Étiquette : Traduit de l’anglais


  • Layli Long Soldier | wahpániča



    Whereas X NB








    WAHPANICA
    (extrait)





    Je commence une ligne au sujet de buttes blanches d’où penchent des visages ciselés aux paupières de pierre cliquetant la nuit, mais j’abandonne. À la place je pousse mon amour dans ce monde et t’envoie une lettre estivale. De la boîte aux lettres à la porte, tu lis les virgules à voix haute. Je suis devenue une épouse d’eau embouteillée virgule eye-liner noir au cil virgule et manches aux poignets. Ces semaines seule seule seule virgule je tire mon corps vers une table aux chaises vides et parfois je ne peux contrôler l’impulsion de commander. Seule seule j’ordonne assieds-toi virgule mange virgule et j’écris en détail pour faire taire un écho virgule la rupture d’une ligne de faille.

    *

    Je voulais écrire au sujet de wahpániča un mot traduit en anglais par pauvre virgule ce qui signifie plus précisément être dans la misère n’avoir rien à soi. Mais cette nuit je ne peux me résoudre à balancer un marteau usé sur la pauvreté afin de frapper les conditions de cette lente frustration. Alors je demande quoi d’autre est là à entendre ? Une virgule m’apprend à diviser une phrase. À m’arrêter. La virgule exige une séquence d’éléments la virgule est césure elle-même. La virgule m’interrompt, silencieuse.

    *

    Jour de la fête des pères virgule je ne suis pas avec toi. Mes yeux fixent une photo noir et blanc de toi virgule mon mari vêtu d’une chemise violette virgule tes cheveux attachés en arrière et tes yeux sur le visage de notre fille endormie. Quand j’écris virgule je m’approche des gens que je veux connaître virgule du langage que je veux parler.

    […]

    Parce que wahpániča signifie n’avoir rien à soi. Rien. Pourtant j’ai l’intention que la virgule signifie ce que nous avons donc je me ralentis pour me souvenir que c’est vrai un enfant réussit mieux quand lié étroitement à un parent avant l’âge de cinq ans virgule intimement. Près de toi virgule notre fille ferme les yeux et vous reposez vos têtes lacs bleu-noir virgule un verre historique renversé sur l’oreiller. Elle le gardera. Et s’il est vrai que ce qui débute comme souci doublera dans le temps soulèvera sa tête comme un point à notre phrase alors j’admets que je réussis mieux avec la musique entre les variations de la voix qui s’élève et monte et descend. Néanmoins je fouille dans mes poches commode tiroirs bibliothèque virgule cueillette méticuleuse virgule parce que je dois l’écrire pour le voir virgule je supplie le dictionnaire d’apprendre un mot pour pauvre virgule dans un langage que j’ose appeler mon langage virgule qui suis-je. Frisson envahissant ma bouche barbouillée simplement de l’huile à la surface virgule parce que je me sens wahpániča je me sens seule. Mais c’est une traduction débordante pour comment je ne réussis pas à dire ce que j’ai à l’esprit virgule la douleur méta-locutoire d’être pauvre en langue.




    Layli Long Soldier, « Première partie, Voici les préoccupations », Attendu que, éditions Isabelle Sauvage, Collection « Chaos », 29410 Plounéour-Ménez, 2020, pp. 53-54. Traduit de l’anglais (américain) par Béatrice Machet.





    Attendu que couv






    I begin a line about white buttes that bend chiseled faces and click stone eyelids at night, but abandon it. Instead, I push my love into this world and mail you a summer letter. From mail-box to door, you read the commas aloud. I’ve become a wife of bottled water comma black liner at the lash comma and sleeves to the wrist. These weeks alone alone alone comma I pull my body to a table of empty chairs and sometimes I cannot stop the impulse to command. Alone alone I instruct sit down comma eat up comma and I write in detail to hush an echo comma the rupture of a fault line.

    *

    I wanted to write about wahpániča a word translated into English as poor comma which means more precisely to be destitute to have nothing of one’s owns. But tonight I cannot bring myself to swing a worn hammer at poverty to pound the conditions of that slow frustration. So I ask what else is there to hear? A comma instructs me to divide a sentence. To pause. The comma orders a sequence of elements the comma is caesura itself. The comma interrupts me with, quiet.

    *

    Father’s day comma I am not with you. I stare at a black-and-white photo of you comma my husband in a velvet shirt comma your hair tied back and your eyes on the face on our sleeping daughter. When I write comma I come closer to people I want to know comma to the language I want to speak.

    […]

    Because wahpániča means to have nothing of one’s own. Nothing. Yet I intend the comma to mean what we do possess so I slow myself to remember it’s true a child performs best when bonded with a parent before the age of five closely comma intimately. Next to you comma our daughter closes her eyes and you rest your heads blue-black lakes comma historic glass across the pillow. She’ll keep this. And if it’s true that what begins as trouble will double over to the end will raise its head as a period to our sentence then I admit I perform best to the music inbetween the rise and fall of the voice. Nevertheless I dig through my pockets dresser drawers bookshelves comma meticulous picking comma because I must write it to see it comma how I beg from a dictionary to learn our word for poor comma in a language I dare to call my language comma who am I. A sweeping chill my stained mouth just oil at the surface comma because I feel wahpániča I feel alone. But this is a spill-over translation for how I cannot speak my mind comma the meta-phrasal ache of being language poor.




    Layli Long Soldier, Wahpániča, Whereas, Graywolf Press, Minneapolis, Minnesota 55401, 2017, pp. 43-44.





