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Alda Merini, La Folle de la porte à côté
par Angèle PaoliAlda Merini, La Folle de la porte à côté
(La pazza della porta accanto, Bompiani, 1995),
suivi de La poussière qui fait voler,
conversation avec Alda Merini,
éditions Arfuyen, Collection « Les Vies imaginaires », 2020.
Traduit de l’italien par Monique Baccelli. Préface de Gérard Pfister.
Lecture d’Angèle Paoli
Image, G.AdC
« LA GRANDE OBSESSION DES MOTS »
« J’ai toujours écrit dans un état somnambulique », affirme Alda Merini dans La Folle de la porte à côté. Entre éveil et sommeil ? Sous l’emprise des drogues ? Ou de la douleur ? Sans doute. Mais peut-être aussi sous l’emprise d’un état inné d’exaltation permanent. La parole d’Alda Merini, ombrée par les volutes de fumée de ses cigarettes Marlboro, est celle d’une pythie.
Foncièrement rebelle, contradictoire, survoltée, oscillant entre l’appel de la vie conventuelle et les fulgurances amoureuses, la poète milanaise proclame haut et fort ce qui lui tient à cœur et ce qu’elle pense. Cruelle, violente, passionnée, l’infatigable Alda Merini s’insurge. Contre la misère, contre la folie, la sienne et celle des autres, contre les convenances et les paillettes imposées par une société qui refuse les antagonismes, qui impose à chacun des voies uniques, des surfaces lisses et planes. Des itinéraires dont la Merini n’a que faire et auxquels elle ne se plie pas. Dans le récit intime qu’elle livre en 1995 — La pazza della porta accanto, Bompiani, Milan (La Folle de la porte à côté) — l’effrontée de soixante-quatre ans présente d’elle un portrait lucide, authentique, dérangeant. Émouvant et drôle. Plein d’humour et d’invectives ! Celui d’une femme débordante. Au physique et au moral. Une femme hors norme. Alda Merini est insaisissable. Insaisissable le personnage qui s’émeut, se défend, accuse, s’insurge. Insaisissable aussi l’écriture, qui demeure souvent énigmatique et échappe à une classification immédiate. Ainsi la poète se tient-elle à l’écart de toute tentative d’enfermement. « Je ne suis pas une femme domesticable », écrit-elle dans Aphorismes et magies. Il est certes possible de tracer à la volée quelques traits dominants. Innombrables et tourmentées, les amours d’Alda Merini firent couler beaucoup d’encre ; la naissance des quatre filles, suivie de l’expérience douloureuse de l’arrachement des deux dernières, Barbara et Simona ; la folie et les séjours répétés en hôpital psychiatrique. La torture de l’internement, électrochocs et hystérectomie. La douleur. De cette expérience « infernale, humaine et déshumanisante » naîtront les quarante poèmes de La Terra Santa, œuvre majeure d’Alda Merini, publiée chez Scheiwiller en 1984. Ainsi la poète écrit-elle, dans le poème qui donne son titre au recueil, ces vers terribles et tellement puissants [Ho conosciuto Gerico] :
« J’ai connu Jéricho,j’ai eu moi aussi ma Palestine,les murs de l’hôpital psychiatriqueétaient les murs de Jérichoet une mare d’eau infectéenous a tous baptisés.Là-dedans nous étions Hébreuxet les Pharisiens étaient tout en hautet il y avait aussi le Messieperdu au milieu de la foule :un fou qui hurlait au Cieltout son amour en Dieu. » *
Et pourtant, paradoxalement, Alda Merini affirme que « la folie est l’une des choses les plus sacrées qui existent sur terre. » Un paradoxe qui prend tout son sens à la lumière de l’explication qu’elle donne.
