Étiquette : Stendhal


  • 26 juillet 1804 | Stendhal, Journal

    Éphéméride culturelle à rebours



    PORTRAIT DE STENDHAL
    Image, G.AdC






    7 thermidor [26 juillet]




         Nous sortons, Tencin et moi, de Rodogune, suivie de Florentin. Nous sommes sortis après Rodogune pour ne pas affaiblir l’impression que nous avions reçue. T[encin] a failli se trouver [mal] au moment où Mlle Fleury a dit :

                                                                Voyez ses yeux
                      Déjà tout égarés, troubles et furieux.


        Talma a été sublime; je ne l’avais pas vu si bien jouer depuis Andromaque, le 5 prairial XII [25 mai 1804]. Il a supérieurement rendu tout le suave de l’amitié. Il a débuté avec un naturel parfait et n’en est pas sorti dans les quatre premiers actes ; quelques cris dans le cinquième, mais bien excusables, sur la situation affreuse d’Antiochus. Du reste superbe, il ressemble parfaitement dans toutes ses positions aux belles figures de Raphaël. Il était en blanc dans les quatre premiers actes, en rouge et en diadème au dernier. Il a rendu supérieurement l’anéantissement de la douleur. Il manque à ce grand acteur quelquefois des idées et quelquefois du naturel. Les Geoffroy et Cie lui reprochent presque d’en trop avoir ; ils disent qu’il a un naturel sauvage ; cela me ferait présumer que la manière de Lekain n’était pas très naturelle. Mlle Raucourt, Fleury et Damas ont été d’une bonne médiocrité. Mlle Raucourt était très bien mise, avec un grand manteau noir.
        Jamais Rodogune ne m’a fait autant d’impression. Dans la peinture des caractères il y a des beautés de l’ordre le plus élevé possible (valent-elles les plus belles scènes de Shakespeare?), mais il y a de grands défauts de scenegiatura. Ceux-là étaient bien aisés à éviter. Je crois que l’étude d’Alfieri me rendra ferme de ce côté-là.
        Dans la peinture des caractères, je remarque deux défauts : le premier, c’est que Cléopâtre parlant à Laonice a l’air de faire leçon de politique. Cette politique est superbe mais hors de sa place ; elle refroidit la pièce. Il fallait appliquer les maximes aux faits sans les citer.
        Le deuxième défaut vient, je crois, des Espagnols. C’est une fausse délicatesse qui empêche les personnages d’entrer dans les détails, ce qui fait que nous ne sommes jamais serrés de terreur comme dans les pièces de Shakespeare. Ils n’osent pas nommer leur chambre, ils ne parlent pas assez de ce qui les entoure.
        Séleucus n’est pas assez tendre pour son frère dans le couplet : etc., acte II, scène IV ; il est dur pour sa mère, acte IV, scène VI. En général, tous les personnages sont bavards ; il y a d’ailleurs de grandes fautes de scenegiatura, mais que ne rachèterait le cinquième acte? Shakespeare n’a rien de plus beau. Rodogune, le triomphe de la manière ferme du grand Corneille, vient, ce me semble en cet instant après le Cid, en rangeant ses pièces de cette manière : Cinna, le Cid, Rodogune, les Horaces, Polyeucte, etc. Je la mettrais immédiatement après Andromaque et Phèdre, de manière que c’est dans le rang de beauté la quatrième ou cinquième pièce française.
        Talma a très bien exprimé l’amour. […]



    Stendhal, Journal, Éditions Gallimard, Collection folio classique, 2010, pp. 126-127. Préface de Dominique Fernandez. Édition d’Henri Martineau revue par Xavier Bourdenet.





