Étiquette : Sylvie-E. Saliceti


  • Sylvie-E. Saliceti | [Dans la mer et le corps]




    [DANS LA MER ET LE CORPS]




    Dans la mer et le corps, il y a l’eau, le minéral, le fer. Les muscles durs de la fatigue, du charbon et de l’or. Quelques fièvres, des froidures, des volcans. Il y a du temps juste pour le plaisir, du temps à perdre et à mourir, le dur désir de durer et les horloges internes, les heures de feu, les instants de glace prête à rompre.

    À l’intérieur du corps tremblent les formes du cri de la soie, à l’endroit où la soif nous dénude, et laisse pour seul vêtement la peau des feuilles de mûrier blanc.

    Sciences de la mer, dites-moi les mers courtes et longues, les cyclones, les grands frais de mers froides, répondez-moi : est-ce que la mort est une lueur bleue ? Est-ce qu’elle blanchit comme nos cheveux  ?

    Le corps secoué, tendu à l’endroit de ses masques, s’écartèle entre rythmes contraires, énergies premières et magie du double.


    L’appui, l’élan, le point d’appel : tout se réduit à un geste unique.

    Est-ce ici l’origine de la nage, de la danse, des éclats de lecture ?

    Ici le brandon ? Ici où la première voix brûle ?




    Sylvie-E. Saliceti, La Voix de l’eau, I, Éditions de l’Aire, Collection métaphores, Vevey, 2017, pp. 32-33.






    Sylvie-E. Saliceti  La Voix de l'eau








    SYLVIE-E. SALICETI




    ■ Sylvie-E. Saliceti
    sur Terres de femmes

    Le batelier
    [Ces fresques sur les murs] (extrait de Couteau de lumière)
    Couteau de lumière (lecture d’AP)
    La danse de Sakuntala
    Je compte les écorces de mes mots (lecture de Sabine Huynh)
    → (dans l’anthologie Terres de femmes)
    La grenade



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terre à ciel)
    une lecture de La Voix de l’eau par Jean Palomba
    → (sur La Pierre et le Sel)
    d’autres extraits de La Voix de l’eau
    le site des éditions de l’Aire





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  • Sylvie-E. Saliceti, Couteau de lumière

    par Angèle Paoli

    Sylvie-E. Saliceti, Couteau de lumière,
    éditions Rougerie, 2016.
    Préface de Marc Dugardin.



    Lecture d’Angèle Paoli



    Sur l’eau, j’ai tracé les planches courbes
    Diptyque photographique, G.AdC
    « Sur l’eau, j’ai tracé les planches courbes.
    L’immobilité glisse »









    « UNE NEIGE D’ENCRE — PRESQUE BLEUE — ÉBLOUISSANTE »




    Dans son dernier recueil – Couteau de lumière, sous-titré Trois pierres à cerf –, Sylvie-E. Saliceti convie le lecteur à partager le mystère de sa création poétique : une création de maître-charpentier abondamment nourrie par une immersion profonde dans les domaines de réflexion qui lui tiennent à cœur. Ainsi que par la fréquentation intime des poètes avec lesquels elle entre en résonance. Poésie philosophie souffle du hassidisme connaissance des mythes et de la symbolique qui s’en dégage ou qui les fonde, réminiscence des écritures anciennes entrent en parfaite symbiose, donnant à découvrir une poésie singulière qui re-noue des liens étroits avec nos origines et fondations premières. Et dévoile des vers d’une fascinante et fulgurante vérité :

    « Écrire incline vers le blanc » / « J’habite ici, dans l’énergie du vide » / « On est léger quand on a tout perdu » / « Écrire est une nage ancienne » / « Il manque une étoile — comme une note absente du clavier… »

    La poète dresse trois stèles anciennes. Trois mégalithes gravés non d’idéogrammes (Segalen), mais de cerfs incisés dans le « regard de la pierre », au creux des nervures des schistes. « Pierres écrites » à décrypter pour en réinventer le chant. Chaque stèle est placée sous l’égide d’un poète : Thierry Metz, le poète qui penche, préside à la confrontation avec la première stèle, « Élan contre la terre », avec ces quelques vers mis en exergue :

    « T’écrire mène souvent

    à l’enfant, à sa tombe,

    à des pierres… ».

    Pierres / enfant / mort. Cette trilogie, outre qu’elle ouvre sur une mise à mort de l’élan, annonce les vers du poème suivant :

    « Un enfant est mort. Le père le porte, son poids penche vers le sol. »

    La deuxième stèle (insolitement initiée en page paire et non en belle page) : « La mer chaude comme un daim » est introduite par des vers d’Erri De Luca. Tirés du recueil Œuvres sur l’eau :

    « Pour celui qui écrit des histoires au sec de la prose, l’aventure des vers est une pleine mer ».

    À quoi répond en écho le vers d’ouverture de la section :

    « Où l’on se baigne dans le poème de la mer ».

    L’intitulé de la stèle annonce celui du poème de clôture emprunté au poète Jean-Claude Renard : « La mer chaude comme un cerf ».

    La troisième stèle (également introduite en page paire), « Vieil homme d’hiver », est un écho au poème en prose « La vie dure » du poète Pierre Reverdy : « C’est un vieil homme d’hiver qui ne meurt pas » (in La Lucarne ovale, 1916).

    Un écho à Pierre Reverdy lui-même : le poème s’ouvre et se ferme sur la date du 17 juin 1960, jour de la mort du poète :

    « C’était le soir du 17 juin 1960.

