Étiquette : Table des bouchers


  • 19 août 2004 | Fabienne Courtade, le cœur bat très vite

    «  Poésie d’un jour  »


    Bruit de l-eau qui tombe avec le battement de cour
    Ph., G.AdC







    19 août 2004


    le cœur bat très vite
    les fleurs sont jetées derrière la porte

                                           sur les dalles inondées

    je suis debout       muette
    j’écoute


                                           bruit de l’eau qui tombe
    avec le battement de cœur



    marche dans
    fin d’été       de petits pétales se soulèvent
    retombent collés

                               on avance où ? dans quel décor ?



    Fabienne Courtade, Table des bouchers, éditions Flammarion, Collection Poésie/Flammarion dirigée par Yves di Manno, 2008, page 127.






    Fabienne Courtade  Table des bouchers




    FABIENNE COURTADE


    Fabienne Courtade
    Source




    ■ Fabienne Courtade
    sur Terres de femmes


    Table des bouchers, poésie (note de lecture d’AP)
    suffoquer prendre cette douleur (extrait de Table des bouchers)
    Rien ne nous précède (extrait de Ciel inversé)
    [le fleuve s’entend au loin] (extrait de Corps tranquille étendu)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    poème inédit [sans titre]




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur remue.net) « 
    Il faut poursuivre… ». Entretien avec Fabienne Courtade, par François Rannou





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  • Fabienne Courtade, Table des bouchers, poésie

    par Angèle Paoli

    Fabienne Courtade, Table des bouchers, poésie,
    Flammarion, Collection Poésie/Flammarion, 2008.



    Lecture d’Angèle Paoli



    Tenter_de_retenir_des_fragments_de_
    Ph., G.AdC







    ENTRE LES COURBES SINUSOÏDALES DU TEMPS



         Table des bouchers. Titre étonnant, inattendu, oxymorique presque, puisque le livre dont il s’agit est un recueil de poésie. Dérangeant ? Sans doute. Mais n’est-ce pas l’un des « actes » avoués/inavoués de la poésie que de dé-ranger ?

         Assez paradoxalement, ce titre, Table des bouchers, lettres rouges, m’attire. Je le sens qui innerve mes muscles, qui lance ses épines sous ma peau. Table des bouchers ouvre la porte, plein souffle, à La Leçon d’anatomie de Rembrandt, table de dissection où gît le défunt blafard, dépecé chairs à vif sous le scalpel ; ou au Bœuf écorché, écartelé, saignant, du même peintre. Plus près de nous encore, il donne sur les carcasses équarries, distordues, suspendues à des crocs de boucheries de Chaïm Soutine. Je laisse venir à moi les images, avant de me lancer dans la lecture du recueil. Mémoire de l’enfance, le souvenir lointain du cochon égorgé refait surface. La porte de la porcherie est fermée aujourd’hui, mais j’entends toujours le cri aigu du goret mis à mort, je l’imagine, pattes et groin ligotés, qui se tord avant de s’effondrer sur le billot, je vois le sang qui coule sous la porte et abreuve la terre. Puis le silence retombe sur le matin naissant. Plus rien. La cabane en bois de la porcherie est toujours là, gardienne des anciens sacrifices. Je lis et relis Table des bouchers. Je découvre Fabienne Courtade ou du moins un pan de sa poésie, le premier ouvrage que je lis vraiment d’elle. Grâce à (et non pas malgré) son titre ?

        Je cherche des ancrages dans la complexité du texte, des indices, des points de repère. Porte de L., Rue de L. Plus tard, Porte des Lilas. Un lieu, une superposition de décors, un scénario, des plans fixes, une énigme : « quelqu’un a disparu/on ne sait pas qui ». Et des dates. Des dates surtout. De 2002 à 2006. Ce pourrait être un carnet, ouvert sur/avec : « Petites notes d’été ». Mais non, la précision n’y est pas, elle échappe, se dérobe. En dépit des répétitions du même, du retour régulier de l’identique, images et réflexions. Une date-clé, pourtant, stigmatise la douleur, une date incertaine, 28 juin 2002 ou peut-être 28 mai 2003, la mémoire tremble hésitante invente se trompe tente de s’agripper à des points d’appui qui se refusent.

