Étiquette : Série américaine


  • Peter Gizzi | Scratch Ticket



    SCRATCH TICKET




    Confetti in April
    Confetti in May

    This was the last party
    the animal sun asleep

    O stymie dewy surprising thing
    Leaf, you have arrived again

    The web is on the vine
    and the cricket clicks

    If the blue toned arc
    inside the vender’s luck

    If time itself doubled back
    and unwound the string

    How is it this afternoon
    being wide be also crystal —

    the total vista bright
    Let this and that begin

    O wind remember the tune
    Bird, enough of your trill





    Peter Gizzi, The Outernationale, Wesleyan University Press, Middletown, CT 06459, 2007, pp. 17-18.







    Gizzi couv








    AU GRATTAGE




    Confetti en avril
    Confetti en mai

    C’était la dernière fête
    le sommeil du soleil animal

    Ô chose mouillée trouée surprise
    Feuille, te revoilà

    La toile est sur la vigne
    et le criquet clique

    Si l’arc aux tons bleus
    dans la chance du vendeur

    Si le temps lui-même faisant demi-tour
    et déroulant sa corde

    Comment se fait-il que cet après-midi
    bien qu’immense soit aussi cristallin —

    la perspective totale et lumineuse
    Que ceci et cela commencent

    Ô vent souviens-toi de la musique
    Oiseau, ça suffit tes trilles





    Peter Gizzi, L’Externationale, Éditions Corti, Série américaine, 2013, pp. 25-26. Traduction de Stéphane Bouquet.






    Peter Gizzi  L'Externationale




    PETER GIZZI


    Peter Gizzi_NewBioImage_Credit-ElizabethWillis
    Ph. D.R. Elizabeth Willis
    Source





    ■ Peter Gizzi
    sur Terres de femmes


    Bolshevescent (autre poème extrait de The Outernationale)




    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur poets.org)
    une notice bio-bibliographique sur Peter Gizzi
    → (sur YouTube)
    une lecture par Peter Gizzi de huit poèmes extraits de The Outernationale et leur traduction en français (sauf le dernier) par Stéphane Bouquet (“Une panique qui peut encore me tomber dessus”, 1.2.3.4.5 + “Spectre sans titre d’Amherst” + “Un jardin occidental” + “L’Externationale”) [gale­rie éof, 15, rue Saint-Fiacre – 75002 Paris | 29 mai 2012]






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  • Rae Armantrout | Saved



    SAVED




    That job.    The tabulator
    empty figures
    you enjoyed the rhythm of.

    In heaven already?



    ‘Nothing

    to speak of’
    you said.
    But I was driven.



    I read aloud

    Old Lao-Tze’s quiet field
    his empty rivers.

    Making speech a raft



    Rae Armantrout, Extremities, The Figures, Berkeley, CA, 1978.






    Rae Armantrout, Extremities









    SAUVÉS




    Ce travail.    Tabulation
    figures vides
    dont tu aimais le rythme.

    Déjà au paradis ?



    « Rien

    à dire »
    as-tu dit.
    Mais j’étais déterminée.



    Je lisais à voix haute

    Champ calme du vieux Lao Tseu
    ses fleuves vides.

    Faire de la parole un radeau



    Rae Armantrout, Extrémités, suivi de L’Invention de la faim, éditions Corti, Série américaine, 2016, page 41. Traduit par Martin Richet.






    Rae Armantrout, Extremites






    RAE  ARMANTROUT


    Rae Armantrout 2
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Corti)
    la page de l’éditeur sur Extrémités de Rae Armantrout
    → (sur Poetry Foundation)
    une page sur Rae Armantrout
    → (sur le site de Editions Eclipse)
    le texte intégral (en anglais [américain]) d’Extremities de Rae Armantrout




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  • Jerome Rothenberg | Poèmes des carnets du castor



    POÈMES DES CARNETS DU CASTOR







    LE DIEU

    vieux castor homme —

    ce grand
    transformateur


    LES TUEURS

    langues noires de mouton —
    jadis mangeaient les hommes


    L’HABITATION

    six poteaux —
    une maison —
    en forme de fourneau —
    faite de terre grasse —
    d’herbes et de branches


    LE FESTIN

    le chaudron se dilatait —
    il ne pouvait pas —
    tout manger


    LE CANNIBALE

    ce castor a tué —
    deux castors


    LE LEURRE

    de la viande de mouton entre —
    ses jambes —
    s’assit et attendit


    LE PLAN

    les pattes étaient des mains —
    les pieds étaient des rames —
    les queues étaient des truelles —
    les dents étaient des haches


    LA FUITE

    enduisit de sang —
    ses raquettes


    LE CHANT

    « notre mère —
    « vent et pluie —
    « à midi —
    « les jambes d’un homme

    « notre père —
    « vent et grêle —
    « la nuit —
    « le buste d’une femme


    LE MONDE

    baies sous —
    l’eau —
    roses dans l’huile


    LE SIGNE

    une tête de loutre


    LE FESTIN

    nénuphars —
    champignons —
    pommes de terre —


    LA MORT

    prit la mère —
    en paix — les fils
    peu après


    LA FIN

    comme des peaux de castor —
    étalées sur la glace



    Jerome Rothenberg, « 1/Castors », Journal seneca, Éditions José Corti, Série américaine, 2015, pp. 29-30-31-32. Traduit par Didier Pemerle.