    […] à Solesmes. »

    Les trois stèles et les trois poètes forment un ensemble réuni sous le titre foudroyant Couteau de lumière. Une expression ambivalente empruntée à Carnet de soleil de Christian Bobin, cité dans la première épigraphe :

    « La vie est un couteau de lumière dont la lame s’enfonce dans le cœur des saints et des cerfs. »

    Sur la même page, après un long interlignage, répond en écho une citation de Pascal Quignard :

    « Il y a une joie d’abîme dans les caprices des cabris » (in Boutès)

    La mise en abyme étymologique — caprices / cabris — conduit la poète à ricocher sur la voie des cervidés et des caprins. Cerf / élan / chevreuil / daim / cabri occupent en effet le noyau de l’œuvre. Même si, au cours de la traversée créatrice, les chevaux font aussi leur apparition. Horses Horses Horses [coming in all directions ?].

    Quel que soit le poète vers lequel on se tourne, la mort est à l’œuvre qui dessine ses ombres antithétiques et aiguise la réflexion. De la flèche qui immobilise l’animal, à la lame qui « creuse le temps », au ciseau (l’amour) qui « taille le feu », jusqu’au « coupe-papier qui incise l’arête des pages », le sectionnement est une image récurrente qui préside pourtant à l’union :

    « Les grains sur la peau s’unissent aux ombres — tout ce qui est séparé se rassemble à l’entaille de ce geste. »

    D’une stèle à l’autre, la poète sème en chemin de multiples signes, tisse un réseau serré de liens, ouvre des pistes, glisse des jeux de lumière (une lumière qui est ici violence, « sauvagerie ») et d’ombres sur les énigmes du poème. Et le construit. En patience et en sagesse. Le chiffre trois scandant sa geste.

    Ainsi croisons-nous le trompettiste Chet Baker dont « le long phrasé » d’Almost Blue clôt la première stèle mais annonce aussi les « presque bleus » du poème d’ouverture de la seconde stèle :

    « Où l’on se baigne dans le poème de la mer

    presque bleus le vent et le delta Presque bleus les

    animaux muets au bord du fleuve — l’eau flam-

    boyante la morte la corrompue Les cerfs ont assé-

    ché le puits de la parole Les hommes patientent aux

    fresques du silence Presque bleue la goutte dense

    de leur sang et nos voix fertiles Presque bleues les

    choses promises à nos yeux. »

    Viennent ensuite, dans le poème consacré à Pierre Reverdy — « Perdre le sentiment » —, le poète Jean-Claude Renard et le vers « La mer chaude comme un cerf » et aussi, implicitement, la Patti Smith de Horses. Dans un même poème, Yves Bonnefoy avoisine le poète de l’école hermétique Giuseppe Ungaretti. La Dunja aux yeux de velours se profile dans l’attente. D’une immobilité à l’autre, celle de la rivière Douve et celle du poète italien, se glissent les « écorces » des mots, seules susceptibles d’établir le lien entre des souffles aussi différents que celui des deux hommes :

    « Sur l’eau, j’ai tracé les planches courbes.

    L’immobilité glisse

    […]

    Les mots sont nos écorces — lettres de plomb sur

    la peau blanche

    La lumière usée des poèmes cloue le fond des

    barques dont aucune nage vivante ne déjoue les

    courants

    Un poète italien attend d’accoster.

    Il attend Dunja — la biche aux yeux de ténèbres. »

    Dans la lecture des pierres, la poète est passée maître. C’est là, parmi les glyphes, qu’elle rejoint sa lignée. Là, sur les surfaces incrustées de signes, qu’elle « interroge l’inscription et l’effacement » ; « questionne la blessure miraculeuse » ; se penche sur les pierres taillées (ainsi des trois dédicataires du recueil), gravures et runes, cherche les signes sous la cendre ; « sous la couche neigeuse », elle déterre des visages. Elle lit dans « les bois vifs de l’enfance » aussi bien que dans les bois chantournés des élans, transmet la « parole du soleil à la mer », fait sourdre sous la caresse « l’écriture humide ».

    « Je lis les pierres à cerfs de ma lignée. »

    Dans sa verticalité essentielle, la pierre est liée à la verticalité de l’arbre, et l’arbre — tronc et ramure — lié aux ramures du cerf. Pierre et arbre sont reliés au ciel. Ensemble ils reçoivent et transmettent la force cosmique nécessaire au souffle de vie à la combustion à la chaleur première au feu initiatique. Ce savoir n’élude d’aucune façon le questionnement :

    « Suis-je cet arbre d’eau dont nulle racine n’est le

    centre ?

    Et qui pourtant me donne un nom. »

    Le poème est la demeure de Sylvie-E. Saliceti, et le cosmos, étoiles vents nuages montagnes rivières bois oiseaux et pierres, a autant d’importance qu’un hameau en ruine ou que les murs d’une chapelle abandonnée au maquis. Les pierres parlent, comme les bois des cerfs et comme les mains. Il suffit de se mettre à l’écoute de ce qui subrepticement se manifeste :

    « Le dieu est là dans le puits. Petit dieu couvert de

    pierres et de figues de barbarie — il appelle la sève

    depuis le fond du texte. »

    Il suffit de peu de chose. Il suffit de faire don :

    « Sur le seuil, j’ai déposé trois boules d’argile. »

    Une boule pour chaque poète, peut-être.