    « J’ai noté sur un papier 28 juin 2002 28 mai 2003

    28 mai 2003 18h30 »

        Les décors eux-mêmes, ville et intérieurs, s’animent, s’amenuisent, se minimalisent, disparaissent, les mêmes, mais pas toujours, « même point mais avec quelques dissonances ». Tout change, même si tout semble immobile, tout juste un tremblé. Un scénario se joue avec des acteurs, ombres sans visages ; et des accélérés, des arrêts soudains sur image. Impression de ralenti extrême, accentué par les blancs

    « le silence     ne bouge plus
    du mois de
    juin 2002 à aujourd’hui »

        Flashes-back et sauts en avant alternent. Mais tout se répète à l’identique bouge à peine d’une date à l’autre de mois en mois d’une année à l’autre de 2002 à 2006 de 2006 à 2003, puis à nouveau à 2002. Répéter, redire, repasser par l’identique, c’est tenter de retenir des fragments de la réalité, une saison et une lumière – l’été – un espace ou un paysage – vitre et fenêtre, « murs et carrelages glacés », escalier sans marche, grilles et bassin –, et des notes-souvenirs –« asters violets », déchets et os, « petits objets » et petits animaux,

    « insectes      qui prolifèrent »

        Reprendre les fragments d’une réalité qui a volé en éclats, pour tenter de com-prendre :

    « je reprends je recommence
    je reprends des mots

    je suis privée de mots
    pour tout ce qui passe à vive allure ».


        Et entre les courbes sinusoïdales du temps qui fluctue avec les soubresauts de la mémoire ― boite de Pandore qui libère les « petits souvenirs » ―, des liens apparaissent :

    « juin
    je m’attache à des liens serrés »

    […] « les herbes sont des liens
    qui me tiennent à lui »

    ou encore :

    « je le retrouve toujours entre les liens »

        et des fils. Fils tendus entre les pages et entre les blancs qui séparent une strophe de l’autre. Tirets laissés sous silence, privés de suite, livrés au vide sans parole :

    « ―
    ― abandonne
    ― ne reviens pas »

        Fils d’Ariane que le lecteur cherche à tirer/tisser pour tenter de faire sienne l’histoire d’une vie qui s’accroche à ce qu’il reste d’elle, débris, bris de vie, commentés en off par la voix italique qui dit :

    « mais je m’en vais
                                           et je me souviens mal »

        Fils tissés autour du « je » qui s’attache ― « je me couvre de fils » ― puis se scinde, se sépare, brisé lui aussi, cherche à retenir dans les gestes de la tendresse, la présence de l’absent. Jusqu’au fil qui se dépose sur « la table des bouchers », « décor réduit au minimum » du billot sacrificiel où gît le mourant. Sang et os, « débris de chair ». Un « fil distendu ». Tout ce qui reste d’une vie ? Avec ce film qui passe en boucle et brouille le peu d’« articulations » qui reste :

    « je perds tous côtés     choses et êtres se perdent
                                                   je glisse sur des tombes »

         Au-delà, ce qui reste encore, c’est le corps « découpé » de celle qui, coupée de la vie, continue de vivre sans voir, se fait cocon, tissé de « liens serrés ». Ainsi le vivant qui demeure, s’assimile-t-il à l’autre qui est parti :

    « un peu de terre     est posé sur moi

    j’avance vers lui    le corps avance ».

         Il ne reste plus qu’à écouter la voix off de celle qui se baisse pour ramasser « tout ce qui reste » :

    « prends tout ce qui reste, les miettes aussi


    je les prends par terre je suis à terre
    je ramasse les miettes ».

