Étiquette : Vaghe Stelle dell’Orsa


  • 6 septembre 1965 | Lion d’or du festival de Venise :

    Luchino Visconti, Vaghe stelle dell’Orsa

    Éphéméride culturelle à rebours



    Le 6 septembre 1965, le cinéaste italien Luchino Visconti remporte le Lion d’or à la 30e Mostra de Venise pour son film Vaghe stelle dell’Orsa (distribué en France sous le titre Sandra).






    Luchino Visconti, Vaghe stelle dell'Orsa







    Avec Claudia Cardinale dans le rôle du personnage principal de Sandra Luzzatti. Jean Sorel dans le rôle de son frère Gianni. Michael Craig dans celui d’Andrew Dawson, l’époux américain de Sandra. L’actrice Marie Bell incarne le personnage de Corinna Luzzatti, la mère. Renzo Ricci celui du beau-père, Antonio Gilardini. Quant au rôle de Fosca, la vieille gouvernante de la famille, il est attribué à la Sicilienne Amalia Troiani, issue d’une célèbre famille d’acteurs et de marionnettistes.


    Le thème de l’inceste est au cœur de la tragédie qui va se nouer autour de Sandra et de son frère, dans la demeure ancestrale des Luzzatti : « J’ai choisi le thème de l’inceste parce que l’inceste est le dernier tabou de la société contemporaine », écrit Luchino Visconti dans le numéro 934 de la revue Sipario (octobre 1965). Mais l’inceste est aussi, selon le metteur en scène, l’ultime recours pour sauvegarder le noyau familial et le protéger de la désintégration qui le mine.


    Le titre original du film est inspiré à Visconti par les premiers vers des Souvenances (Le Ricordanze), poème tiré des Canti de Giacomo Leopardi :


    « Vagues flammes de l’Ourse, qui m’aurait dit
    Que je viendrais vous contempler encore
    Dans le jardin paternel scintillantes,
    Et parler avec vous des fenêtres
    De ce logis où j’habitais enfant
    Et découvris la fin de mes bonheurs. »*







    Claudia Cardinale dans Vaghe stelle dell'Orsa
    Source







    Alors même que Luchino Visconti était en train de tourner Le Guépard, le producteur Franco Cristaldi s’était engagé à financer un autre film dans lequel Claudia Cardinale aurait un rôle qui donnerait la pleine mesure de son talent. Visconti envisage alors de revisiter le mythe des Atrides et le personnage d’Électre. Remplaçant la toile de fond de la guerre de Troie par celle de l’horreur des camps d’extermination (sous-jacente dans le film), Visconti focalise l’action dramatique sur la belle Sandra-Électre, jeune demi-juive intimement convaincue que sa mère et son amant sont à l’origine d’une dénonciation qui a conduit au transfert, puis à la disparition à Auschwitz du professeur Luzzatti, père de Sandra et de Gianni.


    Au moment où commence le film, Sandra et Andrew s’apprêtent à quitter Genève. Avant de partir pour l’Italie et de s’envoler par la suite pour New York, le jeune couple donne une soirée d’adieu. C’est alors que l’un des invités se met au piano et sème le trouble en jouant le Prélude, choral et fugue de César Franck, musique qui, telle la Sonate de Vinteuil, conduit Sandra à s’immerger dans le temps de son enfance et dans le passé douloureux de sa mère, Corinna Luzzatti, une pianiste virtuose dont la carrière a été brisée, et qui a sombré dans la folie. Celle-ci vit aujourd’hui dans une maison isolée, soignée par Pietro Fornari, médecin et premier amour de Sandra.


    S’inspirant de l’ultime roman de D’Annunzio, Forse che si, forse che no, Visconti choisit de situer l’action de Vaghe stelle dell’Orsa dans l’antique cité étrusque de Volterra, haut perchée sur ses falaises érodées (les célèbres balze). C’est là que se dresse l’étrange demeure qui a vu grandir les deux enfants, Sandra et Gianni. C’est aussi dans les jardins mystérieux de la demeure que doit se dérouler l’inauguration d’un buste dédié au professeur Emanuele Wald-Luzzatti. C’est là enfin que vont se retrouver Gianni (censé être en déplacement à Londres) et Sandra.


