Étiquette : Tristes Pontiques


  • Ovide, Tristes Pontiques

    «  Poésie d’un jour  »



        Il y a deux mille ans, en décembre 8 de notre ère, le poète Ovide était banni par l’empereur Auguste.





    Eugène Delacroix, Ovide chez les Scythes, The National Gallery, London
    Eugène Delacroix (1798-1863),
    Ovide chez les Scythes, 1859
    Huile sur toile, 87,6 x 130,2 cm
    The National Gallery, London
    Source







                MOI JE NE SAIS QU’ÉCRIRE



                                     XI

    toutes ces lettres ont été écrites
    dans les tourments d’un long voyage
    une en particulier dans l’Adriatique
    où je tremblais de froid en plein mois de décembre
    une autre après avoir passé Corinthe à pied
    juste avant d’embarquer sur mon second bateau

    les Cyclades ont dû être étonnées
    de me voir faire des vers au milieu de la mer

    aujourd’hui c’est moi qui m’étonne
    que l’agitation de mon âme
    et l’agitation de la mer
    ne m’aient empêché d’écrire
    obsession ou délire
    c’était plus fort que moi
    écrire m’empêche de sombrer

    pourtant j’étais la proie des influences astrales
    ballotté en tous sens par les constellations
    Stérope à son zénith amoncelait les vagues
    les Chevreaux bondissants excitaient les nuées
    le Gardien de l’Ourse raccourcissait les jours
    et l’Auster affolait les Hyades

    les longues nuits n’étaient que pluie

    le navire embarquait dans une déferlante
    ma main tremblante écrivait toujours
    écrivait tout ce qui venait

    en ce moment les drisses sifflent au vent du Nord
    la houle se dresse en montagnes
    je vois le pilote en train de prier
    il lève les mains vers le ciel
    il en oublie de tenir la barre

    où que mes yeux se portent
    le vide
    le miroir de la mort

    je ne sais plus

    j’ai peur de la mort
    je l’appelle aussi
    je vais atteindre ce port
    Tomes
    et je suis terrorisé

    j’ai peur de la mer
    j’ai peur de la terre
    j’ai peur des hommes et des tempêtes
    le glaive et la vague me font doublement peur
    le glaive veut mon sang et la mer veut mon souffle
    à gauche est le rivage d’un pays de barbares
    occupés seulement de meurtre et de rapine
    de carnage et de guerre

    mon cœur est plus troublé que cette mer sauvage
    plus inquiet que la mer en hiver
    mon cœur est plus troublé que le cœur des barbares

    comprends-moi
    lecteur de bonne foi
    autrefois j’écrivais dans mon jardin romain
    mollement allongé sur des coussins de plume
    me voilà ballotté sur un abîme noir
    dans une brume perpétuelle
    mes tablettes sont constamment humides

    il semble que l’ouragan
    s’exaspère de me voir écrire
    il veut me faire céder sous la menace
    plus j’écris plus il rugit

    j’arrêterai d’écrire quand le vent cessera

    il ne sait que souffler
    moi je ne sais qu’écrire



    Ovide, Les Tristes in Tristes Pontiques, P.O.L Éditeur, 2008, pp. 60-61-62. Traduction de Marie Darrieussecq.





    MARIE DARRIEUSSECQ-OVIDE, Tristes Pontiques
    Image, G.AdC






    OVIDE



    ■ Ovide
    sur Terres de femmes

    Hermaphrodite (extrait des Métamorphoses. Traduit du latin par Marie Cosnay)
    Pretium vitae (extrait d’Amores)
    Héroïdes, Lettre de Didon à Énée
    Tristes Pontiques, traduit du latin par Marie Darrieussecq (note de lecture d’AP)






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