Éditions érès, Collection PO&PSY dirigée par Danièle Faugeras et Pascale Janot, Toulouse, 2014, s.f. Sélection de 28 poèmes établie et traduite du norvégien par Anne-Marie Soulier. Photographie de Sandrine Cnudde.







    Olav H. Hauge, Bateau de papier






    OLAV H. HAUGE


    Olav_h_hauge
    Ph. Jan Kløvstad, Samlaget
    Source



    ■ Olav H. Hauge
    sur Terres de femmes

    Bashô
    Le pays bleu



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions érès)
    une fiche sur Bateau de papier
    → (sur Ici et là, le site de la Maison de la Poésie de Saint-Quentin-en-Yvelines)
    une lecture de Bateau de papier par Hervé Martin
    → (sur Recours au poème)
    une lecture de Bateau de papier par Andreea Lemnaru





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