    Journal seneca







    JEROME ROTHENBERG


    Rothenberg-1
    Source



    ■ Jerome Rothenberg
    sur Terres de femmes

    Ancestral scenes (IV)
    Conversations en maya (extrait de Secouer la citrouille)
    Visées : Kunapipi



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur remue.net)
    une lecture de Journal seneca par Sereine Berlottier
    → (sur Poems and Poetics)
    d’autres poèmes extraits de Journal seneca de Jerome Rothenberg
    → (sur Poetry Foundation)
    une bio-bibliographie (en anglais) de Jerome Rothenberg
    → (sur le site des éditions Corti)
    la page de l’éditeur sur Journal seneca de Jerome Rothenberg
    → (sur Pennsound [University of Pennsylvania])
    de nombreux poèmes dits par Jerome Rothenberg





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  • John Ashbery | To Redouté



    TO REDOUTÉ



    To true roses uplifted on the bilious tide of evening
    And morning-glories dotting the crescent day
    The oval shape responds:
    My first is a haunting face
    In the hanging-down hair.
    My second is water:
    I am a sieve.

    My only new thing:
    The penalty of light forever
    Over the heads of those who were there
    And back into the night, the cough of finishing petal.

    Once approved the magenta must continue
    But the bark island sees
    Into the light:
    It grieves for what it gives:
    Tears that streak the dusty firmament.



    John Ashbery, The Tennis Court Oath [1957], Wesleyan University Press, Middletown, Connecticut, 1962.






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    À REDOUTÉ



    Aux vraies roses soulevées par la marée bileuse du soir
    Aux volubilis qui pointillent le jour croissant
    La forme ovale répond :
    Mon premier, un visage, vous hante
    Entre les cheveux qui pendent.
    Mon second est l’eau :
    Je suis un crible.

    Ma seule chose neuve :
    Le châtiment d’une éternelle lumière
    Sur les têtes de ceux qui étaient là
    Et de retour dans la nuit, la toux du pétale finissant.

    Une fois approuvé le magenta doit continuer
    Mais l’île d’écorce scrute
    La lumière :
    Elle souffre de ce qu’elle offre :
    Des larmes qui éraflent le firmament poussiéreux.



    John Ashbery, Le Serment du Jeu de Paume, Éditions Corti, Série américaine, 2015, page 20. Traduit par Olivier Brossard.







    John Ashbery, Le Serment du Jeu de Paume





    JOHN  ASHBERY


    Ashbery350
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Guernica)
    Houses at Night : Erica Wright interviews John Ashbery (February 8, 2008)
    → (sur le site des éditions Corti)
    la fiche de l’éditeur sur Le Serment du Jeu de Paume





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Rachel Blau DuPlessis | [It’s hard for me to talk about poetry]




    J’ai mis des mots au plus profond des poèmes  Comme au fond d’un tunnel
    Ph., G.AdC






    [IT’S HARD FOR ME TO TALK ABOUT POETRY]



    27.




    Il m’est difficile de parler de poésie. De sa singularité. Mon sentiment à l’encontre de toute raison consommable, c’est qu’elle importe. Tant de choses sont en jeu. Tant de chantiers abandonnés. Le oui et le non, en simultanéité. Le combat pour arriver à réparer, simplement même pour dire ce qui est, comment c’est, et pourquoi cela submerge d’émotion, ça, de questions constantes et jamais résolues.


    Quand je rencontre les professionnels dont le travail est d’évaluer le développement, l’aide, l’impact sur la santé, les fonctionnement des infrastructures, et l’éducation scolaire, qui vont étudier l’inégale répartition des maladies dans le monde, qui ont besoin de services, de responsabilités sociales, de changements de politique, qui mettent l’accent sur les articulations minimes qui modulent de nouveaux résultats à partir de résultats dévastateurs, qui veulent identifier l’endroit où une modification est possible, qui veulent évaluer, au moyen de critères assurés d’entrées et de sorties, le travail accompli…


    j’en reviens à mon admiration, à mes questions. Comment faire que la confrontation dont la poésie est l’expression d’une force à une intervention — de façon qu’on sente le tout en son entier


    différemment. Au-delà d’un seul, mais au-dedans aussi.


    Comment parler de niveau de l’art comme sol à partir d’où faire lever.
    Compassion, empathie, résistance. Respect pour l’inconnu, l’inconnaissable, même. Voie d’accès à l’intime complexité des langues et des structures, dans les mailles des grammaires musicales.
    Comment aller au-delà de la « technologie des solutions » en faisant de l’analyse elle-même saturation verbale. Comment produire de la résonance.


    Je me suis donc mise à écrire dans le dedans des poèmes
    J’ai mis des mots au plus profond des poèmes
    Comme au fond d’un tunnel


    pour le dire à mots très noirs.