    De cette lecture à trois temps, la poète enfante son triptyque chamanique où se lisent et se lient amour et mort, forces cosmiques de la nature (mer et montagne indissociables), légendes christiques du cerf « prophète » — symbole d’élection, de sacrifice et de résurrection —, sans cesse menacé :

    « Heureux pour lui qu’il soit né avec des sabots

    pour s’enfuir. »

    Et toujours, dans cette traversée de vaticinatrice, l’accompagnent les énigmes, devinettes ou logogriphes. Peut-être à la manière de… :

    « Qui a dit : par degrés, être l’homme qui pose le sel sur la pierre ? »

    « Où est la demeure des oiseaux ? »

    « Pourquoi n’ont-ils rien écrit les oiseaux ? Où s’en

    vont nos silences après le dernier ? »

    Peut-être la réponse se trouve-t-elle en amont, dans l’effacement qui les caractérise :

    « Leur parole fut si simple, elle a traversé le monde, pareille au vent dans la plaine. »

    Comme l’oiseau, Sylvie-E. Saliceti fait le choix du retrait, qui va de pair avec la solitude et le silence. Son travail d’architecte accompli, elle peut dire :

    « Dans ma main il y a une seule vie. Une seule pierre. »

    Couteau de lumière. Trois mots réunis en une œuvre unique. « Une neige d’encre — presque bleue — éblouissante. »



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Couteau-de-lumière-2015
    SYLVIE-E. SALICETI






    ■ Sylvie-E. Saliceti
    sur Terres de femmes

    [Ces fresques sur les murs] (extrait de Couteau de lumière)
    Le batelier
    La danse de Sakuntala
    [Dans la mer et le corps](poème extrait de La Voix de l’eau)
    Je compte les écorces de mes mots (lecture de Sabine Huynh)
    → (dans l’anthologie Terres de femmes)
    La grenade



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la revue Traversées)
    une lecture de Couteau de lumière par Marc Wetzel
    → (sur La Pierre et le Sel)
    une lecture de Couteau de lumière par Marie-Hélène Prouteau





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  • Sylvie-E. Saliceti | [Ces fresques sur les murs]


    Fragments de murs chaulés Eglise de La Porta, Castagniccia Haute Corse_Fotor
    Ph., G.AdC






    [CES FRESQUES SUR LES MURS]




    Ces fresques sur les murs, ce sont les chants Affreschi. Écrire est une nage ancienne. Peinture murale, enduit frais dont la geste mélange la chaux éteinte et le sable de rivière. Le chant Affreschi, c’est le chaos rassemblé de l’eau, de la montagne et du feu. Du bout des doigts caressant la source, le peintre lie — à même la peau d’une femme — la boue écaillée de plis. C’est l’énergie de l’écho. C’est une prière dans un désordre de monarque. Cette fresque sur les murs a l’âge des filles aînées du monde. C’est un peu le début et la fin du souffle. Il y a des mots charriés de torrents phréatiques — d’un bleu dévasté.

    Elle perd son eau puis s’en va dans son nu — vacillante — l’écriture humide.



    Sylvie-E. Saliceti, « Première stèle | Élan contre la terre » in Couteau de lumière, Éditions Rougerie, 2016, page 36. Préface de Marc Dugardin.






    Couteau-de-lumière-2015
    SYLVIE-E. SALICETI





    ■ Sylvie-E. Saliceti
    sur Terres de femmes

    Couteau de lumière (lecture d’AP)
    Le batelier
    La danse de Sakuntala
    [Dans la mer et le corps](poème extrait de La Voix de l’eau)
    Je compte les écorces de mes mots (lecture de Sabine Huynh)
    → (dans l’anthologie Terres de femmes)
    La grenade



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la revue Traversées)
    une lecture de Couteau de lumière par Marc Wetzel





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  • Sylvie-E. Saliceti, Je compte les écorces de mes mots

    par Sabine Huynh

    Sylvie-E. Saliceti, Je compte les écorces de mes mots,
    Éditions Rougerie, 2013.
    Avant-propos de Sylvie-E. Saliceti.
    Postface de Bruno Doucey.



    Lecture de Sabine Huynh



    Foret 1
    Ph., G.AdC







    JE COMPTE LES ÉCORCES DE MES MOTS :
    DES POÈMES-SÉPULTURES À LIRE AVEC RECUEILLEMENT




    D’un sommeil torride
    je me suis réveillée
    Je compte les étoiles
    de mes mots
    et me consacre
    à la nuit

    (Rose Ausländer, Je compte les étoiles de mes mots)


    L’arbre resterait à célébrer, si le désert n’était partout.
    (Edmond Jabès)




    Par son titre, Je compte les écorces de mes mots de Sylvie-E. Saliceti (Rougerie, 2013) se place dans la lignée de la littérature de la Shoah et de la poésie de Rose Ausländer, la poète juive d’origine ukrainienne dont les textes sont marqués par l’Holocauste et l’exil. Le recueil de S.-E. Saliceti s’enracine en effet dans l’extermination des Juifs d’Europe et plus précisément des Juifs d’Ukraine. Il est dédié « Au petit garçon de la forêt qui jouait / à renvoyer les poignées de terre / À toutes les victimes, imprononcées, / de Lissinitchi ». Ces mots annoncent des textes où se répondent la beauté de la vie et la tragédie incommensurable : « La vie. La voix. La mémoire » (S.-E. Saliceti, avant-propos).