    Whereas finalist[…]



    LAYLI LONG SOLDIER


    Layli-Long-Soldier
    Source




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    une fiche bio-bibliographique sur Layli Long Soldier
    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la fiche de l’éditeur sur Attendu que
    → (sur Harvard Review Online)
    Whereas by Layli Long Soldier reviewed by Michael Wasson
    → (sur YouTube)
    Poet Layli Long Soldier reads from Whereas (poem 38)
    → (sur YouTube)
    Layli Long Soldier | Whereas || Radcliffe Institute (The poet and artist Layli Long Soldier presents Whereas, a poetry reading [6:26] and discussion featuring Nick Estes [45:24])





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  • Adrienne Rich, Paroles d’un monde difficile, Poèmes 1988-2004

    par Angèle Paoli

    Adrienne Rich, Paroles d’un monde difficile,
    Poèmes 1988-2004,

    La rumeur libre éditions,
    Série mεtaphrasi | Domaine américain, 2019.
    Traduit de l’anglais (États-Unis)
    par Chantal Bizzini.



    Lecture d’Angèle Paoli


    Bizzini
    Sur la ligne Queens – Manhattan,
    photographie de Chantal Bizzini, 2007,
    première de couverture de Paroles d’un monde difficile








    LA POÉSIE, « UNE VIEILLE FORME SUBVERSIVE »




    Pour la première fois en France vient de paraître une anthologie consacrée à la poète américaine Adrienne Rich. Une poète majeure et l’une des grandes voix poétiques d’aujourd’hui, « guide spirituel d’une génération ».1

    Rassemblés sous le titre Paroles d’un monde difficile, les poèmes de cette anthologie couvrent une période qui s’étend de 1988 à 2004. Ils sont répartis en quatre sections : Un atlas du monde difficile (poèmes 1988-1991) | Sauvetage à minuit (poèmes 1995-1998) | Renarde (poèmes 1998-2000) | L’École parmi les ruines (poèmes 2000-2004).

    La traduction de ces poèmes – publiés aux éditions de La rumeur libre – a été assurée par Chantal Bizzini, qui offre en ouverture un avant-propos très éclairant intitulé « Du morcellement à l’unité, Paroles d’un monde difficile d’Adrienne Rich ».

    Adrienne Rich (1929-2012), militante féministe et pacifiste, s’est attachée tout au long de sa vie et de sa création à défendre et à revendiquer l’idée que « narrer la condition humaine est notre affaire à nous femmes, et même prioritairement »2. C’est dire si écrire est une nécessité vitale, un mode de « reconquête de soi et du monde ». C’est aussi une manière vigoureuse de proclamer que le travail du poète requiert une forme de courage. Car écrire, pour Adrienne Rich, c’est s’attacher à faire un état des lieux aussi précis et réaliste que possible du pays où elle vit. C’est s’attacher à relier le présent dont elle est le témoin avec le passé dont celui-ci découle. C’est convoquer tous les oubliés de l’histoire, les sans-nom et les sans-visage, les exploités et les expropriés, les Indiens anéantis, les noirs pourchassés et assassinés tout comme les blancs exploités et réduits à vivre dans des conditions misérables. Écrire, c’est restituer une cartographie première où ressurgit tout ce que l’histoire politique d’une nation s’est appliquée à effacer.

    Dans les treize poèmes qui composent Un atlas du monde difficile, la poète plante de l’Amérique un décor dévasté. Décor semi-urbain d’étendues immenses où se déploient nombre d’« empires agro-alimentaires » ou industriels. Mines de cuivre de charbon et de silicone. « Cimetières de carcasses ruinées », perdus au milieu d’immenses champs de sorgho ou de « girasols » qui uniformisent les vastes espaces :

    « Voici une carte de notre pays :

    voici la Mer de l’Indifférence, glacée de sel,

    C’est la rivière hantée, coulant des sourcils à l’aine,

    nous n’osons pas goûter son eau,

    C’est le désert, où des missiles sont plantés comme des bulbes,

    C’est le grenier à blé des fermes hypothéquées ».

    Décors dans lesquels sévissent la misère et la violence. Enfants livrés à eux-mêmes, errant sans but ou ne mangeant pas à leur faim. Journaliers en quête d’un travail. Femmes violentées et tuées. Naufragés de la vie. « En danger dans cette république désunie, / enfermés hors de vue et d’écoute, loin du cœur, remisés ».

    La cartographie que déploie Adrienne Rich est celle de l’Amérique des pauvres, de l’Amérique des déclassés, des meurtris, une Amérique faite de faillites et de résignation. Une Amérique des grands contrastes : « Voici la capitale de l’argent et de la douleur dans les tours ». Une cartographie qui semble en phase avec la lecture récente que la poète avait faite (vers 1980) de certains écrits de Karl Marx. Ainsi écrit-elle à propos de cette lecture dans un ouvrage intitulé Les Arts du possible (2001) :

    « Ce qui m’a incitée à poursuivre, c’est l’impression d’être en compagnie d’un grand cartographe de la condition humaine et, tout particulièrement, l’impression d’être en terrain connu : celui des rapports économiques motivés par le profit qui envahissent certains domaines de la pensée et du sentiment. La description que Marx fait du capitalisme de la première moitié du XIXe siècle et de la déshumanisation que celui-ci inflige au paysage social semblait plus juste que jamais à la fin du XIXe siècle.3 »

    La poète voyage, d’est en ouest, de la côte Atlantique à la côte Pacifique ; du Vermont à la Californie, et du Nord au Sud, de Willoughby au sud du Québec. « Il y a des routes à prendre », écrit Adrienne Rich, une injonction qu’elle emprunte à la poète militante Muriel Rukeyser (1913-1980). Sur l’atlas personnel que dessine Adrienne Rich au fur de ses déplacements, le passé fait souvent irruption au détour d’une route, à l’occasion d’un périple au travers d’une région. Les noms des villes livrent leur part d’histoire – « poèmes en cantonais inscrits sur le brouillard » et « poèmes sur un mur fatigué », avoisinant des « bordées d’injures ». Souvenirs de la guerre de Sécession et des massacres de tribus indiennes ou souvenirs de la guerre du Vietnam :

    « Saisis si tu peux, les grands moments de ton pays, commence

    à n’importe quelle feuille arrachée de l’éphéméride : Appomattox

    Wounded Knee, Los Alamos, Selma, le dernier pont aérien venant de Saïgon

    l’infirmière, naguère dans l’armée, faisant du stop depuis le centre de debriefing, une médaille

    de crachat sur l’épaule du vétéran

    – saisis si tu peux ce pays sans borne ».