    Rachel Blau DuPlessis, « Brouillon 85 : Tirage/Épreuve, Section 27 » [Draft 85: Hard Copy], in Brouillons, Éditions Corti, Série américaine, 2013, pp. 195-196. Traduit par Auxeméry avec la collaboration de Chris Tysh.







    DuPlessis, Brouillons






    RACHEL BLAU DUPLESSIS


    RACHEL BLAU DuPLESSIS
    Source



    ■ Rachel Blau DuPlessis
    sur Terres de femmes

    Image persistante (extrait de Tabula rosa)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site des éditions Corti)
    la page de l’éditeur sur Brouillons de Rachel Blau DuPlessis
    → (sur remue.net)
    Rachel Blau DuPlessis, Brouillons, par Sereine Berlottier
    → (sur Conjunctions)
    le texte intégral (en anglais) du Brouillon 85
    → (sur Electronic Poetry Center)
    une bio-bibliographie de Rachel Blau DuPlessis
    → (sur PennSound)
    un très grand nombre d’archives sonores et vidéos
    → (sur PennSound)
    Rachel Blau DuPlessis disant le Brouillon 85 [Section 27] ci-dessus [It’s hard for me to talk about poetry]





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  • Peter Gizzi | Bolshevescent





    Profondeur de champ - distance de netteté existant avant et après le sujet sur lequel on fait la mise au point.
    Source






    BOLSHEVESCENT




    You stand far from the crowd, adjacent to power.
    You consider the edge as well as the frame.
    You consider beauty, depth of field, lighting
    to understand the field, the crowd.
    Late into the day, the atmosphere explodes
    and revolution, well, revolution is everything.
    You begin to see for the first time
    everything is just like the last thing
    only its opposite and only for a moment.
    When a revolution completes its orbit
    the objects return only different
    for having stayed the same throughout.
    To continue is not what you imagined.
    But what you imagined was to change
    and so you have and so has the crowd.




    Peter Gizzi, The Outernationale, Wesleyan University Press, Middletown, CT 06459, 2007, page 79.







    Gizzi couv








    BOLCHEVESCENT




    Tu te tiens loin de la foule, à la lisière du pouvoir.
    Tu considères le bord autant que le cadre.
    Tu considères la beauté, la profondeur de champ, l’éclairage
    pour comprendre le champ, la foule.
    Tard dans le jour, l’atmosphère explose
    et la révolution, eh bien, la révolution est tout.
    Tu commences à voir pour la première fois
    chaque chose est comme la dernière chose
    seulement c’est son contraire et seulement pour un instant.
    Quand une révolution accomplit son orbite
    les objets reviennent mais seulement différents
    d’être restés les mêmes tout du long.
    Continuer n’est pas ce que tu imaginais.
    Mais ce que tu imaginais c’était de changer
    et voilà tu l’as fait, et la foule aussi.




    Peter Gizzi, L’Externationale, Éditions Corti, Série américaine, 2013, page 82. Traduction de Stéphane Bouquet.






    Peter Gizzi  L'Externationale




    PETER GIZZI


    Pour  vignette peter gizzi
    Source




    ■ Peter Gizzi
    sur Terres de femmes


    Scratch Ticket (autre poème extrait de The Outernationale)




    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur poets.org)
    le poème “Bolshevescent” dit par Peter Gizzi (+ une notice bio-bibliographique)
    → (sur YouTube)
    une lecture par Peter Gizzi de huit poèmes extraits de The Outernationale et leur traduction en français (sauf le dernier) par Stéphane Bouquet (“Une panique qui peut encore me tomber dessus”, 1.2.3.4.5 + “Spectre sans titre d’Amherst” + “Un jardin occidental” + “L’Externationale”) [gale­rie éof, 15, rue Saint-Fiacre – 75002 Paris | 29 mai 2012]







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  • Lorine Niedecker, Louange du lieu et autres poèmes

    par Sylvie Besson

    Lorine Niedecker, Louange du lieu et autres poèmes,
    Éditions José Corti | Prétexte, Série américaine, 2012.
    Traduit par Abigail Lang, Maïtreyi & Nicolas Pesquès.



    Note de lecture de Sylvie Besson



    La poésie de Lorine Niedecker fissure le réel

    « La poésie de Lorine Niedecker fissure le réel
    autant qu’elle en tire toute sa saveur 
    »
    Ph., G.AdC








    LE PLAIN-CHANT DU MONDE




    Lire les poèmes de Lorine Niedecker, c’est avoir l’impression tout à la fois de découvrir des vies minuscules, de dérober des fragments de minéralité et de s’engager dans le grand cycle de la nature, tant sa poésie émerge d’une main d’encre, main née de la Terre, de la passion et des méditations, à l’instar des crevasses de son existence qui s’infiltrent dans ses écrits. La phrase poétique de Lorine peut être tranquille comme un lieu d’eau et de silence ou gracieusement intempestive comme une inondation au début du printemps ; l’écriture complexe et insaisissable de la poète alterne formes brèves ou longues bordées, délivre, de brisures en brisures syntaxiques, rythmiques, et discrètement lyriques, une compréhension sensible d’un monde qui ne cesse de se transformer autant qu’il reste imperméable au changement :