    Tout comme chez Rose Ausländer, la poésie de S.-E. Saliceti est ici concise et lucide, alternant longs poèmes et tercets aux vers brefs et porteurs d’une densité émotionnelle tangible, sous-tendus par une grande complexité historique et philosophique. J’entends une poésie engagée, ancrée dans l’histoire et les témoignages, que S.-E. Saliceti a consultés (comme elle le précise) « soit aux archives soviétiques de la ville de Lvov, soit au […] Centre Européen pour la Recherche et l’Enseignement sur la Shoah à l’Est, soit […] auprès de témoins sur place, lors d’un voyage d’études en Pologne et en Ukraine en février 2011 ». Poésie de circonstance, oui, mais aussi et surtout, nous allons le voir, poésie qui ouvre les yeux ; poésie de lumière, qui fait voir et entendre intensément ; poésie de l’éternel, comme le magnifique « texte-sépulture » qu’elle est.



    ce que je vous relate est arrivé

    dans ma mémoire recomposée

    (« Les imprononcés », Je compte les écorces de mes mots)




    Ces poèmes, teintés d’un lyrisme mesuré, sont énonciation de réalité, car la poète, devenue « exhumatrice » et gardienne de l’indicible, nous fait part de la douleur inconsolable éprouvée en foulant le sol de la forêt de Lissinitchi, dont les racines des chênes plantés par les nazis pour dissimuler les fosses communes s’entremêlent avec les corps de deux cent mille victimes. Les témoignages qui glacent le sang, placés en exergues de certains poèmes par S.-E. Saliceti, rappellent que le génocide n’a pas été seulement commis au sein de l’espace concentrationnaire : la Shoah par balles a aussi joué un rôle terrible dans l’extermination des juifs d’Europe orientale, puisqu’il s’avère qu’entre 1941 et 1944, plus d’un million et demi de personnes ont été assassinées au fusil et à la mitraillette par des commandos de SS. La Forêt sur les Juifs est le nom donné « après » au lieu-dit La Sablière de Lissinitchi.



    Aux Sablières qui a planté

    des branches dans la chair des enfants ?


    l’homme et son poème continu

    martèlent cette question : qui

    donc a eu l’idée de crucifier l’étoile dans

    le sable ?

    (« Lieu-dit La Sablière », Je compte les écorces de mes mots)




    Bruno Doucey nous signale dans sa remarquable postface à l’ouvrage que, « dans un livre dont le titre fait écho à celui de Sylvie-E. Saliceti, Écorces, l’historien Georges Didi-Huberman signale qu’à Birkenau “le lessivage des pluies a fait remonter d’innombrables esquilles et fragments d’os à la surface des sols” et qu’il n’est, curieusement, pas venu à l’idée des nazis de détruire ces sols ». Soulignons l’importance de la postface de Bruno Doucey, fine et riche, dont je citerai encore des extraits dans cette chronique.

    Il dit
    Je suis monté sur l’arbre. Les fosses étaient déjà creusées, dans la forêt juste à côté. Les corps ont brûlé toute la journée et toute la nuit pendant six mois.


    (S.-E. Saliceti, exergue au poème « Une voix », Je compte les écorces de mes mots)





    Foret 2
    Ph., G.AdC







    La Forêt sur les Juifs est une forêt de chênes. Je me demande si les nazis savaient que certains linguistes s’accordent pour dire que le mot chêne vient du judéo-français chasne, chaisne, chesne et que les premières traces de ce mot remontent aux textes de l’exégète juif Rachi… Que ce mot est associé à la lettre hébraïque dalet, qui symbolise le passage, puisqu’il renvoie à la notion de porte (le mot délèt en hébreu, « porte »), une porte qui peut s’ouvrir vers l’espoir, la lumière (comme elle peut rester fermée). Que cette lettre, lorsqu’elle est écrite à la main, en cursive, représente un homme courbé, humble… Que cet arbre, symbole de force, de pérennité, d’élévation, était mentionné dans la Genèse, sous l’appellation de « térébinthe de Moré » (Gn. XII, 6) et révéré par les Hébreux (Yhwh serait apparu à Abraham près de ce chêne, que même le feu ne pouvait dénaturer ni spolier)… Sans oublier, dans la mythologie grecque, le sanctuaire de divination de Dodone, où les oracles et les vérités étaient prononcés par un chêne, à travers le bruissement de ses feuilles dans le vent… Ainsi, le langage triomphe de la perversion nazie et défait la logique implacable des génocidaires.



    par-dessous le branchage je vis

    une ombre une silhouette

    courbée recueillie dans l’aurore

    une ombre

    une révérence

    qui était cette écorce ? une autre,

    ployée puis une nouvelle encore

    (« Les imprononcés », Je compte les écorces de mes mots)




    Bruno Doucey, toujours au sujet des bouleaux du camp de Birkenau, précise que « l’écorce de bouleau est un résidu plus riche qu’on ne le croit. Par sa surface fine et pérenne, comparable à celle du papyrus, il fut utilisé comme support d’écriture bien avant l’invention du papier. Les nazis savaient-ils qu’une abondante littérature, essentiellement en Russie, était consignée sur l’écorce de bouleau ? Que des hommes et des femmes déportés dans les camps de la mort se serviraient de ces écorces pour laisser trace de leur passage ? »


    « Parfois, un arbre parle » (Rose Ausländer) ; la forêt tressaillit aux sons que font les oiseaux, les abeilles, la pluie ; S.-E. Saliceti sait écouter et saisir la beauté de tous ces chants de vie.



    alors je me tournais d’un seul espoir

    vers le langage de

    l’oiseau

    Tsipor

    l’oiseau de Lissinitchi dont la bouche

    chantait

    à l’intérieur du rocher et

    comme Rose Ausländer

    j’ai compté les étoiles des mots –

    elles étaient enveloppées d’écorces

    et gisaient par terre

    dans le bois

    (« Les imprononcés », Je compte les écorces de mes mots)




    Les poèmes de S.-E. Saliceti – grande poésie, poésie du courage par excellence – œuvrent contre la gangrène du silence et du négationnisme. La poète n’a pas peur de prendre les faits et les témoignages à bras-le-corps et, même si elle constate, dans l’avant-propos du livre, l’effrayante carapace de silence enveloppant l’horreur, sa parole choisit de ne pas reculer devant lui, quitte à s’enfoncer dans sa forêt, à plonger dans ses racines, à la recherche de voix qui n’attendent que de sourdre. L’une d’elles est bien sûr la sienne, sa propre voix de poète porteuse des voix tu(é)es.