    La lecture joue un rôle essentiel dans la réflexion de la poète. Celle en particulier de poètes comme Muriel Rukeyser. Dont les poèmes, « par leur audace et leur envergure », stimulent la réflexion de la poète de Baltimore. Adrienne Rich voit en son aînée « une de ces architectes-tailleurs de pierres » majeures, laquelle s’efforçait avec d’autres de travailler à l’élaboration d’un édifice qu’un atlas seul ne pouvait réaliser. Ainsi la figure mythique du titan « portant seul la voûte du ciel sur son dos » est-elle amplifiée dans la vision élargie qu’en donne la poète. Pour qui « le travail poétique, comme tout travail, s’accomplit en commun », et pour qui « écrire peut aider à bâtir une communauté »4.

    Plus éloignée d’elle dans le temps, Elizabeth Gaskell (1810-1865) dont Rich a lu La Vie de Charlotte Brontë, récit qui lui inspire cette remarque :

    « [J]’essayais de me représenter une telle vie, comment le génie se déployait dans les jours courts, les maigres moyens de cette maison. »

    Les objets eux-mêmes, si modestes et si ébréchés soient-ils, participent de ces résurgences, lesquelles se télescopent de manière singulière sur la narration présente. Ainsi des théières jumelles, « l’une au bec cassé, rouge et bleue », héritée de sa grand-mère Mary et l’autre, « faïence à fleurs des Midlands », cadeau d’« une Juive allemande, une réfugiée, qui se suicida… ».

    Et puis, côtoyant dans le poème les théières de récupération, cet autre objet qui lui vient de son père : « Dans un petit cadre, sous verre, l’ex-libris de mon père, qu’il grava en son ardente jeunesse », la devise que la poète fit sienne :

    « Without labor, no sweetness ». Sans peine, pas de douceur.

    De ce portrait de l’Amérique géographique — avec ses vastes compositions panoramiques, ses montagnes, ses forêts, ses lacs, ses canyons, ses déserts — mais également sociale et culturelle – avec ses plans rapprochés – surgissent des voix anonymes qui se suivent sans se rencontrer dans un collage polyphonique qui acquiert l’intensité d’un porte-voix. Des « on dit » se succèdent, comme captés sur le vif, chacun exprimant ce qui tient à cœur. Les poèmes se suivent, la plupart assez longs, marqués ou structurés par la reprise de termes identiques. « Je ne veux pas entendre comment » / « Je ne veux pas penser » / « Je ne veux pas savoir ». Poèmes amples, construits sur des itérations et des balancements antagonistes, comme c’est le cas pour le poème XI :

    « certains pour qui la guerre est nouvelle, d’autres pour qui elle prolonge seulement

    les vieux paroxysmes du temps

    certains marchant pour la paix qui depuis vingt ans n’ont pas marché pour

    la justice

    certains pour qui la paix est un mot d’homme blanc et un privilège d’homme blanc

    certains qui ont appris à manipuler et à prévoir les formes de

    l’impuissance et du pouvoir ».

    Mais la voix que l’on croise, c’est aussi la voix d’une poète qui s’adresse à nombre d’interlocuteurs inconnus. Employé de bureau, passant dans une librairie, homme ou femme sur le point de partir, passager du métro, téléspectateur devant son écran… jeune maman « un enfant qui pleure sur l’épaule, un livre dans la main… ». Ainsi du très beau poème XIII (Dédicaces), qui semble comme un écho des poèmes de Walt Whitman. Tout au long de son développement, ce poème reprend la formule introductive : « Je sais que tu lis ce poème. » Et se clôt sur ces vers :

    « Je sais que tu lis ces poèmes parce qu’il n’y a plus rien d’autre à lire

    là où tu as débarqué, dépouillée comme tu l’es. »

    Dans le même temps, des instantanés de la vie quotidienne se juxtaposent, saynètes brèves, comme saisies dans l’instant par une caméra ou par un micro-trottoir.

    Parfois une question primordiale interrompt, qui se glisse entre deux considérations : « Je suis quoi ? » Ou encore : « Où sommes-nous amarrés ? Quels sont les liens ? Qu’est ce qui nous incombe ? ». Interrogations que l’on retrouve à deux reprises dans Un atlas du monde difficile.

    Pour Adrienne Rich, le travail du poète est un travail partagé entre tous, astronome, historien, « architecte de rues nouvelles ». C’est aussi un travail d’écoute et de sensibilité, travail de résilience mis au service de chacun et de tous. De

    « la femme désespérée, de l’homme désespéré

    – travail de réparation jamais achevé, qui n’a toujours pas commencé ».

    Adrienne Rich poursuit sans relâche son parcours poétique en inscrivant le dialogue au cœur de son écriture. Incorporant (en caractères italiques) aux voix des gens qu’elle rencontre la voix de poètes et d’auteurs dont lui tiennent à cœur expressions ou pensées : Mandelstam, Marx, Engels, Che Guevara… Ou qu’elle rejette, comme cette assertion de Richard Nixon recueillie dans un enregistrement :

    …« les Arts, tu vois – c’est des Juifs, ils sont de gauche, bref, reste à l’écart… ».