    ■ Stendhal
    sur Terres de femmes

    23 janvier 1783 | Naissance de Stendhal
    15 mai 1796 | Stendhal, Incipit de La Chartreuse de Parme
    7 janvier 1817 | Stendhal, Rome, Naples et Florence
    2 juillet 1817 | Stendhal, Rome, Naples et Florence
    23 mars 1842 | Mort de Stendhal



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  • 15 février 1665 | Première représentation du Dom Juan de Molière

    Éphéméride culturelle à rebours



    Dom_Juan
    « Voilà, par sa mort, un chacun satisfait »
    (Sganarelle : acte V, scène 7)
    Dom Juan ou le Festin de pierre, de Molière
    Mise en scène de Louis Jouvet
    Décors et costumes de Christian Bérard
    Paris, théâtre de l’Athénée
    première le 24 décembre 1947
    Source







    LE DIABLE ET L’AMOUR [extrait des CENCI de STENDHAL]



    « Le Don Juan* de Molière fut représenté au commencement du règne de Louis XIV, le 15 février 1665 ; ce prince n’était point encore dévot, et cependant la censure ecclésiastique fit supprimer la scène du pauvre dans la forêt. Cette censure, pour se donner des forces, voulait persuader à ce jeune roi, si prodigieusement ignorant, que le mot janséniste était synonyme de républicain.

    L’original est d’un Espagnol, Tirso de Molina, une troupe italienne en jouait une imitation à Paris vers 1664, et faisait fureur. C’est probablement la comédie du monde qui a été représentée le plus souvent. C’est qu’il y a le diable et l’amour, la peur de l’enfer et une passion exaltée de la femme, c’est-à-dire, ce qu’il y a de plus terrible et de plus doux aux yeux de tous les hommes, pour peu qu’ils soient au-dessus de l’état sauvage.

    Il n’est pas étonnant que la peinture du Don Juan ait été introduite dans la littérature par un poète espagnol. L’amour tient une grande place dans la vie de ce peuple ; c’est, là-bas, une passion sérieuse et qui se fait sacrifier, haut la main, toutes les autres, et même, qui le croirait ? la vanité ! Il en est de même en Allemagne et en Italie. À le bien prendre, la France seule est complètement délivrée de cette passion, qui fait faire tant de folies à ces étrangers : par exemple, épouser une fille pauvre, sous le prétexte qu’elle est jolie et qu’on en est amoureux. Les filles qui manquent de beauté ne manquent pas d’admirateurs en France ; nous sommes gens avisés. Ailleurs, elles sont réduites à se faire religieuses, et c’est pourquoi les couvents sont indispensables en Espagne. Les filles n’ont pas de dot en ce pays, et cette loi a maintenu le triomphe de l’amour. En France, l’amour ne s’est-il pas réfugié au cinquième étage, c’est-à-dire parmi les filles qui ne se marient pas avec l’entremise du notaire de la famille ?

    Il ne faut pas parler du don Juan de lord Byron, ce n’est qu’un Faublas, un beau jeune homme insignifiant, et sur lequel se précipitent toutes sortes de bonheurs invraisemblables.

    C’est donc en Italie et au XVIe siècle seulement qu’a dû paraître, pour la première fois, ce caractère singulier. C’est en Italie et au XVIIe siècle qu’une princesse disait, en prenant une glace avec délices le soir d’une journée fort chaude : Quel dommage que ce ne soit pas un péché !

    Ce sentiment forme, suivant moi, la base du caractère du don Juan, et comme on le voit, la religion chrétienne lui est nécessaire.
        Sur quoi un auteur napolitain s’écrie : « N’est-ce rien que de braver le ciel, et de croire qu’au moment même le ciel peut vous réduire en cendre ? De là l’extrême volupté, dit-on, d’avoir une maîtresse religieuse, et religieuse remplie de piété, sachant fort bien qu’elle fait mal, et demandant pardon à Dieu avec passion, comme elle pèche avec passion. »



    Stendhal, « Les Cenci » in Chroniques italiennes, GF-Flammarion, 1977, pp. 241-242-243.



    _________________________________________
    * Note d’AP : Stendhal écrit bien Don Juan et non pas Dom Juan.




    STENDHAL


    Portrait_de_stendhal
    Image, G.AdC



    ■ Stendhal
    sur Terres de femmes

    11 septembre 1599 | Exécution de Béatrice Cenci (autre extrait des « Cenci », Chroniques italiennes)
    23 janvier 1783 | Naissance de Stendhal
    15 mai 1796 | Stendhal, Incipit de La Chartreuse de Parme
    7 janvier 1817 | Stendhal, Rome, Naples et Florence
    2 juillet 1817 | Stendhal, Rome, Naples et Florence
    23 mars 1842 | Mort de Stendhal


    ■ Voir aussi ▼

    → (sur donjuan.net)
    une page sur le Dom Juan de Molière
    → (sur le site du Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines)
    un très beau dossier sur le Dom Juan de Molière mis en scène par Daniel Mesguich






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  • 11 septembre 1599 | Exécution de Béatrice Cenci

    Éphéméride culturelle à rebours




         Le 11 septembre 1599 sont exécutés, à Rome, Jacques et Béatrice Cenci (ainsi que leur belle-mère Lucrèce Petroni Cenci), accusés de parricide.