    Je recule partout. Devant l’indicible. Entre les fleurs. Un retrait par simple peur d’un glissement du pied sur la mousse. La colline est un charnier. Je recule devant le silence.


    […]


    Quelque chose se dresse en moi contre ce silence. Est-ce mon enfance enfouie ? J’entends le chant d’une grand-mère allumant les bougies de shabbat, aussi droites que des majuscules. Écrire devient l’urgence.


    (Avant-propos, Je compte les écorces de mes mots)

    une voix s’approchera-t-elle enfin ? un

    poème


    une voix une seule

    et c’est

    le ghetto entier des montagnes

    qui chante


    (« Une voix », Je compte les écorces de mes mots)




    Le feu de la mémoire est ravivé dans ces pages avec des paroles-étincelles dont la poésie, nécessaire, jaillit dans la nuit barbare, allant ainsi à la rencontre de la formule du philosophe Theodor Adorno. Jaccottet, dans La Seconde Semaison, écrit : « S’approchant de la mort, il faudrait pouvoir s’y adosser pour ne plus voir que le vivant ». Et ce n’est pas un hasard si le recueil de S.-E. Saliceti s’achève sur le nom de Celan, poète très présent dans ce livre, poète qui partageait le questionnement d’Adorno (qui lui-même lisait et estimait Celan), mais qui, au lieu du silence, opta pour la poésie, fût-elle de l’abîme. « Le silence des poètes n’est plus possible depuis Auschwitz », affirme Bruno Doucey dans la postface de Je compte les écorces de mes mots. Ausländer, Jaccottet, Celan, mais aussi Desnos, Mandelstam, Chalamov, Levi… Les mots des poètes tissent des réseaux d’échos dans le livre de S.-E. Saliceti, et, pour en appeler à ce que disait Mallarmé, « ils s’allument de reflets réciproques comme une virtuelle traînée de feux sur des pierreries ».



    une étoile de bois, bleue,

    faite de petits losanges, aujourd’hui, par

    la plus jeune de nos mains.


    Le mot, pendant que tu fais tomber du sel de la nuit,

    le regard

    cherche à nouveau la galerie du vent :

    — une étoile, entre-la,

    entre l’étoile dans la nuit

    (— dans la mienne dans

    la mienne)

    (Paul Celan, Grille de parole)




    Briser le silence de l’oubli et de l’effroi avec la poésie car, comme nous le comprenons avec S.-E. Saliceti, aujourd’hui nous sommes après l’écriture ou la vie, et la poète a choisi l’écriture, pour témoigner et rendre hommage, et donner une sépulture aux morts, même si la langue souffre, tel un arbre malade. L’anéantissement d’un peuple passe par la destruction et le pervertissement de sa langue. Comme Paul Celan, S.-E. Saliceti garde la mort du langage constamment à l’esprit : « Le génocide, n’est-ce pas le lieu de l’écroulement du langage ? » (avant-propos).



    c’était avant l’écriture ou la vie

    avant le ghetto de la langue

    aux cheveux blancs

    il était une fois un lieu pour

    l’écroulement du langage

    le tyran force les mots La phrase simple

    est violée quand

    il part


    Pour une fois écoute mon enfant Regarde

    le mot se pencher

    devenir aussi malade

    que le cerisier de notre jardin

    Goûte cette amertume

    ce langage truffé de vers


    […]


    le langage partout erre sans abri

    le langage pleut


    […]


    pour une fois écoute mon enfant

    Mon jeune cerisier debout J’ignorais

    que pût exister un pays

    où le langage s’étend au pied

    des bottes et se tord

    comme ces pieux de fer

    sur les laves de Belzec

    Schlof Mayn Kind


    […]


    ici

    une langue a brûlé

    (« Pays du langage couché »,

    Je compte les écorces de mes mots)




    Le titre du poème « Si c’est un poète » renvoie directement au titre du livre autobiographique de Primo Levi, Si c’est un homme. Chez S.-E. Saliceti, « la poésie est / un grand-père », un homme donc. Pour Primo Levi, l’homme a perdu son humanité, pour Sylvie-E. Saliceti, le poète a perdu sa langue.



    il murmure que

    la poésie est

    un grand-père

    un signe d’ordre à l’espérance


    […]

    Si c’est un poète

    entendra-t-il la plaie de la parole ?


    (« Si c’est un poète », Je compte les écorces de mes mots)







    Foret 3
    Ph., G.AdC







    « Qui était cette écorce ? », demande S.-E. Saliceti, mettant en équation le mot, l’arbre, l’humain et la lumière. Le mot est tout, à la fois forme et substance, contenant et contenu. Il est un arbre-homme-fait-de-mots, habillé, pourvu d’écorces, d’enveloppes protectrices, où l’on peut écrire, y graver le nom, la mémoire. L’écorce externe, morte, protège la vie de l’écorce interne, et du tronc. La peau du mot a été brûlée. Pour ne pas succomber au désespoir, « nous tous qui sommes les enfants des disparus. Des survivants, miraculés que nous sommes d’être nés plus tard, d’être nés ailleurs » (Bruno Doucey, postface), efforçons-nous de croire que la destruction n’a atteint que l’aspect visible, exposé, vulnérable, le sens corruptible en somme, périssable, et que le plus important est en-dessous, invisible-invincible ; et la sève, le sang, affluent vers le cœur de l’arbre, de l’être, dont la flamme de vie reste toujours allumée, intacte, recueillie par la langue au-deçà qu’est la poésie. Le mot « écorce », du latin impérial scŏrtea, « manteau de peau », m’évoque le schmatte yiddish (du polonais szmata, « chiffon, torchon, sans valeur ») : par le biais de sa langue poétique, S.-E. Saliceti célèbre les êtres humains que les nazis ont tenté d’avilir dans leur volonté d’en faire des poupées de chiffon juste bonnes à jeter au rebut.