    De 1995 à 1998, ce tissage continu des voix trouve sa place dans la section intitulée Une longue conversation, où alternent poèmes brefs — identifiables par leur mise en espace plus aérée et aérienne (alinéas, blancs typographiques… alternance de vers courts et longs) — et proses plus denses. Il arrive aussi que le texte conjugue toutes les formes à la fois, poèmes et proses, où viennent s’imbriquer des citations en italiques.

    « Plus tard, par la fenêtre un soir d’hiver qui descend très vite mes yeux sur la page saisissent alors ton visage tes seins, cette lumière

    …petits industriels, petits commerçants et rentiers, petit artisans et paysans, tout l’échelon inférieur des classes moyennes de jadis, tombent dans le prolétariat ».

    Mais, quelle que soit la mise en forme du texte, toujours revient la préoccupation première qui est de permettre à chacune des voix de trouver sa place parmi les autres. Sans hiérarchie aucune. Le questionnement, accompagné d’extraits de manifestes et de déclarations, devient ici plus largement politique.

    « Quelqu’un : — La technologie modifie les formes les plus courantes du contact humain – qui ne peut voir ça dans sa propre vie ?

    — Mais la technologie n’est qu’un moyen.

    — Quelqu’un, dis-je, fait fortune grâce à la guerre. Toi : — Je te l’ai déjà dit, c’est le moteur de l’économie de marché. Ce n’est pas l’information, mais la militarisation. Les arsenaux multiplient la richesse.

    Une autre femme : — Mais alors, le nationalisme patriarcal doit être la clé ? […] »

    Le dialogue se clôt sur une intervention ayant trait à la poésie :

    — « Je ne puis souffrir ce type de discours. La poésie m’importe encore. »

    Puis rebondit à la page suivante :

    « Toutes sortes de discours surgissent dans la poésie, que ça te plaise

    ou non, ou même si simplement

    comme nous     tu essayes

    d’avoir l’œil

    sur les armes dans la rue

    et sous la rue ».

    Écrit en 1998, le premier poème de Renarde, « Victoire », est dédié à l’amie Tory Dent, poète et critique d’art. L’ensemble des six textes est une composition autour de la maladie de l’amie, atteinte d’une belle tumeur. Consciente que la solitude peut se superposer à la souffrance, Adrienne Rich dialogue avec la malade. La poésie est là, « bien sûr », « terrible pont s’élevant au-dessus de l’air nu », mais elle ne peut remplacer la présence que peut apporter une amitié profonde. Aussi, poussée par une impérieuse nécessité, rejoint-elle la malade, « parce qu’il le fallait

    ainsi je l’ai fait –     Et ainsi

    je te trouve :      vivante et plus que cela ».

    Cette suite de poèmes surprend par sa forme. Moins narrative, plus éclatée, plus resserrée. Peut-être aussi plus proche de celle d’Emily Dickinson dont Adrienne Rich connaissait et aimait la poésie. Au cours de son dialogue avec l’amie, elle emprunte à Paul Celan cette expression, mise en relief à la fin d’un des poèmes : Meister aus Deutschland. Allusion au « maître de l’Allemagne », un vers qui revient à plusieurs reprises dans « Fugue de mort » (Todesfuge). Si la mort est omniprésente dans ce poème, la victoire l’est aussi. L’amie malade est assimilée à la Victoire de Samothrace. Mutilée, « amputée », « découpée dans le désastre », la Victoire domine pourtant, « qui s’avance / en haut des escaliers ». Sous la plume d’Adrienne Rich, elle est le symbole puissant de la capacité de résilience des femmes.

    Composés entre 2000 et 2004, les poèmes de la dernière section, L’École parmi les ruines – et dont ne sont présents ici que quelques poèmes choisis – ont été inspirés à la poète américaine par les récits de guerres récentes, tragédies terribles dont les enfants furent les premières victimes. Sarajevo, Bagdad, Bethléem, Kaboul, Beyrouth.

    La section s’ouvre sur un poème intitulé « Requiem pour un Centaure ». Humaine, et tendre, la figure du Centaure Chiron est assimilée au « maître ». La Créature est pourtant livrée à « l’arène », « piétinée » et mise à mort par un « champion. » Pour quelle raison ? La réponse est sans doute à trouver dans ces deux vers :

    « ton cou tendre et tes narines    maître    ventouse de nénuphar

    ce que tu étais    merveilleux    nous ne pouvions le supporter ».

    Peut-être faut-il aussi lire, dans l’humanité profonde de cet être hybride réputé pour sa grande sagesse, une image inversée de l’homme, renvoyé à son insoutenable animalité.

    Devant un pareil gâchis, au cœur d’une telle obscurité, le doute affleure, qui taraude. La poète s’interroge. Elle remonte la route parcourue tout au long de son parcours poétique. Et pose dans « Équinoxe » les questions qui la brûlent :

    « je croyais savoir

    que l’histoire n’était pas un roman

    Ainsi puis-je dire que ce n’était pas moi      fichée comme l’Innocence

    qui te trahis

    […]

    pensant que nous arriverions à construire un lieu

    où la poésie      vieille forme subversive

    pousse de Nulle part      ici ?

    où la peau pourrait reposer sur la peau

    un lieu « hors limites »

    Peux dire que je me suis trompée ? ».

    Dès lors, tout serait donc perdu ? Tout aurait-il été pensé, combattu, et écrit en vain ? Adrienne Rich ne se résigne pas. Ne peut se résigner. Cela n’a jamais été dans sa nature. Elle revient donc sur ses doutes et conclut par ces vers :

    « mais avant ceci :     longtemps avant ceci     ces autres yeux

    frontalement se sont exposés, ont parlé ».