    Progressivement, la tension monte et enfièvre les personnages, mus par la jalousie, l’emprise du passé, le ressentiment et l’exacerbation de la passion. Les liens entre le frère et la sœur se resserrent dans une complicité retrouvée, laissant Andrew impuissant à mettre fin à ce climat de folie qui lui est si étranger. C’est alors que Gianni révèle à Sandra qu’il est l’auteur d’un roman inspiré par ses années d’adolescence : Les Belles Étoiles de l’Ourse. Après lecture du manuscrit, Sandra s’oppose à la publication du roman. « Parce que ce pourrait être une arme entre les mains de nos ennemis », déclare-t-elle à son frère. Gianni accepte le sacrifice et promet de détruire le manuscrit. Au cours d’une violente dispute entre Sandra et son beau-père, Antonio Gilardini ― avocat chargé de gérer le patrimoine des enfants Luzzatti ―, ce dernier accuse Sandra d’entretenir une relation incestueuse avec son frère. L’étau se resserre autour de Gianni qui brûle son manuscrit et se suicide. Alors même que se déroule dans le jardin, en l’absence de Gianni, l’inauguration du buste du père mort, dont Sandra vient de retirer le voile. Parmi les ombres du soir, la voix du rabbin, incantatoire, berce la cérémonie. « Le monde imaginaire de la mythologie, l’antique monde étrusque, l’univers poétique de Leopardi, et le funèbre royaume concentrationnaire de Hitler », semblent momentanément réunis. Reste la question de la Vérité que les « survivants » de cette tragédie sont condamnés à ne jamais connaître.




    ___________________
    * Giacomo Leopardi, Le ricordanze [Les souvenances], Canti in Anthologie bilingue de la poésie italienne, Éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1994, page 1116. Traduction française de Michel Orcel.

    « Vaghe stelle dell’Orsa, io non credea
    Tornare ancor per uso a contemplarvi
    Sul paterno giardino scintillanti,
    E ragionar con voi dalle finestre
    Di questo albergo ove abitai fanciullo,
    E delle gioie mie vidi la fine. »






    LUCHINO VISCONTI


    Luchino_visconti
    Image, G.AdC



    ■ Luchino Visconti
    sur Terres de femmes

    15 juin 1942 | Début du tournage d’Ossessione
    5 janvier 1952 | Sortie à Paris de La Terre tremble
    2 octobre 1952 | La Locandiera de Goldoni mise en scène par Luchino Visconti
    23 mai 1963 | Palme d’or pour Le Guépard
    15 décembre 1989 | Mort de Silvana Mangano (notice sur Violence et passion)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Fine Stagione)
    Les étoiles froides





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  • Vaghe stelle dell’Orsa…

    Le billet de Nestor

    Le billet hebdomadaire de Nestor (12)





    Chirico La_matin_e_angoissante__1912
    Giorgio De Chirico
    La Matinée angoissante, 1912
    Huile sur toile, 81 x 65 cm
    Museo di arte moderna e contemporanea
    di Trento e Rovere
    Source






    VAGHE STELLE DELL’ORSA…



    Aux frères d’un autre temps, à ce qu’ils sont, à ce qu’ils furent, où qu’ils soient…



    L’image déjà s’altère, laissant le monde loin derrière nous, poison qui s’étend et déforme, nains bavards, apôtres aux bouches tordues, adulateurs fardés, morts consumés…


    Des regards le prisme lointain, des voiles la patience et le don, des confins le scabreux achèvement, en nous et entre nous déplié, dernier rempart face aux blessures du monde.


    Dans le présent qui ferre, rien ne soulage du don échu , ne suspend l’appel, ne sépare ce qu’on ne sait gravir, ni oubli du Retour, ni aube des feux, ni ce qui, deux fois tué, s’égale pourtant au monde.


    Noms se consumant dans d’âcres feux, cosses du réel sans rédemption… Le sachant, traverser sans hâte la petite cour, prendre garde à ne pas faire crisser le gravier, ôter aux pires choses leur gravité…


    Tu l’envers, le jumeau d’ombre, tu l’envol qui fait tache, ignore les sources, destitue les confins, fabrique pour nos seules parades des prothèses, des miniatures, des stèles, des proverbes, des nomades…


    Aucun acte n’est du, le mystère est en nous, pas dans nos mots, soupesant sans leurre les choses et les fins, rapprochant ce que le temps durcit et sépare, démêlant ce qu’on se plut à brouiller, pétrissant l’ombre, éparpillant le miel empoisonné…