« C’est un parcours de souffrance purificatrice, une souffrance comme quintessence de la logique. »
La Folle de la porte à côté se déploie sur quatre chapitres d’une prose éblouissante : L’amour/La séquestration/La famille/La douleur. Chacun de ces chapitres est introduit par un poème en lien étroit avec la thématique abordée. À quoi vient s’ajouter une « Conversation avec Alda Merini », « La poussière qui fait voler ». C’est sur cette image inattendue, si belle et si émouvante, que se clôt la confession non impudique et magnifique de la poète :
« Je ne sais pas si le papillon a des ailes, mais c’est la poussière qui le fait voler.Tout homme a les petites poussières de son passé, qu’il doit sentir sur lui et qu’il ne doit pas perdre. Elles sont son chemin. »
Cigarette à la bouche, bouteilles de Coca-Cola à portée de main, Alda Merini préside. Dans son appartement milanais du Naviglio Grande où règne un désordre indescriptible et où s’amoncellent en piles instables livres et documents, elle reçoit. Journalistes, éditeurs, amis, poètes. Couverte de bijoux et colifichets, colliers de perles en sautoir, bagues énormes aux doigts et ongles peints, œil pétillant et langue acérée, elle reçoit. Pose nue, poitrine abondante et ventre rebondi, elle reçoit et se livre. Odalisque au regard de braise. Provocatrice et tendre. Elle évoque, intarissable, ses deux maris, celui de sa jeunesse, Ettore Carniti, père de ses filles et boulanger de son état ; celui de sa maturité, Michele Pierri, médecin et poète de Tarente qu’elle épouse en 1984. Elle évoque ses chers amants, tous plus beaux et plus fous les uns que les autres. L’étrange Titano, clochard vagabond, « grand personnage du Naviglio » qui suivait la poète dans ses « longues et complexes pérégrinations mentales ». Le père Richard, « impérieux, jeune, agressif et superbe », qu’Alda Merini aime d’un amour absolu. Alberto Casiraghi, éditeur des Aforismi (« Aphorismes ») de Merini ; et le grand-prêtre de la nouvelle avant-garde Giorgio Manganelli. Pour ne citer que quelques noms. Évoquant sa relation avec Manganelli, Alda Merini écrit :
« Tous deux spécialistes du Trecento, et tous deux ardents dans la passion comme dans l’existence, nous avons toujours poussé à l’extrême notre amitié. Jusqu’à la faire devenir comme le chant de la neige. Un élément d’une élection visionnaire qui aurait fait envie à Gabriele D’Annunzio. »
Ardente, Alda Merini l’est en toutes circonstances et dans tous les domaines. Y compris dans celui de sa folie. Elle est du côté des extrêmes. Troubles bipolaires ? Schizophrénie ? Alda Merini se définit comme telle. Ainsi explique-t-elle sa double personnalité antithétique :
« Il y a en moi l’âme de la putain et de la sainte.Parce que je peux changer quand je veux et, comme une schizophrène, je peux aller me promener, dormir, faire mes courses comme si tout était normal. Il m’est facile de tromper mon prochain.Le fait d’être une histrionne est aussi un élément positif, car, derrière le masque aux mille apparences, il y a un inconnu qui ne veut pas être reconnu. »
Troubles de la personnalité et dédoublements ? Alda Merini semble être à elle-même son propre bourreau comme en témoignent ces lignes extraites d’une lettre qu’elle adresse à l’éditeur Armando Curcio :
« La fièvre. J’ai eu de très fortes températures que je n’ai jamais prises, mais c’était davantage une grande rébellion, et avant tout une conspiration contre moi seule, très ardente, contre l’unique barreau du souvenir. J’ai beaucoup aimé ce barreau, tu sais, et il m’a semblé la puissante tige d’une fleur. »
Dans la même lettre, elle se dit prisonnière « de la folle de la porte à côté. » Est-ce d’elle qu’elle parle ? Est-ce d’une voisine ? D’une autre ? Le fou est toujours l’autre. Mais pour les autres, pour les habitants du Naviglio, pour ceux qui la croisent dans la rue, l’observent, la lisent, l’écoutent, la folle, c’est bien elle. Il lui arrive de lancer à ceux qui la reconnaissent :
« Alda Merini, ce n’est pas moi, je suis son sosie ».