    « La vie est naturelle
              dans l’évolution
                     de la matière


    Rien en elle
           au-dessus de la pierre
                     simplement


    les papillons
           sont plus vifs
                     que la pierre


    L’homme
           a la vie dure
                     sur ce perchoir rocheux


    près de la mer
           il imagine
                     des œuvres pérennes
    » (p. 149)



    Lire Lorine Niedecker, c’est aussi faire l’expérience d’une voix dont la note de tête annonce la chaleur des notes de fonds ; les vers vibrent, dans leur disposition, en de légers décalages visibles puis reviennent à l’initial de la ligne, à travers les choses vues, jusqu’à une nouvelle avancée lisible du sens. De la même manière, les bruissements de la campagne, les eaux dormantes des marais et le cloisonnement des villes dessinent en ondes vibratoires les parcours de lignes émaillées de ballades populaires ou folks, de chansons blues, de comptines désabusées et d’haïkus ironiques, sautant de rythmes en rythmes, conciliant l’énergie du monde avec le puiser du Verbe. Il y a là, quelque part, un art singulier pour voix plurielles, un art entièrement précieux, une poésie unique et mélodique qui porte cette apparente diversité et se hérisse seule en résistance. Pour la poète, sa poésie consiste à travailler tous les plis et replis de la langue par des jeux sur les sonorités, des coupes et des élisions ; ainsi Lorine Niedecker interroge, observe et retranscrit les choses en mots simples, parfois enfantins, la couleur des arbres, le lancer du pêcheur ou les nénuphars odorants, son regard est contemplatif et rieur à la fois, déjouant avec humour et dérision la peur du vide, apprenant à conjuguer le mouvement du monde avec les fragments de son quotidien pour mieux se fondre dans un réel habité de couleurs mouvantes et d’eaux létales :



    « J’ai vécu dans le vert
    oblique et bas
          de berge et d’ombre
                     Enfance à barboter
    dans les herbes


    […]


    J’étais le pluvier solitaire
    un porte-plume
          pour os d’aile
    À partir des notes secrètes
    je dois voguer
    » (pp. 167-168)



    Apparaît, ici, aussi bien un tableau vivace qu’une peinture troublée par des zones d’ombre exhalant la décomposition ou l’Obscur, et si la lumière s’estompe, si l’eau stagne, si le règne des insectes et des marécages s’épanouit, ce lieu demeure néanmoins « un paradis vert », moins sujet d’épouvante que cycle naturel, moins objet de mort qu’éloge miraculeux des noces de la Terre avec l’impermanence des êtres. Il est impossible d’aborder Lorine Niedecker sans évoquer inlassablement la polyphonie de son style, économe par instants pour voir le « sang sur la pierre », suffisamment précis par ailleurs pour se faufiler avec une fatalité tranquille et retrouver « la pierre dans le sang ». De page en page s’érige une véritable architecture personnelle, c’est-à-dire un art de lire et d’écrire le monde perçu à l’aune d’une sensibilité qui bouleverse autant qu’elle éclaire, écriture pétrie du désir d’Être, habitée, hantée par une grâce qui lui a été dictée par la matière du monde : « J’ai vécu dans le vert / oblique et bas / de berge et d’ombre / Enfance à barboter / dans les herbes // Érables pour se balancer / glissando du gobe-mouche ― / vibrante / voix / de vase » (p. 167). Inclassable style à l’esthétique de bure et de soie, la poésie de Lorine Niedecker peut ainsi se déplacer en profondeur et rester, par jeux de mots, espaces blancs et juxtapositions, sur des réalités alternatives. À cela viennent s’ajouter des influences autant variées que conductrices, celles de Shelley, Wordsworth, Yeats, Emily Dickinson, Marianne Moore, Wallace Stevens, Zukofsky… Dans l’isolement du Wisconsin rural, ce furent là ses compagnons de route ou de déroute, poésie donc moins marécageuse qu’il n’y paraît, la méditation monologuée s’éloigne de l’objectivisme proposant une plongée dans la géographie locale et les résonances romantiques, entre l’Être et le Paysage, comme « les traces des choses vivantes » dans les eaux mortes de Black Hawk, eaux animées par le souffle et le respir : « Ma vie / près de l’eau ― / Écoute // la première grenouille / du printemps // ou la planche / sur le sol froid / qui craque // Les rats musqués / rongent / les portes // de la jungle verte / des arts et lettres / Razzia // des lapins / sur mes laitues / Un bateau // deux ― / pointés vers / ma grève // sous les envols / gouttes d’ailes / traîne d’algues // de la tendre / et grave ― / Eau » (pp. 136-137). La langue travaillée est en conséquence de labour, les mots charrient, retournent, tassent, soulèvent, cultivent, créant bosses et trous, franchissant seuils et frontières inconnues ; cette langue mouvementée, chahutée, désarticulée n’est attirée que par les états-seuils, entre le familier et l’étranger, entre les contours d’une syntaxe desserrée et l’emprise qu’elle a sur cette dernière. En effet, la poésie de Lorine creuse les sillons d’un chemin nerveux et noueux, vertigineux et vigoureux comme la main même qui y applique de bout en bout sa tension, cernant et effaçant le réel dans un même élan. Mais, de cette tension, le texte tire sa force, hormis son propre effort de conscience, répondant à la tâche d’aujourd’hui qui est pour la poète de conquérir son propre espace intérieur à travers l’Extérieur et accéder à la posture de l’Ouvert. En fait, la voix de la poète regarde puis rompt, observe puis réduit, cette voix née du regard est la même qui unit dans son chant, mot après mot, le simple et le sublime, le condensé et l’effeuillement des choses sensibles :