    il y a aussi ce mot interdit : homme

    car là-bas l’appel des noms

    tatoue le bras d’un chiffre bleu

    ici le signe de l’ordre

    claque son fouet : Wstawac ! debout

    chiffon !

    […]

    je suis le détenu pas l’homme

    une poupée un torchon

    (« Pays du langage couché »,

    Je compte les écorces de mes mots)




    Les vers de S.-E. Saliceti sont à suivre comme des fêlures, des incisions dans le silence : à la fois douleur et « lumière entre les ramures du bois » (Jaccottet), ils sont vertige, qu’ils fixent et donnent. Reste cette béance… Peut-on la combler avec des mots ? Peut-on avoir des mots pour sépulture ? Avec la poète, je veux y croire, d’autant plus qu’une parole provoquant un tel ébranlement chez le lecteur est tout sauf vaine. Ses poèmes, émergeant de couches de silence (inhumer, n’est-ce pas déposer un corps dans l’humus ?), ne peuvent qu’en contenir beaucoup, mais leurs silences font de ces textes les lieux de recueillement qui manquent à la forêt de Lissinitchi : la forêt et le recueil endossent un caractère sacré. Leurs racines vont chercher très loin, sous et au-delà de la Forêt sur les Juifs, pour ramener à l’air pur la beauté originelle. Les mots sécrètent le suc de vie qui s’élève dans les troncs, permettant ainsi aux victimes-arbres de renouer avec la grâce et la force de l’environnement naturel ; les branches et les feuilles s’élancent vers le ciel, vers la lumière.


    En lisant Je compte les écorces de mes mots, j’ai repensé au Livre des questions d’Edmond Jabès (livre que j’ai découvert avec fascination il y a une dizaine d’années à l’université hébraïque de Jérusalem). Jabès croyait à « la mission de l’écrivain » : « Il la reçoit du verbe qui porte en lui sa souffrance et son espoir ». Je compte les écorces de mes mots est un livre qui pose l’écriture comme devoir de mémoire, devoir d’être, comme geste fondamental, celui d’écrire avec et contre. Et Jabès de dire : « Écrire, maintenant, uniquement pour faire savoir qu’un jour j’ai cessé d’exister ; que tout, au-dessus et autour de moi, est devenu bleu, immense étendue vide pour l’envol de l’aigle dont les ailes puissantes, en battant, répètent à l’infini les gestes de l’adieu au monde ».


    Les vers de Rose Ausländer me reviennent également en mémoire. Dans le poème « Deuil II », elle se demande « Comment / endurer / l’éternel deuil ? », et répond : « Chercher / une minuscule étincelle / dans l’obscurité ». Et c’est bien de cela qu’il s’agit avec la quête et l’écriture de S.-E. Saliceti, qui s’apparentent à une écoute incomparable, une véritable communion avec les victimes et leur forêt : la poète libère les étoiles piégées sous les écorces muettes.



    Plus petite qu’une paupière

    d’oiseau – ma bouche

    se tait pour écouter

    (Je compte les écorces de mes mots)




    Par leur concision et leur rigueur formelle, endiguant la densité émotionnelle, les poèmes de ce recueil majeur ne sont pas sans évoquer les haïkus modernes écrits après la catastrophe de Hiroshima, en particulier les muki-teki haiku (litt. « haïku sans kigo, sans mot de saison »), dont la fonction de dire l’atrocité se devait d’exclure l’inscription des saisons, puisque celles-ci ne pouvaient plus se lire dans la nature dévastée. Les vers brefs et subtils des poèmes de S.-E. Saliceti (tel ce tercet qui évoque une déportation en renvoyant à une autre : « Quelle est cette étoile sous / l’écorce – la tribu perdue ? ») possèdent également la douceur d’un baume, d’une caresse ; telles des épitaphes, ils restituent en quelque sorte aux victimes leurs dernières paroles.


    Malgré le gouffre de violence sur lequel elle a été amenée à pousser, la forêt de Lissinitchi ne peut pas n’être que funeste. Espace de vie, espace sacré, la lumière émane même de son sous-bois. La poésie méditative de S.-E. Saliceti contribue à davantage la nimber de mystère et d’intimité, invitant ainsi à la contemplation, qui exclut la colère et la haine. Je compte les écorces de mes mots est un recueil de poésie éthique, qui renoue avec l’une des fonctions premières de cet art, à savoir la réaffirmation de l’invincibilité de la beauté du monde et de la valeur inaliénable de la vie : le langage poétique de S.-E. Saliceti en porte sans conteste l’éclat, d’autant plus difficile à dire que celui-ci jaillit d’un sombre charnier. Il s’agit bien, comme l’a écrit Philippe Jaccottet, d’« opposer au néant ignoble la beauté la plus éclatante, la plus dense, la plus ferme possible : pour le plaisir, la jouissance et l’honneur ». La vie continue de s’écrire dans ces textes.