    Beatrice-cenci-guido-reni

    Portrait de Béatrice Cenci
    (pendant longtemps attribué à Guido Reni, ce portrait
    est le plus souvent attribué aujourd’hui à Elisabetta Sirani, v. 1662)
    Galleria Nazionale d’Arte Antica, Rome







    EXTRAIT I

    (Stendhal, Chroniques italiennes)





    HISTOIRE VÉRITABLE
    de la mort de Jacques et Béatrix Cenci, et de Lucrèce Petroni Cenci, leur belle-mère, exécutés pour crime de parricide, samedi dernier 11 septembre 1599, sous le règne de notre saint père le pape, Clément VII, Aldobrandini.


        La vie exécrable qu’a toujours menée François Cenci, né à Rome et l’un de nos concitoyens les plus opulents, a fini par le conduire à sa perte. Il a entraîné à une mort prématurée ses fils, jeunes gens forts et courageux, et sa fille Béatrix qui, quoiqu’elle ait été conduite au supplice à peine âgée de seize ans (il y a aujourd’hui quatre jours), n’en passait pas moins pour une des plus belles personnes des Etats du pape et de l’Italie tout entière. La nouvelle se répand que le signor Guido Reni, un des élèves de cette admirable école de Bologne, a voulu faire le portrait de la pauvre Béatrix, vendredi dernier, c’est-à-dire le jour même qui a précédé son exécution. Si ce grand peintre s’est acquitté de cette tâche comme il a fait pour les autres peintures qu’il a exécutées dans cette capitale, la postérité pourra se faire quelque idée de ce que fut la beauté de cette fille admirable. Afin qu’elle puisse aussi conserver quelque souvenir de ses malheurs sans pareils, et de la force étonnante avec laquelle cette âme vraiment romaine sut les combattre, j’ai résolu d’écrire ce que j’ai appris sur l’action qui l’a conduite à la mort, et ce que j’ai vu le jour de la glorieuse tragédie.
        Les personnes qui m’ont donné mes informations étaient placées de façon à savoir les circonstances les plus secrètes, lesquelles sont ignorées dans Rome, même aujourd’hui, quoique depuis six semaines on ne parle d’autre chose que du procès des Cenci. J’écrirai avec une certaine liberté, assuré que je suis de pouvoir déposer mon commentaire dans des archives respectables, et d’où certainement il ne sera tiré qu’après moi. Mon unique chagrin est de devoir parler, mais ainsi le veut la vérité, contre l »innocence de cette pauvre Béatrix Cenci, adorée et respectée de tous ceux qui l’ont connue, autant que son horrible père était haï et exécré. […]
        On avait dressé sur la place du pont Saint-Ange un grand échafaud avec un cep et une mannaja (sorte de guillotine). Sur les treize heures (à huit heures du matin), la compagnie de la Miséricorde apporta son grand crucifix à la porte de la prison. Giacomo Cenci sortit le premier de la prison ; il se mit à genoux dévotement sur le seuil de la porte, fit sa prière et baisa les saintes plaies du crucifix. Il était suivi de Bernard Cenci, son jeune frère, qui, lui aussi, avait les mains liées et une petite planche devant les yeux. La foule était énorme, et il y eut du tumulte à cause d’un vase qui tomba d’une fenêtre presque sur la tête d’un des pénitents qui tenait une torche allumée à côté de la bannière. […]
        La signora Lucrèce, en sa qualité de veuve, portait un voile noir et des mules de velours noir sans talons selon l’usage.
        Le voile de la jeune fille était de taffetas bleu, comme sa robe; elle avait de plus un grand voile de drap d’argent sur les épaules, une jupe de drap violet, et des mules de velours blanc, lacées avec élégance et retenues par des cordons cramoisis. Elle avait une grâce singulière en marchant dans ce costume, et les larmes venaient dans tous les yeux à mesure qu’on l’apercevait s’avançant lentement dans les derniers rangs de la procession. […]
        Béatrix Cenci, qui inspirera des regrets éternels, avait justement seize ans; elle était petite; elle avait un joli embonpoint et des fossettes au milieu des joues, de façon que, morte et couronnée de fleurs, on eût dit qu’elle dormait et même qu’elle riait, comme il lui arrivait fort souvent quand elle était en vie. Elle avait la bouche petite, les cheveux blonds et naturellement bouclés. En allant à la mort ces cheveux blonds et bouclés lui retombaient sur les yeux, ce qui donnait une certaine grâce et portait à la compassion.
        Giacomo Cenci était de petite taille, gros, le visage blanc et la barbe noire ; il avait vingt-six ans à peu près quand il mourut.
        Bernard Cenci ressemblait tout à fait à sa sœur, et comme il portait les cheveux longs comme elle, beaucoup de gens, lorsqu’il parut sur l’échafaud, le prirent pour elle.
        Le soleil avait été si ardent, que plusieurs des spectateurs de cette tragédie moururent dans la nuit, et parmi eux, Ubaldino Ubaldini, jeune homme d’une rare beauté et qui jouissait auparavant d’une parfaite santé. Il était frère du signor Renzi, si connu dans Rome. Ainsi les ombres des Cenci s’en allèrent bien accompagnées. […]