    « Je m’allongeais
              avec ce qui brille
    J’ai vu une étoile siffler
              à travers le ciel
    avant de tomber
    » (p. 91)



    En somme, la poésie de Lorine Niedecker fissure le réel autant qu’elle en tire toute sa saveur, elle l’épure autant qu’elle le fortifie. Sa vie en eau trouble réapparaît toujours de façon fulgurante dans la clarté, la concision et le dénuement de son acte poétique. De surcroît, pour la poète se reconnaissant dans la culture populaire américaine, dans le refus du consumérisme et de la civilisation qu’elle subit, dire les lieux lui offre la possibilité de voir autre chose que la ville, autre chose que les marécages ; Lorine Niedecker soulève davantage une vague de fond au risque de ne pas être comprise, publiée ou appréciée, une vague de concrétude ramenant avec elle une multiplicité d’ondes et de vibrations, aussi bien d’infimes planctons que de gigantesques coquillages possédant la rumeur entière du monde et de ses douleurs. Le poème est alors composé d’eau, de débris, de combinaisons, de condensations et de mouvements surréalistes en une conscience aigüe de l’interdépendance des choses ; le régional prend en réalité valeur universelle, s’ancrant dans le Blues, dans les origines de la Terre, traçant une pensée à ses sources, au cœur des êtres vivants, au cœur d’elle-même, en une main lyrique sans cesse en tension… Et c’est dans cette tension déjà nommée que les mots existent passionnément, non pas dans l’excès et l’ornement, mais dans l’existence analogique du monde végétal et de la vie qui fut la sienne. Son phrasé à la simplicité trompeuse, art de l’élision et d’une oralité retrouvée, offre des rimes obliques merveilleusement orchestrées, des combinaisons surprenantes, de subtiles nuances grammaticales, tonales et musicales :



    « Pataugé, épié, pépié,
    appris à écrire sur l’ardoise
    avec la craie d’une mer ancienne


    Si je pouvais lancer mes tentacules
    au plus profond…
    et que palpite l’invisible lueur


    Nuit illustrée constellations
                 d’horloge
    et son retentissant
                             tic-tac stellaire


    Je me lève bientôt
                 pour donner à l’univers
                             mes pichenettes
     » (pp. 192-193)



    Surgit l’inattendu au détour d’un mot, le terme banal se charge avec la même agilité de connotations multiples ― souvent sensuelles et sexuelles ― et de retenue. Lorine Niedecker semble reposer sur la charnière délicate d’un saut de ligne unique qui peut recouvrir la logique syntaxique avec d’autres significations ; comme dans « Wintergreen Ridge » lorsque la fin d’une clause grammaticale jouxte le début d’une autre pour synthétiser les deux lignes au sein d’une seule métaphore : « disons : de l’art / Nous escaladons » (p. 150). Et son poème renaît d’une forme étonnamment pondérée, d’une reprise, d’un renversement rapide du regard : « Rien ni personne / ne m’a jamais donné / plus belle chose // que le temps / sinon la lumière / et le silence » (p. 156). Possédée par latence, Lorine dit tout sur la nature de la mémoire, de la conscience, elle rapporte la naissance des plantes comme partie de soi-même, elle déroule l’enfance jusqu’à la protestation sociale, et tout cela en soulignant d’un trait de crayon fugace une note sur l’architecture rurale ou urbaine des églises, construisant une passerelle entre le bruissement du Wisconsin et la fureur de la guerre du Vietnam, puis gommant, avec brio, les différences entre l’homme, la douleur des oiseaux et la splendeur des stèles.


    Pas de collage textuel dans cette poésie, juste un travail acharné sur la langue qui ne peut retenir son souffle. La poète compte obstinément les épines de « roses bleues » qui couvrent le monde, ne pouvant y porter longuement ou plus amplement les mains, elle les considère à travers « un fil de fer » et les dénombre dans la langue qui saigne un peu à leur contact. Sa poésie se reconnaît à ses silences et à ses éclats, et quantité de cristaux la constellent et l’éblouissent. Ces précipités du désir éclairent sa disposition la plus concise, quand les paysages qu’elle traverse et l’air qu’elle respire semblent la substance de la vie.



    « cornouillers blancs
              sous les trembles
                     pipsissewa


    (gaulthérie)
              parnassie
                     Vois là-bas


    fougères
              algues
                     nymphéas


    Respire
              le simple
                     le parfait


    ordre
              de cette fleur
                     le nymphéa


    Je ne vois nulle fusée
              décoller ici
                     ni esprit égaré
    (p. 157)

    [….]