    À l’issue de ma lecture se fait jour le sentiment durable que la poésie d’Adrienne Rich n’occupe pas en France la place qu’elle mériterait d’occuper. Même si l’on peut trouver ici et là quelques traductions dans des revues numériques ou papier. Mais persiste toutefois le sentiment d’un manque important, d’une incomplétude. Comment et pourquoi une voix aussi singulière que celle de la poète américaine est-elle aussi peu présente dans le panorama des grandes voix poétiques de ce siècle ? Pourquoi une véritable anthologie bilingue de cette œuvre ne trouve-t-elle pas sa place sur les rayonnages des librairies et des bibliothèques publiques ? L’anthologie proposée par Chantal Bizzini et soutenue par Andrea Iacovella pour les éditions de La rumeur libre est sans conteste un premier pas vers une publication plus étoffée et plus exhaustive. Un pas décisif pour pallier une surprenante carence. Et permettre à un plus grand nombre de lecteurs un accès plus aisé à une œuvre poétique en tous points remarquable.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Adrienne Rich  Paroles d'un monde difficile




    ________
    1. L’expression est empruntée à la poète Maria Luisa Vezzali in Cartografie del silenzio.
    2. Marilyn Hacker in « Une poésie mimétique de la pensée », Europe, revue littéraire mensuelle, avril 2012, page 238.
    3. Adrienne Rich, « Credo d’une fervente sceptique » in Europe, revue littéraire mensuelle, avril 2012, page 233.
    4. Chantal Bizzini, « Du morcellement à l’unité » in Adrienne Rich, Paroles d’un monde difficile, Poèmes 1988-2004, La rumeur libre éditions, 2019, page 20.






    ADRIENNE RICH


    Adrienne Rich
    Source




    ■ Adrienne Rich
    sur Terres de femmes


    From An Old House In America (traduction en français d’Olivier Apert)
    27 mars 2012 | Mort d’Adrienne Rich (+ un extrait d’Un atlas du monde difficile)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions La rumeur libre)
    une notice bio-bibliographique sur Adrienne Rich
    → (sur Poetry Foundation)
    une biographie d’Adrienne Rich
    → (sur Modern American Poetry)
    un ensemble d’articles sur Adrienne Rich
    → (sur En attendant Nadeau)
    Adrienne Rich, Audre Lorde, Irena Klepfisz, poétesses guerrières, par Jeanne Bacharach (22 avril 2020)






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  • Rodger Kamenetz | Cours du soir de maths


    COURS DU SOIR DE MATHS





    Si j’ai un verre d’eau à 14 degrés et que j’y verse un deuxième verre d’eau à 14 degrés, j’obtiens bien 28 degrés, non ?
    Oui dans un monde où je serais toi. Trouve la solution pour X.
    J’ai cherché la valeur de X nuit et jour et X ne veut toujours pas me parler.
    As-tu essayé la prière ?
    Il existe un genre de maths qui se rapporte à l’amabilité.
    L’amabilité aime la différence.
    Aimer l’amabilité remet tout à zéro.
    X est toujours égal à X.
    Dans le monde de l’amabilité Je égale Tu.
    Si tu additionnes Je à Tu, cela donne deux Je ou 2 Tu ?
    Je me suis endormi au cours de maths et réveillé au cours de poésie.
    Cela s’est produit 14 fois aujourd’hui.
    Le cerveau est un interrupteur. Gauche et droite, juste et faux, zéro et un.
    La différence coupe l’asymptote au point où le toucher reste pratiquement impossible.
    Je veux me déverser en toi. Mais il m’arrive d’avoir peur de déborder.
    Pas si le verre est à moitié vide tu dis.



    Rodger Kamenetz, Logique onirique, Presses universitaires de Rouen et du Havre (PURH), Collection To dirigée par Christophe Laniot Enos, 2020, page 24. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Sabine Huynh.





    Rodger Kamenetz  Logique onirique



    RODGER KAMENETZ


    Rodger Kamenetz





    ■ Voir aussi ▼


    le site de Rodger Kamenetz
    → (sur le site du Comptoir des presses d’université)
    la fiche consacrée à Logique onirique de Rodger Kamenetz






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  • Jennifer Barber | A Poet of Medieval Spain




    A POET OF MEDIEVAL SPAIN





    The caliph gone. The moon

    unrisen in the garden.
    In the tall grass, a gazelle.

    *

    This isn’t a young love.

    I know you
    and I don’t.

    I’m pouring
    a second cup of wine.

    *

    Almonds. Figs. The slow
    highway I trace

    in the valley of your spine
    and beyond: we are

    not required to
    complete the design —
    we have no permission to refrain.

    *

    A breeze from the coast,
    ripened on oranges,

    scatters a flock of swallows
    with one hand,
    a spray of terns with the other.
    Wind that speeds the journey,
    wind that splinters masts,

    I fear what comes next.



    Jennifer Barber, Given Away, Kore Press, Tucson, Arizona, 2012.






    Jennifer Barber  Given away









    UN POÈTE DE L’ESPAGNE MÉDIÉVALE






    Le calife est parti. La lune

    ne s’est pas levée dans le jardin.
    Dans l’herbe haute, une gazelle.

    *

    Ce n’est pas un amour de jeunesse.

    Je te connais
    et je ne te connais pas.

    Je sers
    une deuxième coupe de vin.

    *

    Des amandes. Des figues. Le lent
    chemin que je trace

    dans la vallée de ta colonne
    et au-delà : nous ne sommes pas

    tenus de compléter le dessin —
    nous ne sommes pas autorisés
    à nous abstenir.