Ailleurs, elle se défend en se définissant comme « normale ». La clochardise était un choix de Titano. Le sien était la folie. La folie est son piège, sa cage, son labyrinthe cerné de murs. Et c’est du Naviglio, ce quartier de Milan hanté par la drogue, où Alda Merini a choisi de « poser » ses « ailes fatiguées », qu’émane la « calomnie » de sa folie.
La Folle de la porte à côté est son double métaphorique, comme l’est aussi le concierge de son immeuble qui lui cause « d’effroyables insomnies ». Personnage inquiétant mais bien réel, il a pris une signification secrète dans l’esprit d’Alda Merini.
« C’était moi, mon moi le plus obscur. Une figure magique, jamais identifiable parce qu’elle était la peur même. La peur de l’injustice, de l’hôpital psychiatrique, de la misère. »
Dans cette narration qui tient de la confession – publique/privée —, le flux de la parole se libère. Chaque page rend compte de cet état de transe permanent.
Ainsi de ce paragraphe emprunté à la section « Séquestration » :
« Je commence à comprendre qu’il y a eu un malentendu ; je n’étais pas poète, j’ai dû être un grand fakir, un sage. J’ai supporté des choses ignobles sans piper, en cherchant les raisons du mal. J’ai compris que le mal n’existe pas, comme le bien n’existe pas. C’est alors que je suis devenue nihiliste : le matin je prends ma tension, je me tâte le pouls et je me demande combien il me reste d’heures avant de monter sur cet échafaud qu’est la vie. J’offre ma tête à mes éditeurs pour qu’ils me laissent tranquille encore une fois.»
Et l’écriture ? Et la poésie ? Elles ont à voir avec la passion amoureuse. Ainsi de sa passion amoureuse pour le père Richard (« un prêtre qui avait touché les cordes de [s]on âme »), Alda Merini confie-t-elle :
« C’était l’une de ces passions qui déchirent, avec la peau écorchée qui vous tombe du corps, mais des passions qui font écrire. »
La passion de l’écriture et des poèmes a elle-même très tôt commencé pour Alda Merini. La violence de son père, Nemo Merini, envers sa fille, déchirant sous ses yeux la critique élogieuse du critique Spagnoletti, aurait pu briser dans l’œuf l’élan créatif de la jeune fille. Le père a sans doute été un premier obstacle. Qu’Alda Merini a surmonté, mettant le geste paternel sur le compte du bon sens. Il y eut sans doute beaucoup d’autres obstacles. Devant lesquels elle ne recula pas. Car « pour le poète les obstacles sont inévitables, cette grande obsession des mots est devenue un chemin. » Comme l’amour et comme la folie :
« Tu ne sais pas combien de fois je baise les grilles de ma maison qui ne s’ouvrent que si j’appelle à l’interphone la folle de la porte à côté. Et elle me laisse dehors comme une mendiante. Mais moi je sers sa nudité, son avarice et son évangile assassin. » (Incipit de La Folle de la porte à côté).
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
_________________
* Alda Merini, La Terra Santa, Oxybia éditions, 2013, page 91. Traduction française de Patricia Dao.
ALDA MERINI
Source
■ Alda Merini
sur Terres de femmes ▼
→ [È un petalo la tua memoria] (extrait de La Folle de la porte à côté)
→ Après tout même toi | Dopo tutto anche tu
→ Ma poésie est vive comme le feu
→ Mare
→ (dans la galerie Visages de femmes) Il mio primo trafugamento di madre
■ Voir aussi ▼
→ (sur le site des éditions Arfuyen) la fiche de l’éditeur sur La Folle de la porte à côté d’Alda Merini
→ le site officiel Alda Merini, créé par les quatre filles d’Alda Merini
→ (sur Fine Stagione) plusieurs poèmes d’Alda Merini (avec leur traduction en français)
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Alda Merini | [È un petalo la tua memoria]
Image, G.AdC
[È UN PETALO LA TUA MEMORIA]
È un petalo la tua memoria
che si adagia sul cuore,
e lo sconvolge.