    Quand je ne serai plus

    le soleil brûlera encore

    Les planètes tourneront

    obéissant à leurs propres lois

    autour d’un centre

    inconnu de tous

    Le lilas sentira encore

    aussi bon

    et la neige dardera ses rayons blancs

    Quand j’aurai quitté

    notre terre amnésique

    parleras-tu

    encore un peu

    mes mots ?

    (Rose Ausländer, trad. de l’anglais : S. Huynh)



    quelle est cette branche en

    broussaille qui sort de terre ? elle semble

    une barbe blanche sur

    un visage

    et cette feuille rousse, ouverte ?

    est-ce la main

    d’un petit garçon ?


    c’est un poème mon bel enfant

    la berceuse de La Forêt sur les Juifs

    c’est le tombeau de l’étranger

    (Sylvie-E. Saliceti, « La branche et la feuille »,

    Je compte les écorces de mes mots)



    Poèmes concentrés, bribes poignantes arrachées à l’extermination et à l’obscur.


    m’entends-tu ? l’ombre

    par poignées ne cesse d’ensevelir

    les anges

    (« Lettre à Adonaï », Je compte les écorces de mes mots)




    Poèmes d’une poète gardienne de noms, d’une femme de fidélité, respectueuse des derniers devoirs, qui exauce splendidement le vœu qu’elle énonce dans l’avant-propos : « Les arbres ont poussé sur les corps. Ni prénom. Ni date. Pas même un écriteau. Pour eux, je voudrais un texte-sépulture ».



    Là-bas le soleil roule sur

    un chariot sans bouquet

    où s’entassent les peaux

    en parchemins

    Les roues de la carriole tracent leurs

    encres sur la neige

    Deux lignes aussi droites que

    Les flèches du chamane

    Je sais le rituel de la parole

    Le rituel de l’étoile

    Le rituel de l’écorce

    (« Je sais que le soleil tourne autour de la forêt »,

    Je compte les écorces de mes mots)



    Isaïe a dit qu’il leur donnerait

    dans sa maison et dans ses murs

    un mémorial – Yad –

    et un nom – Shem –

    qui ne seront pas effacés

    (« Oraison pour une oraison »,

    Je compte les écorces de mes mots)




    Puissance considérable de ces poèmes-refuges, poèmes d’éloge, poèmes-oraisons, poèmes-sépultures ; « Kaddish silencieux » pour des êtres « imprononcés / sous les arbres » (S.-E. Saliceti), aux noms avalés par le silence, car « pour autant, les références à la poésie comptent moins que la présence bouleversante et discrète des anonymes » (Bruno Doucey, postface). Poèmes bâtisseurs de la dernière demeure. Poèmes absolument essentiels. Parole libératrice. Et sous le soleil, chaque mot s’ouvre comme une fleur dans le poème-arbre, il est expression de vie, main ouverte ; noms à dire, à graver dans la pierre.



    Qui suis-je

    quand les nuages pleurent :

    un hôte étranger

    sur une plage étrangère

    j’attends

    que le soleil m’aime

    à nouveau

    avec sa raison dorée

    (Rose Ausländer, Je compte les étoiles de mes mots)


    cette étoile est une forêt de corps

    alors m’appelèrent

    ceux dont la bouche

    terreuse les empêchait de dire

    leur nom

    […]

    alors je me suis assise

    près d’eux – les imprononcés dont

    les prénoms dormaient

    sous nos chaussures

    (Sylvie-E. Saliceti, « Les imprononcés »,

    Je compte les écorces de mes mots)






    Rouge
    Ph., G.AdC







    Il n’est donc pas surprenant que le recueil de Sylvie-E. Saliceti se termine sur un nom, en l’occurrence celui de Celan, annoncé par la couleur rouge. Le rouge du langage, mais aussi de la plaie béante, de la violence insoutenable, du cri à vif : le rouge de Soutine… Qui en appelle à la création artistique, à l’écriture. Retour à Celan, encore et toujours : écrire, pour que fleurisse la pierre.




    Sabine Huynh
    D.R. Texte Sabine Huynh
    pour Terres de femmes







    Sylvie E.-Saliceti, Je compte les écorces de mes mots






    BIBLIOGRAPHIE


    • Ausländer (Rose), Je compte les étoiles de mes mots, traduit et présenté par Edmond Verroul (L’Âge d’homme, 2000).
    • Ausländer (Rose), Mother Tongue, traduction anglaise : Boase-Beier, Jean et • Anthony Vivis (Arc Publications, 1995).
    • Celan (Paul), Choix de poèmes réunis par l’auteur, édition bilingue, traduction et présentation de Jean-Pierre Lefebvre (Gallimard, 1998).
    • Celan (Paul), Grille de parole, édition bilingue, traduction de Martine Broda (Christian Bourgois, 1991).
    • Jabès (Edmond), Le Livre de l’hospitalité (Gallimard, 1991).
    • Jaccottet (Philippe), La Seconde Semaison : carnets 1980-1994, (Gallimard, 1996).
    • Jaccottet (Philippe), Une transaction secrète (Gallimard, 1987).
    • Jaccottet (Philippe), Paysages avec figures absentes (Gallimard, 1976).
    • Mallarmé (Stéphane), Divagations (1897).
    • Saliceti (Sylvie-E.), Je compte les écorces de mes mots (Rougerie, 2013).
    • Saliceti (Sylvie-E.), La Voix de l’eau, Éditions de l’Aire (Suisse, 2017).







