Étiquette : Traduit de l’arabe


  • Salpy Baghdassarian | [Au commencement j’étais une femme]



    Salpy texte 3









    [AU COMMENCEMENT J’ÉTAIS UNE FEMME]




    Au commencement
    j’étais une calculette
    mon père évalua pertes et profits
    m’insulta et s’en alla
    Ma mère qui m’a portée
    pesa son bonheur et son malheur
    m’insulta et s’en alla
    Mon frère me mit à terre
    d’un doigt écrasa les fourmis
    recensa les mortes et les vivantes
    me donna un coup de pied
    et s’en alla

    Au commencement
    j’étais une femme




    Salpy Baghdassarian, Quarante cerfs-volants, éditions des Lisières, Collection Hêtraie, 2020, page 7. Traduit de l’arabe (Syrie) par Souad Labbize. Linogravure de Maud Leroy d’après un dessin de Marion Freyre.





    Salpy Baghdassarian  quarante cerfs-volants



    SALPY BAGHDASSARIAN


    Salpy Baghdassarian  portrait NB
    Source


    Arménienne née à Alep, Salpy Baghdassarian a fui la guerre en Syrie et réside à Toulouse où elle continue à écrire en arabe et à traduire de l’arménien. Elle a remporté le second prix du concours de poésie sur MBC1 en 2010. Ses poèmes sont publiés dans de nombreux magazines littéraires et anthologies. Elle est également artiste peintre et a participé à des expositions collectives ou individuelles en Syrie, au Liban, au Canada et en France.




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site du Marché de la poésie)
    une fiche sur Quarante cerfs-volants
    le site des éditions des Lisières





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  • Ali Thareb | [Les assassins ont | des enfants]




    [LES ASSASSINS ONT | DES ENFANTS]




    Les assassins ont
    des enfants qui ont besoin de se promener
    des amantes qui les attendent
    des rendez-vous avec leurs amis
    des jardins qui requièrent davantage de soins
    des rêves ignorant tout de la fatigue des pieds
    ils sont très occupés
    c’est pourquoi nous devons mourir facilement
    mourir en évitant de les retarder



    Ali Thareb, Un homme avec une mouche dans la bouche, édition bilingue, Éditions des Lisières, 2017, page 41. Traduit de l’arabe (Irak) par Souad Labbize. Sélection du Prix des Découvreurs 2018/2019.






    Ali Thareb  Un homme avec une mouche dans la bouche






    ALI  THAREB


    Ali Thareb
    Ph. D.R.




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site Les Découvreurs/éditions LD)
    Parole et barbarie. Un homme avec une mouche dans la bouche du poète irakien Ali Thareb, par Georges Guillain





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  • Aya Mansour | Des choses qui ressemblent à la mort



    DES CHOSES QUI RESSEMBLENT A LA MORT




    Échappés des bouches des portes
    des hurlements nous poursuivent
    nous sortons
    laissant aux maisons
    le soin de garder nos larmes et nos ombres




    Les cailloux sont
    des larmes durcies
    d’enfants qui ont oublié leurs yeux
    sur les trottoirs
    en attendant des lendemains




    J’écoute le tonnerre
    cri fulgurant
    d’enfants en fuite




    Pour les morts nous sommes des fantômes
    qui cherchent au cimetière
    des ruelles
    paisibles




    Les patries nous font mal
    comme une porte qui claque sur un seul
    doigt




    Mon âme est un morceau de viande
    dans la boucherie du monde




    J’entre dans le vase de ma cage thoracique
    j’y entre et la fleur fanée n’est pas cueillie





    […]



    Aya Mansour, Seule elle chante, éditions des Lisières, Collection Hêtraie, édition bilingue français-arabe, 2018, pp. 51-53. Traduit de l’arabe (Irak) par Souad Labbize. Linogravure de Maud Leroy d’après un dessin de Marion Freyre.






    Aya Mansour  Seule elle chante 2





    AYA MANSOUR


    Aya Mansour





    ■ Voir aussi ▼

    → (sur la page Livres du site des éditions des Lisières)
    la notice de l’éditeur sur Seule elle chante d’Aya Mansour





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  • Mazin Mamoory, Cadavre dans une maison obscure

    par Angèle Paoli

    Mazin Mamoory, Cadavre dans une maison obscure,
    Éditions LansKine, Collection Ailleurs est aujourd’hui,
    Domaine irakien, 2018.
    Traduit de l’arabe (Irak) par Antoine Jockey.