Addio, come ogni sera,
oltre le fratture c’è un cadavere
eretto di discorso,
sembra un frammento di un’eutanasia
ma tu mi uccidi come sempre, amore,
e riapri i miei eterni giacimenti.
I sepolcri del Foscolo, gli addii
di certe mani che non sono sepolte
ed emergono futili dal nulla
a chiedere giustizia di parole.
[TON SOUVENIR EST UN PÉTALE]
Ton souvenir est un pétale
qui se couche sur mon cœur
et le ravage.
Adieu, comme chaque soir,
au-delà des fractures il y a un cadavre
érigé de parole,
on dirait le fragment d’une euthanasie,
mais tu me tues comme toujours, amour,
et tu rouvres mes éternels gisements.
Les sépulcres de Foscolo, les adieux
de certaines mains qui ne sont pas ensevelies
et émergent futilement du néant
pour demander justice aux mots.
Alda Merini, « L’amore | L’amour », La Folle de la porte à côté [La pazza della porta accanto, Bompiani, Milano, 1995 ; rééd. 2019], suivi de La poussière qui fait voler, conversation avec Alda Merini, éditions Arfuyen, Collection « Les vies imaginaires », 2020, pp. 24-25. Traduit de l’italien par Monique Baccelli. Préface de Gérard Pfister.
ALDA MERINI
Source
■ Alda Merini
sur Terres de femmes ▼
→ La Folle de la porte à côté (lecture d’AP)
→ Après tout même toi | Dopo tutto anche tu
→ Ma poésie est vive comme le feu
→ Mare
→ (dans la galerie Visages de femmes) Il mio primo trafugamento di madre
■ Voir aussi ▼
→ le site officiel Alda Merini, créé par les quatre filles d’Alda Merini
→ (sur Fine Stagione) plusieurs poèmes d’Alda Merini (avec leur traduction en français)
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18 août 2018 | Elena Ferrante, Chroniques du hasardÉphéméride culturelle à rebours
Andrea Ucini, Tagli netti,
in Elena Ferrante, Chroniques du hasard,
éditions Gallimard, Hors série Littérature, 2019, page 103.
TAGLI NETTI
18 agosto 2018
Per quel che ricordo non mi ha mai spaventato il cambiamento. Ho cambiato casa, per esempio, parecchie volte ma non ricordo particolari disagi, rimpianti, lunghi periodi di disadattamento. Molti detestano i traslochi, c’è chi li ritiene in grado di accorciarci la vita. Io del trasloco amo innanzitutto la parola, fa venire in mente lo slancio del salto in lungo, un raccogliere energie per proiettarsi verso un altro luogo dove tutto è da scoprire e da imparare. Sono convinta insomma che cambiare ha un suo versante sempre positivo. Aiuta a accorgerci, per esempio, che abbiamo accumulato molte cose inutili, che averle ritenute utili è stato un abbaglio, che tutto quello che davvero serve è pochissimo, che ci leghiamo a oggetti, a spazzi, certe volte a persone, senza cui la nostra vita non solo si impoverisce ma si apre inaspettatamente a nuove possibilità. Quando poi i cambiamenti sono radicali, dopo un po’ di incertezza tendo all’euforia. Mi sento quando da bambina le inventavo tutte per trovarmi all’aperto mentre si preparava un temporale e volevo inzupparmi prima che mia madre mi riacciufasse. Per via di questa propensione, però, ho scoperto con colpevole ritardo l’altro lato del cambiamento, la sofferenza. Non parlo qui di chi vede di colpo la sua esistenza a soqquadro e resiste nel guscio degli abitudini che parevano definitive, finché non scopre che non c’è reazione che tenga e malinconicamente si rassegna al fatto che il mondo di ieri domani non ci sarà più. Non mi ha mai veramente coinvolta – nemmeno letterariamente – il rimpianto di come era bella la vita prima di una qualche rivoluzione. Ho sempre sentito di più l’allegria dei rivolgimenti, e perciò ho messo a fuoco tardi che quell’allegria, quell’entusiasmo, non sono necessariamente in contraddizione con una sofferenza di fondo. Se si guarda bene, per esempio, insieme alla genuina festa grande con cui abbiamo salutato cambiamenti importanti per noi donne, c’era un dolore silente che, per quel che ne so, ci siamo raccontate poco. Svestirci dell’abito remissivo che le nostre stesse mamme ci avevano cucito adosso fin dai primi anni di vita, per indossarne uno più combattivo, pur nella sua positività di atto liberatorio, da qualche parte di noi ci causava angoscia. Non ci si strappa via la pelle che pareva la nostra senza soffrire. Non ci si stacca facilmente da quello che siamo state, qualcosa dura e si torce. Non ci sa accomoda in una forma imprevista senza la paura dell’inadeguatezza. Il sentimento gioioso della liberazione prevale, ma l’anestetico della gioia non cancella la realtà del taglio.