    *

    Une brise de la côte,
    mûrie sur les oranges,
    disperse une volée d’hirondelles
    d’une main,
    une gerbe de sternes de l’autre.

    Toi qui accélères le voyage,
    toi qui fends les mâts,

    j’ai peur de ce qui va venir.



    Jennifer Barber, Délivrances, La Rumeur libre éditions, 2018, page 59. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Emmanuel Merle.






    Jennifer Barber  Délivrances





    JENNIFER BARBER


    Jennifer_barber_medium
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de Kore Press)
    la fiche de l’éditeur (en anglais) sur Given Away
    → (sur le site des éditions La rumeur libre)
    une notice bio-bibliographique sur Jennifer Barber
    → (sur le site des éditions La rumeur libre)
    la fiche de l’éditeur sur Délivrances
    → (sur Terre à ciel)
    d’autres poèmes de Given Away | Délivrances, traduits par Emmanuel Merle





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  • Carol Snow | Positions of the Body, VI




    Moore
    « massive en marbre noir : un corps
    de femme, couché, lové ; une éloquence
    d’os, de coquillage »

    Henry Moore (1898–1986), Reclining Figure, 1939
    Lead on oak base
    150 x 280 x 100 mm
    Tate Modern, London
    © The Henry Moore Foundation
    Source








    POSITIONS OF THE BODY, VI




    Wanting not only stillness of hills,
    but intercession—as by new grass

    on the hills—with the silence
    towering over the hills, Moore sculpts a massive

    figure in black marble: a woman’s
    body, reclining, curved; eloquent

    as bone, shell,
    stones worn beyond contradiction.


    *


    You stopped
    by the roadside, hills

    lying in middle distance, few houses. Only the green
    reaches of vineyard intervening

    seemed manageable ; that is, human—a matter
    of scale; the silence was huge, so that only

    the hills (which were huge,
    also) could rest.

    Cézanne, leaning to his canvas, would have mastered
    that view, you thought: the blues and greens
    and ochres of proximity and distance; that tenuous

    position in the dance, not of the drawing
    together of unlike, like bodies, but of the holding
    apart of the body and terrain; you were held

    so still, you thought that you might become those hills,
    or must have been borne by hills,

    or maybe your body
    had been a maquette for the hills.




    Carol Snow, “Positions of the Body”, VI, Artist and Model, New York: The Atlantic Monthly Press, 1989 National Poetry Series, selected by Robert Hass, New York, 1990, pp. 10-11.






    Carol Snow  Artist & Model 0







    POSITIONS DU CORPS, VI




    Voulant non seulement l’immobilité des collines
    mais une médiation — comme un regain

    sur les collines — mur
    de silence au-dessus des collines, Moore sculpte une figure

    massive en marbre noir : un corps
    de femme, couché, lové ; une éloquence

    d’os, de coquillage,
    de pierres portées par-delà la contradiction.


    *


    Tu t’es arrêtée
    au bord de la route, étalement

    de collines à mi-distance, quelques maisons. Seules les vertes
    étendues du vignoble dans l’entre-deux

    semblaient accessibles, c’est-à-dire humaines — question
    d’échelle ; silence imposant, tel que seules
    les collines (également
    imposantes) pouvaient reposer.

    Cézanne, penché sur sa toile, aurait maîtrisé
    cette vue, pensas-tu : les bleus et les verts
    et les ocres du proche et du lointain, cette posture

    précaire de la danse, non la réunion
    des corps dissemblables, des semblables, mais le maintien
    séparé du corps et du sol ; tu étais tellement

    saisie, tu pensais que tu pourrais devenir ces collines,
    ou bien être née de ces collines

    ou bien ton corps
    avait été une maquette pour ces collines.




    Carol Snow, « Positions du corps », VI, Artiste et Modèle, édition non bilingue, Éditions Unes, 2019, pp. 16-17. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Maïtreyi et Nicolas Pesquès.






    Carol Snow






    CAROL SNOW


    Carol Snow portrait
    Source




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Poets.org)
    une notice bio-bibliographique (en anglais) sur Carol Snow





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Laura Kasischke | Twenty-Ninth Birthday




    Wild Brides 2







    TWENTY-NINTH BIRTHDAY


    Suddenly I see that I
    have been wearing my mother’s body
    for a long time now.     It all
    belongs to her, here where the skin
    is softest and here
    where it puckers in disgust—each
    inch.     The very nails that pounded
    her body to pieces
    build me one just like it
    and I have been wearing it
    like a terrible house
    and never noticed all of it
    hers, except this mole on my arm—that
    belonged to my father’s mother
    and it was left to me
    to remind me that I
    am one of those
    witches, too, praying
    in the dry face of the moon
    while I walk around with death
    in my big breasts, like them, full
    already of my future scars
    and pain and hallucinations
    that shriek ahead like train tracks
    past this naked house
    across the self-pitying
    pleasureless decades left.
    I have turned my face to the wall to hide it
    while you slip my father’s
    angry face over yours.






    Laura Kasischke  Mariées rebelles






    VINGT-NEUVIÈME ANNIVERSAIRE


    Je m’aperçois soudain
    que je porte le corps de ma mère
    depuis longtemps déjà.     Il lui
    appartient tout entier, ici où la peau
    est la plus douce et là
    où elle affiche une moue dégoûtée — chaque
    centimètre.     Ces mêmes clous qui lui ont
    démoli le corps
    m’en ont fabriqué un à l’identique
    et je l’ai porté
    comme une maison terrible
    sans avoir jamais rien remarqué — tout est
    à elle, sauf ce grain de beauté sur mon bras — celui-ci
    appartenait à la mère de mon père
    et il m’a été transmis
    pour me rappeler que moi
    aussi je suis l’une
    de ces sorcières, priant
    à la face desséchée de la lune
    pendant que je me promène avec la mort
    logée dans mes gros seins, comme elles, déjà
    porteuse de mes futures cicatrices
    hallucinations et douleurs
    qui lancent des cris comme les rails d’un train
    devant cette maison nue
    vers les décennies qui restent
    d’apitoiement et de déplaisir.
    Je tourne le visage vers le mur pour le cacher
    pendant que tu glisses le visage en colère
    de mon père par-dessus le tien.