    SYLVIE-E. SALICETI





    ■ Sylvie-E. Saliceti
    sur Terres de femmes

    Le batelier
    [Ces fresques sur les murs] (extrait de Couteau de lumière)
    Couteau de lumière (lecture d’AP)
    La danse de Sakuntala
    [Dans la mer et le corps](poème extrait de La Voix de l’eau)
    → (dans l’anthologie Terres de femmes)
    La grenade



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur La Pierre et le Sel)
    une recension de Je compte les écorces de mes mots par Pierre Kobel



    ■ Autres notes de lecture de Sabine Huynh
    sur Terres de femmes

    Matthieu Baumier, Le Silence des pierres
    Romain Verger, Fissions





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  • Sylvie-E. Saliceti | Les pierres sauvages



    Après la falaise 5
    Ph. angèlepaoli








    LES PIERRES SAUVAGES (extrait)



    I


    Près des pierres sauvages le temps, visage entre les mains,
    Fermait les yeux
    Puis son mendiant au souffle riche



    II

    Au pied de la façade romane
    Les corps impatients brûlaient
    Pierres indomptées, fauves d’onyx et de jaspe
    Debout contre la muraille à vif
    Corps lourds, immobiles, à vif
    Lenteur d’un caracal de Barbarie
    Ventre qui tremble contre ventre qui tremble
    Fossiles enchâssés sous le grain du mur
    Te souviens-tu
    De cet instant où les yeux disent aux lèvres qu’ils vont inventer et défaire ?



    III

    Aux pierres sauvages s’est scarifiée l’écorce de la roche grise, turquoise sanguine, en creux dans le fourneau de la panthère, du jaguar aux écailles rousses. Le long du chemin gît la mue du serpent, abandonnée parmi les ombres du marbre et les cailloux de sang



    IV

    Aux pierres sauvages… il y a ta peau douce enrochée sous le vent étésien, seul lieu jamais où je m’établirai, mordrai, implorant que le ciseau au moins fende nos bouches comme une seule



    V

    Façade nue, dure, tendre, mouvance du récif, veinure de la vague,
    écorche
    Écorche les griffes rugissantes du vent, cloue L’Harmattan dans la montagne jusqu’à ce qu’elle coule de la langueur des lents rubans de lave le long des pentes du Vesuvio



    VI

    Aux pierres sauvages
    L’écho
    Le silence, silence



    VII

    Dans le haut du ciel s’est creusée une vallée où s’assoiffent deux torrents libres qu’un cri de hyène secoue si d’aventure quelqu’un cherche à les séparer. Il y a les mains de l’Hurricane qui ne se rendront pas, ni à la nuit, ni à son étoile, à personne jamais, ni même au roc qui nous pétrifie dit-on quand vient l’éternité



    VIII

    Cramoisi le fronton de l’abbaye, cramé d’humanité entre la cendre et l’or, clocher foudroyé à la proue encapée sur l’écume lapis, fendant les ambres crépusculaires
    Qu’y a-t-il à Boscodon ?



    IX

    Aux pierres sauvages
    Il y a les corps farouches, toujours à bout de caresses, muscles saillants, luisants des chevaux crinière rubis, les tarpans, les bisons qui se flairent, se tournent autour



    X

    Quel est le nom de la terre où les pierres baladent leurs velours félins, se roulent dans l’herbe fraîche, se battent comme les lynx des sables ?



    XI

    L’origine coulerait-elle dans une prairie d’émeraude plutôt qu’entre-les-fleuves, vers l’Orient où le soleil et le rien se lèvent au creux des reins du Tigre et de l’Euphrate… ?



    XII

    Où est le lit de la rivière, sa gorge, sa bouche, la chair chaude enveloppant l’obsidienne blanche ? Je veux la vague d’albâtre léchant les pieds du monastère des contreforts alpins avant d’accoucher, je veux le ventre rouge de la colline, je veux la source du trouble



    XIII

    Après la falaise
    Il y a le désert
    Enfin la plaine… la plaine…


    […]




    Sylvie Saliceti, Les pierres sauvages in Phœnix, cahiers littéraires internationaux, n° 3, « Partage des voix », juillet 2011, pp. 66-67.






    SYLVIE-E. SALICETI





    ■ Sylvie-E. Saliceti
    sur Terres de femmes

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    [Dans la mer et le corps](poème extrait de La Voix de l’eau)
    → (dans l’anthologie Terres de femmes)
    La grenade
    Pépé l’Anguille de Sebastianu Dalzeto (café littéraire à Aix-en-Provence)
    Un chemin voilà tout (Chronique de Sylvie E. Saliceti sur Marguerite Porete)





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  • Sylvie-E. Saliceti | Le batelier



    Batelier
    D.R. Ph.
    Source







    LE BATELIER


    À Dagpo Rimpotché


    « Qui atteint l’autre
    rive *,
    Du côté de l’aurore ?
    Coulant vers le soleil
    par-delà les
    remparts ?
    Courant vers les
    enfants, qui pleure
    avec la pluie ?
    Pour guider l’Océan et pourfendre la nuit ?

    Qui atteint l’autre bord ?
    Où sont les rives d’or ? »

    Le poète, batelier… le poète lui répondit Milarepa.




    Sylvie-E. Saliceti, Lettres tibétaines, Essai poétique, Éditions Flammes Vives, 2010, page 64.



    __________________________________________
    * Pâramitâ : « ce qui atteint l’autre rive »





    LETTRES TIBETAINES






    SYLVIE-E. SALICETI





    ■ Sylvie-E. Saliceti
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    La danse de Sakuntala
    [Dans la mer et le corps](poème extrait de La Voix de l’eau)
    Je compte les écorces de mes mots (lecture de Sabine Huynh)
    Les pierres sauvages
    Pépé l’Anguille de Sebastianu Dalzeto (café littéraire à Aix-en-Provence)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
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