Elena Ferrante, « Tagli netti », L’invenzione occasionale, edizioni e/o, 2019, pp. 62-63. Illustrazioni di Andrea Ucini.
COUPURES NETTES
18 août 2018
Autant que je m’en souvienne, le changement ne m’a jamais effrayée. Par exemple, j’ai déménagé à plusieurs reprises, mais je ne me rappelle pas avoir jamais éprouvé de malaise, de regret, ou avoir eu besoin de longues périodes d’adaptation. Beaucoup de gens détestent les déménagements, et certains estiment même qu’ils peuvent nous raccourcir la vie. Ce que j’aime avant tout, dans le déménagement, c’est le mot : il me rappelle l’élan du saut en longueur, le fait de rassembler son énergie afin de se projeter vers un autre endroit, où tout est à découvrir et à apprendre. En somme, je suis persuadée que changer a toujours un aspect positif. Cela aide à réaliser que nous avons accumulé beaucoup de choses inutiles, qu’avoir cru à leur utilité a été un aveuglement, que tout ce qui nous sert vraiment se résume à bien peu, et que nous nous attachons à des objets, à des lieux et parfois à des personnes en l’absence desquels notre vie non seulement ne s’appauvrit pas, mais s’ouvre à des possibilités nouvelles et inattendues. Et, lorsque les changements qui surviennent sont radicaux, j’ai tendance, après un bref moment d’incertitude, à être euphorique. J’ai le même sentiment que dans mon enfance, lorsque je mettais tout en œuvre pour me retrouver dehors tandis qu’un orage menaçait, je voulais être trempée avant que ma mère ne m’attrape. Mais, à cause de cette tendance, j’ai découvert seulement très tard l’autre face du changement, la souffrance. Je ne parle pas des gens qui voient leur existence brusquement chamboulée et qui résistent dans une carapace d’habitudes qui leur paraissaient éternelles, jusqu’à ce qu’ils comprennent que leur réaction n’a pas de sens et qu’ils finissent par se résigner, avec mélancolie, au fait que le monde d’hier ne sera plus là demain. Je n’ai jamais vraiment été attirée – même en littérature – par la célébration de la vie passée, par la nostalgie de la beauté précédant une quelconque révolution. J’ai toujours été plus sensible à la joie des bouleversements et, par conséquent, il m’a fallu du temps pour réaliser que cette joie et cet enthousiasme n’étaient pas nécessairement incompatibles avec une souffrance de fond. Par exemple, à bien y regarder, la grande allégresse avec laquelle nous avons accueilli des changements importants pour nous les femmes a été accompagnée d’une douleur silencieuse qui, autant que je sache, n’a pas tellement été dite. Ôter les vêtements de la soumission que nos mères elles-mêmes nous avaient confectionnés dès nos premières années de vie et en enfiler d’autres, plus adaptés aux luttes, a été un acte libérateur très positif. Et pourtant, quelque part, cet acte a généré de l’angoisse. Il est impossible d’arracher ce que nous prenions pour notre peau sans en éprouver de la souffrance. On ne se sépare pas facilement de ce que l’on a été : quelque chose persiste et résiste. On n’adopte pas une forme imprévue sans crainte de l’inadaptation. Le sentiment joyeux de la libération domine, mais l’effet anesthésiant de cette joie n’efface pas la réalité de la rupture.