    Il a plu
              jus de boue
                     feuilles de saule


    sur les toits
              Vieux tournesol
                     tu ne t’es incliné


    devant personne
              sinon le Grand Vent
                     d’Équinoxe
    » (p. 160)



    Ailleurs, il y a toujours la beauté simple de la tautologie poétique, là où l’énergie s’ombre derrière la Nature, où le sens primitif s’illumine au sein de la forme pour devenir métaphore de la course antique du réel et d’une puissance originaire de nommer. Se trouvent par conséquent le choc de l’honnêteté autour duquel le poème résonne et la persévérance d’une poète inséparable de ses sources culturelles et esthétiques. La Parole de Lorine est bel et bien un enregistrement-fossile ordonnant à la fois un art individuel et les pressions des diverses histoires dans lesquelles les choses sont nées.


    Où serait, in fine, Lorine Niedecker ? Que veut-elle vraiment nous dire dans cette multiplication des formes, dans ce lavage luxuriant et sobre à la fois ? Elle nous dit de revenir à la source et de recommencer dans et par la pleine nécessité de la langue, dans la joie de bousculer les mots, comme si multiplier leurs nuances permettait de vivre plus pleinement encore, dans le plaisir répété des sonorités, dans la ligature ludique des images, dans la surprenante et élégante inversion des sujets : « O ma vie flottante / Ne garde pas d’amour / pour les choses / Jette les choses / dans le flot // détruites / par les flots / N’achète rien de nouveau ― / à la fin c’est tout un ― / eau » (p. 171). C’est dans ces effets vibratoires que le poète tient le mieux en main la folie et la fluidité du monde ; elle déploie les richesses rythmiques de son regard et fait de chaque poème une exploration de sa volonté inassouvie à vivre jusqu’à la cassure et jusqu’au silence. C’est pourquoi, si proche soit-elle de sa Poésie, Lorine Niedecker se défie du langage et le prend chaque fois de vitesse afin de déjouer ses ruses ; elle ne supporte pas sa propension à se compromettre, « à truquer le jeu », à tendre par facilité vers des fantômes plaintifs et des âmes larmoyantes. Le poème épuise ses efforts à mériter de nouveau sa confiance et reprendre langue avec elle, essayant quantité de rimes et de rythmes, se disposant en vers, en versets, en brèves proses ou en archipel. Lorine Niedecker dépense sans compter et son désir reste intact, elle le confie d’ailleurs aux brisures et membranes des nénuphars odorants, aux zézaiements et zizanies des feuilles sèches, aux merles à têtes jaunes et aux moineaux stridents qui piaillent sur les fils électriques, elle l’inscrit dans le calice des fleurs ou dans la pierre, puis en parle à tout ce qui existe. Et si le vers, par sa puissance, sa brièveté, sa densité, prend à lui seul le nom en sa matière infinie, c’est qu’il lutte contre la fascination du néant, contre l’angoisse de l’éphémère et du temps qui engloutit tout. Lorine reste ainsi à proximité du sol sans perdre de vue ce qui le surplombe : « le long de la rivière / les tournesols sauvages / au-dessus de moi / les morts / qui m’ont donné la vie / me donnent ceci / notre parent l’air / et les crues / notre riche ami / le limon » (p. 55). Ces minces passerelles élégiaques courent alors à travers le monde, les choses s’y disposent en bon ordre et les hommes s’y déplacent en vision vers de plus saisissantes contrées.

    Enfin, si les mots ne livrent pas facilement leurs secrets, et si les fils d’or érodés ne disent pas d’emblée où ils conduisent, ni pourquoi ils se sont mis en route, ils font, en revanche, suffisamment de place pour quelque chose de simple et de beau ; il suffit de se laisser prendre dans les rets d’une toile, dans le tissage du texte, pour retrouver le monde en sa quiétude, le regard décidant de tout ; les gestes sont plus faciles et les mots perdent leur seul goût de vase. « Patientant sous la pluie ou occupée à cueillir des fleurs dans le jardin », Lorine aura pu au demeurant explorer des contrées plus intimes ; soucieuse d’entrer dans le réel et de le revêtir d’habits légers, elle aura donné quantité de noms à ses poèmes, elle aura écrit des phrases d’une main juste, tendant ses paumes vers une ombre terreuse et se laissant conduire par elle en toute lucidité, elle aura essayé de vivre sans bavardages, sans s’enfermer en soi mais en s’ouvrant sur le monde, pour ne penser qu’à Celle vers qui tend toute sa pensée et qui occupe dans son univers la place laissée vacante par l’ignorance des hommes à n’admirer que les jours ensoleillés. Chez Lorine Niedecker, la beauté du monde se décline définitivement de l’observation à la contemplation, à moins que ce ne soit l’inverse, afin de rendre l’envol explosif de la Terre ou d’œuvrer dans le ciel à hauteur d’homme, tout est pure vibration face à la fragile merveille qu’est la Terre. Se mêle donc à l’attraction pour l’improbable, la miraculeuse présence de la Nature, et la poète y glisse ses gestes les plus audacieux comme des fragments d’un plaisir retrouvé.



