Étiquette : Stéphan Causse


  • Stéphan Causse | [Petite mer]



    [PETITE MER]




    Petite mer.
    Reste en retrait.
    Le TU est du moi la cachette préférée.
    Une fois, j’ai tutoyé la mer. Je me voyais dans son secret. Et seuls les rêves répondent aux secrets.
    Je ne le savais pas encore…
    J’avais l’habitude de nager très loin quand j’étais
    gosse. Et plus j’avançais, et plus ma mère s’inquiétait. J’aimais gentiment cette idée…
    Moi, je n’avais pas peur de la mer.
    J’aimais sa voix douce et rauque.
    Chaque geste de ma nage venait heurter le calme des vagues.
    Un marin léger sifflait souvent les nuages.
    Une mer d’huile comme on dit.
    J’y faisais mon lit.
    Tout ça, c’était le bonheur de la mer sans ma mère…
    La mer n’aurait pas de fin, puisque les vagues sans cesse recommencent, me disais-je.
    Aujourd’hui, il me reste le souvenir.
    Le reste du soleil.
    Le reste des vagues.
    J’enroule mon corps dans ses draps de sable et tout est pareil à mes premières années.

    Je tutoie la mer.
    Je regarde ses bleus.
    Je grandis encore dans son ombre.




    Stéphan Causse, Boire le temps, Jacques André éditeur, Collection Poésie XXI n° 57, 2019, pp. 39-40.






    Stéphan Causse  Boire le temps




    STÉPHAN CAUSSE


    Stéphan Causse
    Ph. : Vincent Decorde
    Source





    ■ Stéphan Causse
    sur Terres de femmes


    À deux pas dans le silence (lecture d’AP)
    [Les lieux où je vous emmène] (extrait d’À deux pas dans le silence)
    Cévenne Séranne
    [mes lèvres balbutient] (extrait de Caresser la mer)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de Jacques André éditeur)
    la fiche de l’éditeur sur Boire le temps
    → (sur le site de Jacques André éditeur)
    une notice bio-bibliographique sur Stéphan Causse






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  • Stéphan Causse | [mes lèvres balbutient]




    Livre brulé
    « mémoire de cendres »
    Bernard Aubertin, Tableau feu, livre brûlé
    © galerie Jean Brolly
    Source








    [MES LÈVRES BALBUTIENT]





    mes lèvres balbutient une langue irrégulière
    comme si les pierres
    des vieux murs écroulés désignaient
    le verbe que nous avons perdu

    notre voix dans les veines
    ce maigre vitrail
    où la lumière vient
    où le silence veut




    j’ai beaucoup lu
    et je ne me souviens de rien

    mémoire de cendres

    chaque livre a sa mélodie
    d’oubli
    ma vie est faite de ce silence




    Stéphan Causse, Caresser la mer, Jacques André éditeur, Collection Poésie XXI, 2016, pp. 30-31.







    STÉPHAN CAUSSE


    Stéphan Causse
    Ph. : Vincent Decorde
    Source





    ■ Stéphan Causse
    sur Terres de femmes


    À deux pas dans le silence (lecture d’AP)
    [Les lieux où je vous emmène] (extrait d’À deux pas dans le silence)
    [Petite mer] (extrait de Boire le temps)
    Cévenne Séranne




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de Jacques André éditeur)
    une notice bio-bibliographique sur Stéphan Causse





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  • Stéphan Causse, À deux pas dans le silence

    par Angèle Paoli

    Stéphan Causse, À deux pas dans le silence,
    éditions du Petit Pois, Collection Correspondances,
    Béziers, 2015. Peintures de Bernard Jouanne.



    Lecture d’Angèle Paoli


    DANS UN REGARD À CONTRE-JOUR



    Toujours les très beaux livres m’impressionnent, m’imposent un regard à distance, plein de respect. Ainsi du dernier recueil de Stéphan Causse, À deux pas dans le silence, aux poèmes accompagnés de peintures de Bernard Jouanne. Entrer alors en poésie sur la pointe des pieds et des mots, avec modestie et réserve, dans les empreintes du dialogue entrepris entre peintre et poète. Un dialogue feutré, tout en demi-teintes, publié aux éditions du Petit Pois, dans la collection Correspondances.

    Le recueil se compose de deux volets : « à l’abri des regards » et « le temps qu’il faut ». Seule la seconde section comporte les peintures de Bernard Jouanne, dix-sept en tout, spécialement réalisées par l’artiste pour accompagner les poèmes de Stéphan Causse. Cependant l’univers poétique de Stéphan Causse semble augurer la venue des toiles – « liturgie rougissante », « archipels naufragés », « nuits lie de vin »… À quoi répondent plus avant, en résonance avec l’univers pictural de Bernard Jouanne, « une terre entre les nuages », « notre mémoire de sable », « un brasier de lune ». Un suspens où vient se nouer l’attente.

    Dans la première section, le poète inscrit les paysages de ses poèmes dans un espace onirique où prédominent fenêtre, embrasures, passages, cils. Qui cardent lumières et couleurs, gestes et souvenirs, histoires. Tout semble filtré, « passé au tamis » et comme retenu dans le « presque » ; dans un entre-deux, « l’entre-deux du monde », qui jouxte « l’à peu près // du temps ». Jusqu’à la rencontre, retardée dans une attente. Suspens.