Elena Ferrante, « Coupures nettes », Chroniques du hasard, éditions Gallimard, Hors série Littérature, 2019, pp. 104-105. Traduit de l’italien par Elsa Damien. Illustrations d’Andrea Ucini.
feuilleter le livre
ELENA FERRANTE
la fiche de l’éditeur sur Chroniques du hasard
■ Voir aussi ▼
→ (sur le site des éditions Gallimard)
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Milo De Angelis | L’oceano lì davantiL’OCEANO LÌ DAVANTI
L’oceano lì davanti lì davanti
come un’idea a perpendicolo
o uno sbocco di sangue
nell’intervallo più piccolo tra le tempie.
Il grigio soffre. Il grigio non è un colore
ma un voltarsi, scrutare per terra
l’assoluta metà di ogni cosa, piegare in quattro
i pianeti della fortuna,
che dentro la tasca ci danno un confine,
come questa fila di case, d’inverno,
significa camminarci accanto, essere d’inverno.
Milo De Angelis, L’Océan autour de Milan et autres poèmes [L’oceano intorno a Milano], I, édition bilingue, M.E.E.T. [Maison des Écrivains et des Traducteurs de Saint-Nazaire] Arcane 17, 1993, suivi d’un « Entretien avec Milo De Angelis », par Bernard Bretonnière.
« Le gris souffre. Le gris n’est pas une couleur
mais un retournement »
Photocollage, G.AdC
L’OCÉAN LÀ-DEVANT
L’océan là-devant tout devant
comme une idée au carré
ou un crachat de sang
dans le plus court intervalle entre les tempes.
Le gris souffre. Le gris ce n’est pas une couleur
mais un revirement, c’est scruter par terre
la moitié absolue de tout, c’est plier en quatre
les planètes de la fortune
qui nous fixent une limite au fond de la poche,
de même qu’en hiver cette enfilade de maisons
ça signifie marcher l’un à côté de l’autre, être en hiver.
Traduction inédite d’Angèle Paoli
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Luigia Sorrentino | Hypérion, la chute
LUIGIA SORRENTINO
Source
Originaire de Naples, Luigia Sorrentino est poète et journaliste. Son métier de journaliste la conduit à réaliser des interviews de personnalités aussi éminentes que les Prix Nobel Orhan Pamuk, Derek Walcott et Seamus Heaney. Productrice de programmes culturels radiophoniques, elle anime sur Rai Radio Uno l’émission Notti d’autore, « viaggio nella vita e nelle opere dei protagonisti del nostro tempo ».
Poète, elle a publié plusieurs recueils de poésie : C’è un padre (Manni, Lecce, 2003) ; La cattedrale (Il ragazzo innocuo, Milano, 2008) ; L’asse del cuore (in Almanacco dello specchio, Mondadori, Milano, 2008) ; La nascita, solo la nascita (Manni, Lecce, 2009) ; Inizio e Fine, Cahiers de La Collana, Stampa, 2009 ; Varese, 2016 (trad. fr. par Joëlle Gardes, éditions Al Manar, 2018) ; Figure de l’eau | Figura d’acqua, éditions Al Manar, 2017 (traduit en français par Angèle Paoli), Olimpia (Interlinea edizioni, 2013) | Olympia, éditions Al Manar, 2019 (traduit en français par Angèle Paoli).
En août 2013 a paru aux éditions Interlinea de Novare, le recueil poétique Olimpia (Olympia) préfacé par Milo De Angelis et postfacé par Mario Benedetti. Dans la préface de l’ouvrage, Milo De Angelis souligne l’importance de ce recueil qui touche à l’essentiel, « aborde en profondeur les grandes questions de l’origine et de la mort, de l’humain et du sacré, de notre rencontre avec les millénaires. » De la poète Luigia Sorrentino, il souligne le regard visionnaire : un « regard ample, prospectif, à vol d’aigle ». Mais aussi ses « immersions imprévues dans la flamme du vers ».