    « Arbre mon ami
    je t’ai abattu
    mais je dois servir
    un plus vieil ami
    le soleil
    » (p. 71)



    À la froideur des villes qui l’oppresse, à la violence ordinaire des hommes, aux illusions bradées pour oublier nos angoisses, aux croyances qui disjoignent les êtres, Lorine Niedecker oppose l’apesanteur, le rythme et la mouvance de sa voix. Sa poésie fleure de mots hors du commun afin que la Terre ne se fasse pas terre d’exil, afin que le monde n’ait pas lieu hors de nous, mais là où nous sommes, afin que les choses ne soient pas le creuset de noires profondeurs, mais que notre regard sans cesse en éveil soit, au fil du voyage, invocation secrète et créative d’où émergent doucement les mots de la Nature et où chaque Lieu ne peut être que celui d’une Louange.


    Sylvie Besson
    D.R. Texte Sylvie Besson *.



    ___________________________________________
    * Note d’AP : voir sur Recours au poème une courte bio-bibliographie de Sylvie Besson.






    Lorine Niedecker, Louange du lieu






    LORINE NIEDECKER


    Niedecker Lorine
    Source



    ■ Lorine Niedecker
    sur Terres de femmes

    [I grew in green] (extrait de “Paean to Place” from Collected Works [University of California Press] + Louange du lieu [José Corti])



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions José Corti)
    une page sur Louange du lieu et autres poèmes de Lorine Niedecker (+ revue de presse)
    le site Lorine Niedecker
    → (sur poets.org)
    “Who Was Lorine Niedecker?”, by Elizabeth Willis
    → (sur Electronic Poetry Center)
    une page sur Lorine Niedecker
    → (sur Poetry Foundation)
    Paean to Place, by Lorine Niedecker



    ■ Autres notes de lecture de Sylvie Besson
    sur Terres de femmes

    Les variations poétiques de Philippe Beck ou le tempo universel du monde
    Hélène Dorion, Ravir : les lieux
    Yasmina Hasnaoui, Cargo Blues
    Richard Rognet, Un peu d’ombre sera la réponse





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  • Robert Duncan | Poetry, a Natural Thing



    POETRY, A NATURAL THING




             Neither our vices nor our virtues
    further the poem. “They came up
            and died
    just like they do every year
            on the rocks.”


            The poem
    feeds upon thought, feeling, impulse,
            to breed     itself,
    a spiritual urgency at the dark ladders leaping.


    This beauty is an inner persistence
            toward the source
    striving against (within) down-rushet of the river,
            a call we heard and answer
    in the lateness of the world
            primordial bellowings
    from which the youngest world might spring,


    salmon not in the well where the
            hazelnut falls
    but at the falls battling, inarticulate,
            blindly making it.


    This is one picture apt for the mind.


    A second: a moose painted by Stubbs,
    where last year’s extravagant antlers
            lie on the ground.
    The forlorn moosey-faced poem wears
            new antler-buds,
            the same,


    “a little heavy, a little contrived”,


    his only beauty to be
            all moose.




    Robert Duncan, The Opening of the Field, New York: Grove Press, 1960 ; New York: A New Directions Paperbook, 1973, p. 50.






    Robert Duncan, The Opening of the Field







    POÉSIE, UNE CHOSE NATURELLE




             Nos vices pas plus que nos vertus
    n’avancent le poème. « Ils sont venus
            mourir
    comme chaque année
            sur les rochers. »


            Le poème
    se nourrit de pensée, de sensation, d’impulsion
            pour s’engendrer    lui-même,
    urgence spirituelle bondissant aux échelles obscures.


    Cette beauté est une persistance intérieure
            vers la source
    luttant contre (dans) le courant de la rivière,
            appel que nous entendons et honorons
    dans la vieillesse du monde
            brame primordial
    d’où pourrait surgir le plus jeune des mondes,


    le saumon non dans le puits où la
            noisette tombe
    mais bataillant aux chutes, inarticulé,
            triomphant aveuglément.


    Cette image convient à l’esprit.


    Une autre : un élan peint par Stubbs,
    les bois extravagants de l’an passé
            tombés à terre.
    Le misérable poème à tête d’élan porte
            de nouveaux bois naissants,
            identiques.


    « un peu lourds, un peu maladroits »,


    sa seule beauté d’être
            tout élan.




    Robert Duncan, L’Ouverture du champ précédé de Un essai en guerre & Écrire l’écriture, Éditions Corti, Série américaine, 2012, pp. 108-109. Traduction de Martin Richet.