    Stendhal, Les Cenci in Chroniques italiennes, Garnier-Flammarion, 1977, pp. 246-247-263-264-267-268.






    EXTRAIT II

    (Frederic Prokosch, Béatrice Cenci)




    L’échafaud

    XL

    I



        Ce 11 septembre 1599, à neuf heures et demie, les représentants de la justice se rendirent à la prison de Tordinona. La journée s’annonçait radieuse : des nuages duveteux voguaient dans le ciel, le picotement de l’automne se laissait deviner, les feuilles dansaient sur le Janicule et des flocons d’écume galopaient sur le Tibre.
        La ville entière était en effervescence. Les campagnards descendaient en hâte des montagnes vers le dédale des petites rues qui bordaient la rivière. Les marchands de poissons couvraient leurs étalages, les cabaretiers et les bouchers fermaient boutique, tous les commerçants se bousculaient dans les ruelles. Un lot de tailleurs et de charpentiers, de bonnetiers et d’orfèvres, de vanniers et de selliers se précipitaient vers la place Saint-Ange.
        Un long cortège s’était formé aux abords de la prison de Tordinona et deux charrettes attendaient devant la porte. Celle-ci s’ouvrit enfin. La foule poussa un grand soupir.
        Deux moines en robes noires et en capuchons rabattus parurent sur le seuil et s’y arrêtèrent longuement. Les spectateurs se mirent à murmurer.
        ― Que font-ils ? cria un impatient.
        ― C’est un scandale ! lança un autre.
        ― Chut! Fit une voix puissante. Les voilà!
        L’aumônier et le servant sortirent de la prison, portant les effigies encadrées d’or de la Crucifixion. Et, derrière eux, Giacomo émergea de l’ombre, suivi de Bernardo. La tête baissée, le pas saccadé, ils avancèrent. Alors, une émotion peureuse étreignit la foule. […]