Dans ce parcours initiatique qu’est le « livre orphique » Olympia — de la grotte de la naissance jusqu’à la pleine exposition de soi dans les forces telluriques —, le lecteur est confronté à une perte irrémédiable : celle de la condition humaine. Cette quête conduit à travers un hors-temps et un hors-espace à la recherche « d’époques de notre vie ». La rencontre se fait dans une Grèce — Olympie — démesurée qui, dans les pages du recueil, ressurgit « vivante, intérieure, palpitante ». D’autres rencontres ont aussi lieu : « avec les ombres des corps que nous avons aimés ; puis, parmi les ombres, […] avec nous-mêmes ». Il importe alors « d’assumer [son] nouveau visage : celui du souffle, de la voix, du vent, des cigales, des rochers, des oliviers ».
Ainsi, en dépit du fait que tout est désormais accompli, au milieu de notre existence dépouillée, « s’élève un cri d’éternité et d’amour ». Comme le souligne Milo De Angelis, « Olympia parvient à exprimer ce temps absolu, et le fait de manière admirable », avec une grande puissance architectonique mais aussi « avec les éclairs fulgurants de la vraie poésie. Un Temps absolu qui contient chaque temps. » Un recueil qui nous plonge de temps à autre dans diverses périodes de notre vie, comme si nous étions à la fois « des hommes de l’Antiquité et des adolescents, sûrs » de nous et tout à la fois « perdus », et que nous nous immergions « dans ce jour chargé d’attente et de révélation, sans cesse sur le seuil d’une découverte cruciale ».
■ Luigia Sorrentino
sur Terres de femmes ▼
→ [tous les jours étaient tombés sur son visage] (extrait de Début et fin | Inizio e fine)
■ Voir | écouter aussi ▼
→ (sur le site des éditions Al Manar) la fiche de l’éditeur sur le recueil Olympia
→ (sur le site des éditions Interlinea) une page sur le recueil Olimpia
→ (sur Poesia, di Luigia Sorrentino) une recension (en italien) d’Olimpia par Alessio Alessandrini
→ le blog Poesia de Luigia Sorrentino
→ (sur le blog Poesia de Luigia Sorrentino) Luigia Sorrentino lit un extrait du recueil Olimpia : “Giovane monte in mezzo all’ignoto” (+ une note de lecture de Diego Caiazzo)
→ (sur Sulla letteratura | On literature) un autre extrait d’Olimpia traduit en anglais par Alfred Corn
→ (sur PostPopuli) un entretien de Luigia Sorrentino avec Giovanni Agnoloni
→ (sur Poesia 2.0) une recension d’Olimpia par Chiara De Luca
→ (sur le blog du Corriera della sera) une recension d’Olimpia par Ottavio Rossani
→ (sur YouTube) a creatura perpetua (une vidéopoésie de Chiara De Luca sur un extrait d’Olimpia)
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30 janvier 1889 | La tragédie de Mayerling in Danube de Claudio MagrisÉphéméride culturelle à rebours
CLAUDIO MAGRIS
■ Voir aussi ▼
→ (sur le site des éditions Gallimard) la fiche de l’éditeur sur Danube
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Elio Vittorini, Les Hommes et la Poussière
par Angèle PaoliElio Vittorini, Les Hommes et la Poussière, éditions Nous, 2018.
Traduit de l’italien et présenté par Marie Fabre.
Lecture d’Angèle Paoli
ELIO VITTORINI
Source
■ Elio Vittorini
sur Terres de femmes ▼
→ Sicilia ! (note d’AP)
■ Voir aussi ▼
→ (sur le site des éditions Nous) la fiche de l’éditeur sur Les Hommes et la Poussière [PDF]
→ (sur le site des éditions Nous) des extraits des Hommes et la Poussière [PDF]
→ (sur le site En attendant Nadeau) Les îlots de résistance d’Elio Vittorini, par Linda Lê
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