    Lecture d’ Angèle Paoli



    « NE T’INQUIÈTE PAS, MÈRE, NOUS NE FAISONS QUE MOURIR »



    Il est des livres qui surgissent comme des obus dans nos intérieurs calmes et douillets. Qui ne vous lâchent plus et qui vous fouaillent le corps et le cœur. Sans répit. Ainsi de ce Cadavre dans une maison obscure, qui a fait irruption avec la violence d’un souffle venu d’ailleurs, et qui tire la lectrice que je suis des tempêtes rageuses qui sévissent sur mon île, vers un univers calciné où les cadavres, bannières déchiquetées, pendent aux fenêtres. Où les corps se disloquent sous la fureur des coups tortionnaires tandis que les explosions achèvent de semer le chaos. Nous sommes en Irak et la guerre fait rage. Odeurs de TNT et de C4, submergeant la puanteur des corps vidés de leur sang et des chairs livrées aux charognes. Nous voilà ramenés sans ménagement, au fil des pages, plusieurs années en arrière, au cœur d’un carnage, dans la « braise sournoise » allumée par « le facteur américain ». Premier épisode, 1999. Puis 2003. « La guerre n’aura pas de fin ». C’était hier. Et c’est encore aujourd’hui.

    Les textes qui composent ce recueil sont l’œuvre du poète irakien Mazin Mamoory. Le narrateur, ce « je » qui décline ses actes et ses pensées tout au long des poèmes, victime des carnages et des crimes perpétrés dans son univers désossé, en est aussi le témoin abasourdi. Face à l’absurde qui règne en maître, face à l’incompréhension que celui-ci fait naître, et à la folie qu’il engendre, seule l’énonciation permet de survivre au désordre. Un désordre que revendique le poète dès le poème d’ouverture : « Mes sorcières fêlées » :

    « Ce désordre représente mes hantises éparpillées

    La noirceur de mes rêves

    Mes arbres calcinés par le soleil

    Le bruit des explosions et la suie de leur fumée colorée ».

    Avec la mise en mots, une forme d’humour, parfois grinçant et âcre, souvent à la limite du joke, se fraie un passage. Il maintient la juste distance pour ne pas sombrer. C’est que Mazin Mamoory est un poète. Un grand poète. Qui sème avec lui les trouvailles au plus fort de l’horreur. Ainsi de l’interrogation faussement naïve formulée dans « Braise ». Interrogation qui ne laisse pas de surprendre, voire de faire sourire :

    « Tout cela est très simple et compréhensible, mais ce que je ne comprends pas c’est comment la braise est passée de l’Amérique à l’Irak. Est-ce possible qu’elle ait ouvert une brèche dans l’océan et atterri dans ma maison ? »

    Chaque poème — c’est de textes en prose qu’il s’agit — est constitué d’une succession de tableautins séparés par des interlignages. Les enchaînements d’actions se font par ricochets de manière itérative (par reprise de termes identiques). Et comme dans les films comiques que dominent les gags, on assiste à des réactions « boule de neige » qui, en roulant, vont crescendo. Ainsi dans « Chute » :

    « Le jour où je suis tombé de vélo, le cœur de ma mère a chuté et a roulé comme une boule de billard

    Le jour de mon mariage, je suis tombé de son cœur

    Et le jour où la guerre l’a fait pleurer, le monde s’est écroulé »

    Le sourire un instant esquissé s’efface pour laisser place à la douleur. L’un et l’autre adret des émotions se jouxtent, simultanément, dans un espace et son contraire, immédiatement réversibles. C’est là, me semble-t-il, une des caractéristiques prédominantes de l’écriture de Mazin Mamoory, qui fait sa force.

    Au demeurant, même si un lien subsiste d’un énoncé à l’autre, il y a toujours quelque part une incohérence qui se glisse. Parce que, écrit le poète, « nous sommes toujours irrationnels » et que, « [d]evant la porte des autres, la raison est une occasion de fuir la réalité. » Si bien que le décalage est permanent entre une réalité et la perception parfois fantaisiste qui en est transmise. Le glissement se fait le plus souvent par la confrontation inattendue abstrait/concret ou par le passage du général au particulier (ou inversement).