    Laura Kasischke, Mariées rebelles [Wild Brides, New York University Press, 1991], édition bilingue, Éditions Page à Page, 2016 ; éditions POINTS, collection Points Poésie, 2017, pp. 162-163-164-165. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Céline Leroy. Préface de Marie Desplechin.






    Laura Kasischke  Mariées rebelles  édions Points






    _____________________________________________________
    D’APRÈS UNE NOTE DE LA MAISON DE LA POÉSIE (PARIS)

    Premier recueil de poésie de Laura Kasischke traduit en français (éditions Page à Page, 2016), Mariées rebelles est également son premier recueil de poésie paru aux États-Unis (New York University Press, décembre 1991). On y retrouve les thèmes qui hantent son écriture — le secret, le sexe, la menace sourde et grandissante, la disparition et la mort omniprésente. Emplies de brutale délicatesse, ces polyphonies parfois étranges mêlent tragédies mythiques et préoccupations contemporaines.

    Laura Kasischke vit aujourd’hui à Ann Arbor, où elle enseigne l’écriture romanesque au Residential College de l’université du Michigan. Ses romans sont publiés chez Christian Bourgois. Parmi eux, À moi pour toujours et Esprit d’hiver (Grand Prix des Lectrices de Elle, 2014) sont des best-sellers tandis que La Vie devant ses yeux et A Suspicious River ont été adaptés au cinéma. Elle a également reçu de nombreux prix pour ses ouvrages de poésie.

    [Source]






    LAURA KASISCHKE


    Laura-Kasischke-©D.R
    Source



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Babelio)
    une notice bio-bibliographique sur Laura Kasischke
    → (sur Diacritik)
    Laura Kasischke, american poet (Mariées rebelles) par Christine Marcandier
    le site personnel de Laura Kasischke
    → (sur le cercle POINTS)
    la fiche de l’éditeur sur Mariées rebelles
    → (sur YouTube)
    Laura Kasischke American Poet (table ronde American Poets du Festival America 2016 [salle Jim Harrison de l’Auditorium Cœur de Ville, Vincennes, septembre 2016], pour Mariées rebelles. Table ronde animée par Christine Marcandier [Diacritik])
    → (sur le site de France Culture)
    Laura Kasischke, sorcière et poétesse (« Poésie et ainsi de suite » par Manou Farine, 29 septembre 2017)





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Burns Singer | [That numerous stranger dipped in my best disguise]




    [THAT NUMEROUS STRANGER]



    That numerous stranger dipped in my best disguise
    Worms his way back over the green hills
    Which winds have shaped from beaten miracles
    And which old thunderstorms and well baptise.
    He cuts across it home. His light denies
    The dark it boats of, and his step fulfils
    The courage of the grassblade that he kills
    Dead of the spot he reaches as he dies.
    All silence enters him but leaves no trace.
    Who is that man who walks without a face
    On less than water, on a single word,
    On a mere air that whistles its absurd
    Jubilant anthem in an elegy’s place
    Under the agony and is overheard?





    [CET ÉTRANGER MULTIPLE]



    Cet étranger multiple noyé dans mon meilleur déguisement
    Serpente sur le chemin du retour par les vertes collines
    Que les vents ont sculptées à coups de miracles
    Et que de vieux orages et des puits baptisent.
    Il coupe à travers pour rentrer chez lui. Sa lumière nie
    Les ténèbres dont elle se vante, et son pas honore
    Le courage du brin d’herbe qu’il tue net
    Sur le lieu qu’il atteint en mourant.
    Tout le silence entre en lui mais ne laisse aucune trace.
    Qui est cet homme qui marche sans visage
    Sur moins que de l’eau, sur une parole unique,
    Sur un simple air qui siffle son absurde
    Antienne jubilatoire en un lieu élégiaque
    Et qui, à l’agonie, est entendu par hasard ?



    Burns Singer, Sonnets pour un homme mourant, XXXXVIII, [Sonnets for a Dying Man, Botteghe Oscure, Quaderno XVI, Roma, 1955], édition bilingue, Éditions Obsidiane, 89500 Buzzy-le-Repos, 2017, pp. 92-93. Traduit de l’anglais par Anthony Hubbard et Patrick Maury. Préface de Patrick Maury.






    Burns Singer  Sonnets 2





    BURNS  SINGER


    Burns Singer
    Source




    ■ Burns Singer
    sur Terres de femmes

    [To see the petrel cropping in the farmyard] (autre extrait de Sonnets pour un homme mourant)




    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site de la revue Secousse)
    une notice bio-bibliographique sur Burns Singer et d’autres extraits de Sonnets pour un homme mourant [PDF]
    → (sur La Cause Littéraire)
    une recension de Sonnets pour un homme mourant par Didier Ayres
    → (sur Dailymotion)
    Patrick Maury (Revue Secousse) lit des extraits de Sonnets pour un homme mourant de Burns Singer
    → (sur le site des Lettres françaises)
    Poésies de toutes les latitudes, par Françoise Hàn [PDF]





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Kevin Gilbert | The Blackside




    THE BLACKSIDE




    It’s good to be
    the Blackside
    for we know that in this land
    the fire-hardened tree survives
    where others — yew and poplars
    the fir and mighty oak
    have never quite adapted
    to the heat and fire smoke.