    II



         […] Lucrèce et Béatrice, toutes deux en noir, apparurent sur le seuil. Lucrèce sanglotait, tête baissée. Béatrice, au contraire, fixait les yeux sur le crucifix qu’un des frères tenait devant elle. Sans jeter un regard à la charrette où Giacomo était agenouillé, elles montèrent dans celle du bourreau, Lucrèce d’abord, puis Béatrice, flanquées chacune par deux confortatori. Le cortège se remit en mouvement, les psaumes reprirent, les roues grincèrent sur une tonalité lugubre. L’assistance parut frappée d’un coup de massue.
        ― Tu as vu sa figure ? chuchota Bastiana, les joues ruisselantes de larmes ;
        ― Elle avait une vision! fit Pasquale. Elle était plus belle que jamais !
        ― Pauvre chère demoiselle… balbutia la servante. Elle n’est pas coupable, j’en suis sûre.
        ― Allons voir, reprit le marmiton. Il y aura un miracle. Dieu la sauvera.
        Mêlant leurs cris, leurs gémissements à ceux des autres, ils se joignirent à la procession qui s’écoulait dans les rues étroites du quartier de la Via Monserrato. Ils passèrent ainsi devant le Banchi Vecchi et descendirent la Via San Celso. Là, les portes et les fenêtres, les toitures elles-mêmes étaient noires de gens affligés. La fureur populaire montait. Les murmures devinrent des récriminations. Les dames agitaient des mouchoirs mouillés de larmes ; au passage des juges, elles brandirent le poing. Les hommes commencèrent à grommeler :
        ― À bas Moscato!
        ― À mort Moscato!
        D’autres protestèrent contre le gouverneur et le cardinal Aldobrandini. Certains même s’en prirent à mots couverts, mais avec passion, à la personne de Sa Sainteté. Comme un gros torrent boueux, la foule s’écoula derrière les officiels. Mendiants en guenilles, pègre et gitans grossissaient les rangs du cortège. Les balcons des beaux palais étaient remplis de dames de la noblesse : les princesses Orsini, les Bolognetti, les Sforza. Certaines pleuraient, d’autres observaient d’un air froid et réprobateur.
        Les nuages se dissipèrent, l’air perdit sa vivacité et, à mesure que le soleil monta, une chaleur étouffante tomba sur la cité. Il était près de midi quand les charrettes arrivèrent en cahotant devant les anges de marbre du pont Saint-Ange.


    Frederic Prokosch, Béatrice Cenci, Éditions Gallimard, 1957 ; Collection L’Imaginaire, 2002, pp. 375-376-377-378-379. Traduit de l’américain par Henriette de Sarbois.



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  • 23 janvier 1783 | Naissance de Stendhal

    Éphéméride culturelle à rebours


    Le 23 janvier 1783 naît rue des Vieux-Jésuites, à Grenoble, Stendhal, de son vrai nom Henry Beyle.







    Stendhal
    Image, G.AdC







    Mon excellent grand-père qui dans le fait fut mon véritable père et mon ami intime jusqu’à mon parti pris, vers 1796, de me tirer de Grenoble par les mathématiques, racontait souvent une chose merveilleuse.

    Ma mère m’ayant fait porter dans sa chambre (verte), le jour où j’avais un an, 23 janvier 1784, me tenait debout près de la fenêtre : mon grand-père, placé vers le lit, m’appelait, je me déterminai à marcher et arrivai jusqu’à lui.

    Alors je parlais un peu et pour saluer je disais hateur. Mon oncle plaisantait sa sœur Henriette (ma mère) sur ma laideur. Il paraît que j’avais une tête énorme, sans cheveux, et que je ressemblais au Père Brulard, un moine adroit, un bon vivant et à grande influence dans son couvent, mon oncle ou grand-oncle mort avant moi.

    J’étais fort entreprenant, de là deux accidents racontés avec terreur et regret par mon grand-père : vers le rocher de la porte de France je piquai avec un morceau de fagot taillé en pointe avec un couteau un mulet qui eut l’impudence de me camper ses deux fers dans la poitrine, il me renversa. « Un peu plus, il était mort », disait mon grand-père.

    Je me figure l’événement, mais probablement ce n’est pas un souvenir direct, ce n’est que le souvenir de l’image que je me formai de la chose, fort anciennement et à l’époque des premiers récits qu’on m’en fit.

    Le second événement tragique fut qu’entre ma mère et mon grand-père je me cassai deux dents de devant en tombant sur le coin de la chaise. Mon grand-père ne revenait pas de son étonnement : « Entre sa mère et moi ! » répétait-il comme pour déplorer la force de la fatalité.


    Stendhal, Vie de Henry Brulard [posth. 1890], Éditions Gallimard, Collection folio classique, 1973, pp. 66-67-68-69-70.





    ■ Stendhal
    sur Terres de femmes

    15 mai 1796 | Stendhal, Incipit de La Chartreuse de Parme
    7 janvier 1817 | Stendhal, Rome, Naples et Florence
    2 juillet 1817 | Stendhal, Rome, Naples et Florence
    23 mars 1842 | Mort de Stendhal


    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de La Bibliothèque municipale de Grenoble)
    les manuscrits de Vie de Henry Brulard





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