    Robert Duncan L'Ouverture du champ





    ROBERT DUNCAN


    Robert Duncan
    Robert Duncan, San Francisco, 1985
    Ph. John Tranter
    Source




    ■ Robert Duncan
    sur Terres de femmes

    Proofs (autre poème extrait de The Opening of the Field + une traduction française d’Yves di Manno extraite d’Objets d’Amérique, José Corti, 2009)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site José Corti)
    une fiche sur L’Ouverture du champ de Robert Duncan
    → (sur le site de The Academy of American Poets)
    une bio-bibliographie de Robert Duncan (+ plusieurs poèmes, dont un dit par l’auteur)
    → (sur Pennsound)
    de très nombreuses lectures de poèmes par Robert Duncan (archives sonores d’une exceptionnelle richesse)
    → (sur Poetry Foundation)
    une biographie de Robert Duncan (+ archives sonores)
    → (sur Poetry Center Digital Archive)
    Robert Duncan reading his poetry from and discussing his book The Opening of the Field
    → (sur Modern American Poetry)
    plusieurs pages sur Robert Duncan
    → (sur Jacket Magazine 26, octobre 2004)
    un entretien de Robert Duncan avec John Tranter (San Francisco, samedi 4 mai 1985)





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  • Paul Blackburn | Park Poem



    CENTRAL PARK POEM
    Ph., G.AdC






    PARK POEM



    From the first shock of leaves their alliance

    with love, how is it ?


    Pages we write and tear

    Someone in a swagger coat sits and waits on a hill


    It is not spring, may-

    be it is never spring

    maybe it is the hurt end of summer

    the first tender automn air

    fall’s first cool rain over the park

    and these people walking thru it

    the girl thinking :

                                       life is these pronouns

    the man : to ask / to respond / to accept

                                       bird-life     .    reindeer-death

                                       Life is all verbs, vowels and verbs

    They both get wet


                                       If it is love, it is to make

                                       love, or let be

                                       “To create the situation / is love

                                                                   and to avoid it, this is also

                                       Love’

    as any care or awareness, any

    other awareness might might

                                       have been

                                       but is now

    hot flesh

    socking it into hot flesh

    until reindeer-life / bird-death


    You are running, see?

    you are running down slope across this field

    I am running too

    to catch you round

                                       This rain is yours

                                       it falls on us

                                       we fall on one another


    Belong to the moon

    we do not see

                                       It is wet and cool

                                       bruises our skin

                                       might have been

                                       care and avoidance

                                       but we run     .    run


    to prepare

    love later




    Paul Blackburn, The Cities, Grove Press, New York, 1967, in The Selected Poems of Paul Blackburn, Persea Books, New York, N.Y. 10010, 1989, pp. 95-96-97. Edited, with an introduction, by Edith Jarolim. *





    * Note d’AP : les interlignages sont conformes à ceux adoptés dans cette édition.






    The-Selected-Poems-of-Paul-Blackburn-Blackburn-Paul-








    POÈME DU PARC



    Dès le premier choc des feuilles leur alliance
    avec l’amour, comment ça va ?

    Pages qu’on écrit et déchire
    Quelqu’un dans son trois-quarts s’assoit sur une colline et attend

    Ce n’est pas le printemps, peut-
    être n’est-ce jamais le printemps
    peut-être est-ce le bout blessé de l’été
    la tendre première brise de l’automne
    la première pluie fraîche de l’automne sur le parc
    et sur ces gens qui le traversent

    La fille, elle pense :
                                   la vie est ces pronoms
    l’homme : demander / répondre / accepter
                                   oiseau-vie    .     renne-mort
                                   La vie n’est que verbes, voyelles et verbes
    Ils sont tous les deux mouillés

                                   Si c’est de l’amour, alors il faut faire
                                   l’amour, autrement laisser tomber
                                   « Créer la situation / voilà de l’amour
                                                   et l’éviter, voilà encore

                                   de l’Amour »
    de même que prendre soin, ou l’éveil d’une conscience, de même
    n’importe quelle
    autre conscience pourrait        aurait
                     pu être
                                   mais est désormais
    chair chaude
    giflant de la chair chaude
    jusqu’à renne-vie / oiseau-mort


    Tu cours, tu vois,
    tu cours et descends la pente à travers le pré
    et moi aussi je cours
    pour te rattraper

                                   Cette pluie est la tienne
                                   elle tombe sur nous
                                   et nous, aussi, l’un sur l’autre


    Appartenons à la lune
    que nous ne voyons pas


                                   Il fait humide et frais
                                   des bleus que nos peaux
                                   auraient pu
                                   prendre soin d’éviter
                                   mais nous courons    .    courons



    pour préparer
    l’être d’amour après




    Paul Blackburn, Villes suivi de Journaux, José Corti, Série américaine, 2011, pp. 26-27. Traduit par Stéphane Bouquet. *







    Blackburn




    Note d’AP : cet ouvrage est disponible en librairie depuis le 3 novembre 2011.





    PAUL BLACKBURN


    Portrait de paul blackburn
    Image, G.AdC



    ■ Paul Blackburn
    sur Terres de femmes

    Villes suivi de Journaux (note de lecture)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Poezibao)
    une fiche bio-bibliographique sur Paul Blackburn
    → (sur PennSound)
    Paul Blackburn dire le poème ci-dessus (Suny Cortland, 1er avril 1971)
    → (sur le site José Corti)
    une page consacrée à Villes, suivi de Journal, de Paul Blackburn





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