    It’s good to be the Blackside
    fitting in with nature’s plan
    where she selected colour
    for this masterpiece of land
    and blended it superbly
    with smokes of loving care
    for each country has its colour
    stark and strong and naked, bare.

    It’s good to be the Blackside
    even though external change
    we tallow-wood and ironbark
    are native, that’s our point:
    imported trees are alien
    and the fairest English rose
    even after generations
    still remains an English rose.

    It’s good to be
    the Blackside
    when there’s justice on our side
    empowered by the spirit
    and a firm and humble pride
    in being on the Blackside
    with nature and her might
    the Blackside is the rightside
    for this land: the colour’s right.






    LE VERSANT NOIR




    C’est bon d’être
    le Versant noir
    parce qu’on sait que dans ce pays
    l’arbre trempé par le feu survit
    quand les autres — l’if et les peupliers
    le sapin et les puissants chênes
    ne se sont jamais vraiment adaptés
    à la chaleur au feu et à la fumée

    C’est bon d’être le Versant noir
    en harmonie avec le désir de la nature
    quand elle a choisi la couleur
    de ce chef-d’œuvre de pays
    et l’a merveilleusement mêlée
    à des traits d’amour profond
    chaque pays a sa couleur
    inflexible et forte et nue, dépouillée.

    C’est bon d’être le Versant noir
    malgré les changements venus d’ailleurs
    nous eucalyptus bois de suif et écorces de fer
    sommes d’ici, c’est notre point de vue :
    les arbres importés sont étrangers
    et la plus belle rose anglaise
    même après des générations
    restera toujours une rose anglaise.

    C’est bon d’être
    le Versant noir
    quand la justice est là pour nous
    insufflée par l’esprit
    et cette fierté forte et humble
    d’être du Versant noir
    avec la nature et sa puissance
    le Versant noir est le juste versant
    car ce pays : le droit de la couleur.



    Kevin Gilbert, Le Versant noir, Le Peuple est légendes et autres poèmes, édition bilingue, Le Castor Astral, 2017, pp. 32-33-34-35. Traduit de l’anglais (Australie) par Marie-Christine Masset. Avant-propos d’Eleanor Gilbert. Introduction de Kevin Gilbert.






    Versant-noir-325x462.jpg 2




    KEVIN GILBERT


    Kevin Gilbert
    Source




    ■ Kevin Gilbert
    sur Terres de femmes ▼

    Le Versant noir (lecture de Joëlle Gardes)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Le Castor Astral)
    la fiche de l’éditeur sur Le Versant noir





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  • Kenneth Rexroth | [Once I shone afar]


    Kenneth
    Ph., G.AdC







    [ONCE I SHONE AFAR]




    LII


    Once I shone afar like a
    Snow-covered mountain.
    Now I am lost like
    An arrow shot in the dark.
    He is gone and I must learn
    To live alone and
    Sleep alone like a hermit
    Buried deep in the jungle.
    I shall learn to go
    Alone, like the unicorn.



    Kenneth Rexroth, The Love Poems of Marichiko, New Directions Publishing Corporation, New York, NY 10011, 2003.







    [AUTREFOIS JE SCINTILLAIS AU LOIN]




    LII


    Autrefois je scintillais au loin comme une
    Montagne enneigée ;
    Maintenant je suis perdue comme
    Une flèche décochée dans le noir.
    Il est parti et je dois apprendre
    À vivre seule et
    À dormir en ermite
    Ensevelie au plus profond de la jungle.
    J’apprendrai à aller
    Seule, comme la licorne.



    Kenneth Rexroth, Les Poèmes d’amour de Marichiko, éditions Érès, collection PO&PSY princeps, 2016, s.f. Édition bilingue. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Joël Cornuault, dessins de Katsushika Hokusai.






    Rexroth (pochette)







    KENNETH REXROTH


    Kenneth-rexroth
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site New Directions)
    une page sur Kenneth Rexroth
    → (sur le site des éditions Érès)
    une page sur Kenneth Rexroth





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Geoffrey Squires | [L’obscurité nous a mis à la dérive encore]



    [DARKNESS HAS SET US ADRIFT AGAIN]



    Darkness has set us adrift again
    without our knowing it we have become
    children of the early morning tide
    while we lay and dreamed, the night
    slipped us our moorings

    we have been offered immortality
    but we prefer to take our chance
    out of homesickness perhaps
    or out of pride, or fear
    of another Troy

    yesterday I thought I saw again
    behind me on the horizon smoke
    from the burning city and a vision of
    my son praying, washing his hands
    in the grey surf






    [L’OBSCURITÉ NOUS A MIS À LA DÉRIVE ENCORE]



    L’obscurité nous a mis à la dérive encore
    sans que nous le sachions nous étions devenus
    enfants de la marée matinale
    alors que nous étions couchés et rêvions, la nuit
    a largué nos amarres

    on nous a offert l’immortalité
    mais nous préférons tenter notre chance
    par mal du pays peut-être
    ou par fierté, ou par peur
    d’une nouvelle Troie

    hier j’ai cru voir à nouveau
    derrière moi dans l’horizon la fumée
    d’une cité en flammes et la vision de
    mon fils priant, lavant ses mains
    dans les vagues grises



    Geoffrey Squires, Pierres noyées, édition bilingue, Éditions Unes, Nice, 2015, pp. 78-79. Traduit de l’anglais (Irlande) par François Heusbourg. Vignette de couverture de Robert Groborne.






    Pierres-noyees





    GEOFFREY SQUIRES


    Geoffrey Squires
    Source



    ■ Geoffrey Squires
    sur Terres de femmes

    Sans titre (extrait)
    [The sound changes as it moves] (extrait de Paysages et silences)





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