        Et à suivre, d’une saison à l’autre de la vie, de juin à novembre, de mai à juillet, d’un versant à l’autre du mur, les marques de la séparation. Pages blanches, interruptions. Des blancs encore, indices de la disparition, des pointillés. Des parenthèses qui s’ouvrent mais ne se referment pas ― peut-être pour permettre au même de resurgir, de remonter à la surface de la mémoire. Peut-être aussi pour permettre à la narratrice d’enjamber le temps et de conjurer la souffrance. Car Table des bouchers est l’histoire d’une souffrance, d’un deuil qui ne parvient pas à se faire. Et la tentation, toujours recommencée, de mettre en mots, avec variations sur le même, ce moment où la vie s’absente et laisse l’autre désemparé, au bout de sa propre absence. Écrire, repasser par les mêmes mots, les mêmes étapes de l’événement vécu dans la douleur, c’est tenter de consigner cette douleur dans un espace clos d’où elle ne peut sortir. La concentrer là, pour mieux l’apprivoiser, la tenir à portée de larmes dans ce lieu unique fait de vitres ― brisées, parfois ― et de carrelage froid :

    « les reflets sur le mur
                                         carrelage glacé
                                         délimite le champ de la douleur »

        Que faire d’autre pour conjurer la douleur sinon repasser par les mêmes gestes, s’absorber dans les mêmes petits rituels têtus ? Petite Antigone tenace, la narratrice tente de remettre de l’ordre dans ce qui paraît pouvoir l’être :

    «  je compte les petits objets retrouvés
    au milieu de la pièce
                                                            après son départ
     »

    ou

    « On reprend le décor, on remet les choses en ordre

    au centre il y a de la lumière
    on ne peut pas l’atteindre
     ».

         Elle recommence et s’obstine. Pour tenter de faire corps à nouveau avec l’être aimé et disparu :


                                                         « je souffle sur les
                                                         poussières, les cendres je recommence

    par la fenêtre je regarde

    quelques heures passées

                                                         sur le visage
                                                         du mort, je ne fais aucun bruit
                                                         je marche à l’intérieur
                                                         je n’oublie pas
    mais le corps
    est fermé ».

        Et lorsque est venu le moment de prendre congé de cette histoire ― qui pourtant continue ―, « tout est déjà mort ». Reste le présent. Un présent qui semble déborder du trop-plein du vide qui se lit dans le dernier vers :

    « Et aujourd’hui les pluies sont trop fortes ».


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Fabienne Courtade  Table des bouchers




    FABIENNE COURTADE


    Fabienne Courtade
    Source




    ■ Fabienne Courtade
    sur Terres de femmes


    suffoquer prendre cette douleur (extrait de Table des bouchers)
    Rien ne nous précède (extrait de Ciel inversé)
    19 août 2004 | Fabienne Courtade, le cœur bat très vite
    [le fleuve s’entend au loin] (extrait de Corps tranquille étendu)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    poème inédit [sans titre]




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur remue.net) « 
    Il faut poursuivre… ». Entretien avec Fabienne Courtade, par François Rannou





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  • Fabienne Courtade | suffoquer prendre cette douleur

    «  Poésie d’un jour  »


    Nous_sommes_dos__dos
    Image, G.AdC







    suffoquer prendre cette douleur




    suffoquer prendre cette douleur
    délicieuse    douceur attendre
    regarde passer

    je voulais t’avaler, je te regarde, je       
    n’en reviens pas j’y reviens pourtant je

    viens
    regarde

    avale
    perds
    un peu de sueur      bord
    des lèvres     si douces évidentes s’y
    noyer
    avec
    champ de bataille     même
    sous
    dessous moins que
    rien au-dessous de
    moins que rien
    fermer avec mots inscrits sur papier : mots d’amour ― écrit-il
    / sans /
    ce sont mots derniers, sur billet de banque combien
    je      coûte      (rien je
    ne
    coûte      rien

    le corps est de dos
    nous sommes dos à dos


    j’avance




    Fabienne Courtade, Table des bouchers, éditions Flammarion, Collection Poésie/Flammarion dirigée par Yves di Manno, 2008, pp. 151-152.






    Fabienne Courtade  Table des bouchers





    FABIENNE COURTADE






    ■ Fabienne Courtade
    sur Terres de femmes


    Table des bouchers, poésie (note de lecture d’AP)
    19 août 2004 | Fabienne Courtade, le cœur bat très vite (extrait de Table des bouchers)
    Rien ne nous précède (extrait de Ciel inversé)
    [le fleuve s’entend au loin] (extrait de Corps tranquille étendu)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    poème inédit [sans titre]





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