    Ainsi de ce constat :

    « L’usage de la mort ressemble à l’usage d’une vieille paire de chaussures ».

    Et dans le même poème où il est fait allusion aux combats de 2003 :

    « Il m’a dit : il ne reste que le sang, et il est froid et bleu depuis 2003

    Tout ce que j’ai vu dans la ville est bleu

    Et de plus en plus froid

    Ma voiture aussi est bleue. Quelle coïncidence que mon sang en soit le carburant »

    De même pour cette image terrifique engendrée par le rapprochement inattendu entre le sort du poisson et celui de l’épouse :

    « Lui a fini dans la cuisine, et moi dans les bras de ma femme ou de ce qui en restait pendant la guerre. »

    Et le poète de peaufiner le tableau par cette affirmation féroce :

    « Chacune aura un poisson pour mettre au monde des enfants invalides de guerre » (in « Identité pour personne »)

    L’enchaînement logique qui est à l’œuvre d’un paragraphe à l’autre échappe à la discursivité d’occidentaux cartésiens. Chaque poème apporte son contingent d’images terrifiantes, — « visages défigurés qui ressemblent à des pièces détachées », visage du narrateur évidé de sa chair et collé à un mur —, difficiles à imaginer, difficiles à soutenir ; en même temps que son pesant d’impuissance :

    « Scotché au mur, mon corps fume une cigarette, voit les gens se

    rassembler et pleurer

    je tente de le détacher du mur pour marcher dans la rue »

    et de désespoir :

    « Nulle main à la maison ne tient ce que je désire

    Nul objet ne m’aide à te toucher à la fin de la nuit »

    Malgré les abominations auxquelles il faut faire face, chacun s’adapte à la situation et la vie continue :

    « Ma tête est devenue écrou fixé au bord du fleuve autour duquel le monde tourne »

    Quant aux germes de cette effroyable boucherie, c’est au sein de la religion qu’il faut les chercher. Les allusions au tandem guerre/religion sont récurrentes. De sorte que si la guerre est confessionnelle, la femme du poète l’est tout autant. Mais, qu’il s’agisse de l’épouse ou de la guerre, les raisons sont irrecevables car rattachées à des mobiles futiles ou à des interdits absurdes. Que l’on soit chiite ou sunnite, ce qui compte, c’est l’aspect extérieur, seul à même de « démontrer » une identité :

    « En 2003, je devins chiite car j’habitais une ville sous contrôle de milices chiites. Si j’avais vécu dans la ville de Ramadî, je serais certainement devenu sunnite, sans que personne ne demande mon avis »

    Ou encore :

    « On dit que c’est une guerre confessionnelle et cela justifie tout

    N’importe quel sunnite peut tuer n’importe quel chiite »

    Et le poète d’ajouter un peu plus loin :

    « Ma présence en Irak signifie que je suis en conflit avec les autres  »

    Face à l’irréductible vérité et à l’étau qui broie les peuples dans les rouages de la mort, quelle issue possible ? Le poète, lui, s’en remet à cet humour indéfectible qui lui fait dire :

    « Ne t’inquiète pas, mère, nous ne faisons que mourir »

    Pour tenter de colmater les brèches qui le labourent, le poète opte pour une forme de légèreté obstinée :

    « Il ne me reste qu’à trouer mon corps, à avancer contre le vent

    puis à planer au-dessus de la corde à linge »

    Dérisoire, la « corde à linge » est la constante colorée et légère de ce qui reste lorsque tout s’effondre autour de soi.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Mazin Mamoory






    مازن معموري
    (MAZIN MAMOORY)



    Mazin Mamoory 2
    Ph. D.R.