    « tes yeux         
    rafraîchissent les lueurs
    au confluent des méridiens
    si jamais
    une rencontre »


    Présente de manière indirecte, dès le poème d’ouverture, la lumière donne naissance à la matière, paysages mentaux qui se cherchent dans le désir d’une presque complétude :


    « de la lumière         
    monte la matière
    continents sans patrie
    résonances du devenir
    qu’étirent les mortaises avides
    qu’une presque clarté
    retient »


    Peu à peu, sous « la buée des nuages », au creux des rêves ou dans le tissé d’une « magie furtive », affleure une femme :


    « nocturne d’elle         
    tu la déshabilles
    au clair
    de la couleur »


    Quelque part, se noue aussi, dans les interstices laissés vacants, l’image de deux amants séparés par une cicatrice. Le travail du poète, qui joue sur les sons, allitérations en [s], glissements subtils de syllabes, proximité des homophonies, dit toute la sensibilité de l’oreille à la musique des mots. C’est là, dans la sinuosité dessinée par les mots et les sons, que se fraie le passage vers le sens.

    Toutefois, chez le poète comme chez le peintre, l’entrevoir semble prédominer sur le voir. Ainsi, au détour d’un poème, des paysages marins surgissent-ils. Qui laissent apparaître, dans le roulement des [R] ou dans le frisson des [f], des rives incertaines aux figures de naufrages et de phares. Rien n’est moins sûr, dans ces vers souvent brefs, que les rivages auxquels nous abordons. Dans la violence des contraires — « ferveur » / « effroi » ; « houle fauve » / « tourment » —, les formes se dérobent, repliées sur leur silence :


    « l’écrin entrevu            
    restera sans dire »


    Mais toujours se glisse d’un poème à l’autre une voix qui passe, murmurée et discrète, sans que s’impose le moindre visage. Voix sans nom qui égrène ses actes de présence en un semi-silence, écriture de l’effacement.

    Il faut attendre le dernier poème de la première section pour que s’affirme un « je », dans l’affluence des allitérations en [v] : « ma vie au vitrail ». S’ouvre alors « le temps qu’il faut », partie du recueil rythmé par les très belles peintures de Bernard Jouanne.

    Un « je » se précise dans le paysage, qui sinue entre « causse » et « aven », entre « vent » et « pierraille », entre verts pâles et mauves, gris cendrés, bruns rose et lavande, mais aussi dans le surgissement de tons fauves ocres et orangés, strates qui s’agencent par bandes et vagues, trouées de craie affleurements des sables, striures et éclisses, soleils fervents émergeant « entre les parois », pour dire « la préhistoire du pays » :


    « ici          
    chaque mot fait événement
    la terre et le ciel se frottent
    comme l’espace et le temps
    s’ouvrant sous nos pas »


    et, pour le poète, affirmer sa volonté de présence en ces lieux :


    « je suis les mots échappés        
    de toutes les manières
    je suis le soleil et son ombre
    un retour à la rêverie
    pour ne pas oublier
    d’être là »


    Quelque chose dans le cheminement du poète se vit dans la lenteur. Lenteur à percer à l’orée des mondes. « La vie au vitrail » tamise la lumière filtre le temps et les émotions. Elle se vit dans le retrait et la presque retenue dans ces paysages de la discrétion. Tout ce qui se dit et se perçoit se tient à la marge, inscrit en des lointains d’où affleure la blessure. Lenteur, alors, du « temps qu’il faut » aux cicatrices pour se refermer ; « aux brumes ébréchées » pour s’éloigner et ainsi laisser « aux matières amoureuses / portées par le vent / marin la force d’advenir ». Et aux mots le temps de trouver leur place « là où tout commence / et finit ». « Mon visage dans l’ombre / de tes cuisses ». Dans un regard, à contre-jour.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli







    StephanCausse







    STÉPHAN CAUSSE


    Stéphan Causse
    Ph. : Vincent Decorde
    Source





    ■ Stéphan Causse
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    [Petite mer] (extrait de Boire le temps)
    Cévenne Séranne
    [mes lèvres balbutient] (extrait de Caresser la mer)




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  • Stéphan Causse | [Les lieux où je vous emmène]





    Causse4
    Peinture de Bernard Jouanne. Tous droits réservés.






    [LES LIEUX OÙ JE VOUS EMMÈNE]



    les lieux
    où je vous emmène
    sont faits de reflets
    comme le vert des buis
    ne voulant pas du ciel

    la mer existe dans la patience
    d’un désir
    baigner la lumière

    la ville arrive à l’improviste
    c’est l’hésitation du regard
    sur un monde
    qui surprend

    je suis les mots échappés
    de toutes les manières
    je suis le soleil et son ombre
    un retour à la rêverie
    pour ne pas oublier
    d’être là



    Stéphan Causse, « Le temps qu’il faut » in À deux pas dans le silence, Éditions du Petit Pois, Collection Correspondances, Béziers, 2015, page 40. Peintures de Bernard Jouanne.






    StephanCausse




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    Stéphan Causse
    Ph. : Vincent Decorde
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    ■ Stéphan Causse
    sur Terres de femmes


    À deux pas dans le silence (lecture d’AP)
    [Petite mer] (extrait de Boire le temps)
    Cévenne Séranne
    [mes lèvres balbutient] (extrait de Caresser la mer)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions du Petit Pois)
    la fiche de l’éditeur sur À deux pas dans le silence





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