    Au Malin de dire ce qu’est réel, groins dormants, esprit des lieux, flux, gisements, pistes, échos, feux, miels, voies, racolages, émeus, nids, ruses, miettes, masques, coulées et fins se renvoyant, démâtant des chevauchées comme de l’enclos le fard, le pli, l’envol, la voyance…

    Le regard ne respecte pas l’autre s’il prétend ou imagine fonder ce qu’il vise : c’est pourquoi l’ < étéron > des Grecs à jamais nous affranchit de toute tentation d’avilir autrui comme de nous y soumettre…



    corolles éparses dans l’embrasure
    au ras des tuiles le vert étouffe à
    vif sur le triangle des routes menant
    à l’insoumise et nos profils au seul
    travail des lentes tumeurs ô lumières
    galets humés que jamais plus la
    bride sa propre glu et l’hameçon en
    détritus de sang ne dérivèrent dans
    la fêlure les fentes où le pollen des
    algues reflue golfes sans débuts sans
    pieuvres auxquelles nerfs des repères
    nous buvions nous déplissant dans
    l’aire femelle flaminaire à la petite
    semaine parmi les dernières allures
    de la houle fiel désossé dans l’appât
    des flancs illumine nous glisse entre
    leurs sexes rive spasme ignorant la
    rêche âpre électrique du vent de tes
    lunules en îles débit en marge des
    flux sur le croissant du clair là au
    noeud des crochets déménageant la
    frange stalactites de la fixe pleuvante
    genèse lettres du sursaut pluies de
    genoux dans les menottes se cambrant
    sur les rides de cendre parmi les éventrées
    suintent sur les reptiles tannés repris en
    battements en fin plurielles phonies au
    bout des griffes que balbutient nos souples
    signes à l’extrême ciel criard comme l’avant-cendre
    à tête de voyages de toutes les manières l’autre
    possible louve désarticule les pavillons érige
    la femme enclose des bords repeint le mât en
    lèvres de lèpre s’étrangle qui retient dégouline
    sans bouger la fouineuse dressée en flux des
    glas antennes chercheuses irriguant nos cratères
    arc entre les dorsales où clignotes te délies phare
    de la vaginale durable érafle les langues recluses
    charcute en nous la vide clôture des sourdes
    vibre dans la friable fenaison la pénètre ô soulagée
    par nos incendies traverse avec ou sans nids sur
    la plus chaude révulsion des dons si pesante
    submerge le bas des masques percute la dispersion
    avec juste autour des plis en guise d’ardoise râle
    sur le givre temps des fragments sur tes cuisses nos
    vues rebues t’engendrent plus ou mal polluent l’envie
    des cicatrices se dissipant aux bestiaires du feu la
    cireuse aspirante où du premier goût erre de toutes
    les vacantes la verticale les gonds des dents sur la
    plus ronde jetée la fermeture de cap en roc flanche
    s’arrime directe sur la peau des gouttes dedans l’envers
    en manque de prothèses si seulement nous pouvions ne pas
    si seulement oui nous suffire sans le revirement des pores
    sinon nous insinuant encore sables chevauchant complices
    nous prend qui rôde d’emblée qui sort des crissements à
    nos mesures exige dans le métal transportant les battues
    alors toujours séparées couchent les villes hautes frappent
    des naseaux dans les environs où habite l’assise parure
    où jamais ne saignent les distances non fissures se
    déridant du soleil non


    L’obscur n’a pas d’ennemis, des contradicteurs seulement. Il n’en est pas de même des lumières que l’on imagine.


    Tout doit s’effacer, tout s’effacera. Le reste est indécence des seuils, babil…


    Se laisser apprivoiser par l’écart, jamais par l’origine, déjà perdue, toujours perdue…


    Les croisés de l’Ouvert ne reculent devant rien, ni devant l’offrande, ce nom propre de l’être, ni devant les veilles du soupçon, du défi des premières clartés, de ce rien inlassablement investi dans la toute-présence…


    Comment ne pas arriver à être ceux que, désormais, nous serons pour toujours, passant d’une pénombre à l’autre, la course du soleil nous rendant à nos fourmilières ?


    Ô l’instant que nulle chance ne dépossède ni s’approprie, celui qui à chaque fois est < tout > le temps en < même > temps…


    Cette dernière heure comment l’ériger pour qu’elle demeure, ce souvenir pour que nous ayons faim de tout changer ?


    Tous les mêmes, vous chez qui la contradiction ne bute pas sur la substance, mais sur ses formules, cette réification des causes, des forces, des songes…




    André Rougier
    D.R. Texte André Rougier



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