    ■ Mazin Mamoory
    sur Terres de femmes

    Ma femme est confessionnelle (extrait de Cadavre dans une maison obscure)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions LansKine)
    la fiche de l’éditeur sur Cadavre dans une maison obscure





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  • Mazin Mamoory | Ma femme est confessionnelle



    MA FEMME EST CONFESSIONNELLE



    Pour prouver qu’elle est chiite, ma femme accroche une bannière verte au-dessus de la porte de la maison.
    Moi je me rase la barbe et porte des vêtements de jeune afin de de signifier ma laïcité.
    Le sunnite se rase la moustache et laisse pousser sa barbe,
    comme le chiite
    Ils s’habillent en noir et s’entretuent

    La guerre n’aura pas de fin

    Les signes de reconnaissance se renouvellent
    mais ne cessent d’écrire la haine du blanc
    Toutes les belles choses sont blanches
    Toutes les choses hideuses sont noires

    Je me suis mis à colorer les choses en commençant
    par les meubles, et parfois je verse volontiers des couleurs
    sur ce qui est blanc ou noir
    Mais souvent ma femme les essuie avec un chiffon blanc ou noir
    pour m’assurer qu’elle est différente de moi
    Et me dit : tu es un homme de couleur et un jour je te laverai

    Dans le quartier chiite, tu es chiite avec une identité chiite.
    Dans le quartier sunnite, tu es sunnite avec une identité sunnite.
    Et tous s’envoient des grenades
    Comme ils s’envoient les enfants dans des sacs en grosse toile,
    pour l’amour de Dieu

    J’ai atteint Nemrod le géant
    Son cœur palpite dès qu’on touche une terre ancienne
    Des torrents d’histoires deviennent navires fins prêts pour la guerre. Les monstres féroces arrosent les collines de sang

    Le film ne prend pas en compte le hurlement du métal et les barricades
    Seul le silence est à même de bien parler d’une tour endormie sous les nuages

    J’ai plié la scène et l’ai glissée dans ma poche
    Je suis monté dans une voiture boiteuse comme mon ombre
    J’ai vu Nemrod pourchasser la voiture et faire signe
    avec le mouchoir de sa femme tombé de son cœur lumineux




    Mazin Mamoory, Cadavre dans une maison obscure, Éditions LansKine, Collection Ailleurs est aujourd’hui, Domaine irakien, 2018, pp. 21-22. Traduit de l’arabe (Irak) par Antoine Jockey.






    Mazin Mamoory






    مازن معموري
    (MAZIN MAMOORY)



    Mazin Mamoory 2
    Ph. D.R.




    ■ Mazin Mamoory
    sur Terres de femmes

    Cadavre dans une maison obscure (lecture d’AP)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions LansKine)
    la fiche de l’éditeur sur Cadavre dans une maison obscure





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  • Fadwa Suleimane | Dans l’obscurité éblouissante




    DANS L’OBSCURITÉ ÉBLOUISSANTE



    les gorges qui ont lancé des papillons bleus
    pour que la liberté descende en nuage froid et blanc
    chantaient des hymnes au dieu
    pour qu’il ne pense qu’aux colombes et à la paix
    elles s’opposaient au monstre de Damas
    la main qui les a arrachées ignore qu’elles ont éclos dans
    toute la Syrie
    des tournesols à Hama
    des lauriers à Alep
    à Dar’a et Darayya des grappes de raisin
    des diamants rouges à Rakka
    des acacias à Homs
    des lilas sur l’Euphrate
    la musique éternelle du Tigre
    écrite par les alphabets d’Ougarit et d’Amrit
    gardée dans les écritures d’argile conservée à Kafar Nabil
    clamant :


    *« Elle est à nous et non pas à la famille Assad
    vive la Syrie à bas Bachar El Assad
    uni uni uni le peuple syrien est un
    ni Salafistes ni Frères nous voulons un État laïc »*





    Fadwa Suleimane, Dans l’obscurité éblouissante, éditions Al Manar, 2017, pp. 39-41. Traduit de l’arabe (Syrie) par Sali El Jam, avec la collaboration d’Etel Adnan, Simone Fattal, Eugénie Paultre.






    Fadwa Suleimane  Dans l'obscurité éblouissante






    FADWA SULEIMANE [SOULEIMANE]


    Fadwa Sète




    ■ Fadwa Suleimane
    sur Terres de femmes

    [pluie sur pluie] (extrait d’À la pleine lune)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur La Pierre et le Sel)
    Fadwa Suleimane | Dans l’obscurité éblouissante
    → (sur le site Les Découvreurs)
    disparition de Fadwa Souleimane, preuve de lumière et de nuit
    → (sur Le vent se lève)
    Les maux de Fadwa, poétesse révoltée, par Jean-Marie Dinh





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