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  • Valère-Marie Marchand | [C’est bien connu. Les livres naissent des arbres]





    [C’EST BIEN CONNU. LES LIVRES NAISSENT DES ARBRES]



    C’est bien connu. Les livres naissent des arbres, mais les arbres ne disent pas tout. Voilà pourquoi les livres ne révèlent jamais le fond de leur pensée. C’est à la fois leur force et leur faiblesse. Une fois ouverts, ils ne se ferment plus et résonnent du seul bruit de la vie. Ils peuvent même laisser au lecteur le soin de conclure… Pour Augustin, toute lecture vient peut-être de là. De ce besoin effréné de silence. De ces ombres passagères ou de ce ciel bleu-gris. Un jour ou l’autre, il faussera compagnie à cet arbre, il oubliera la beauté sidérante des plages et quittera ce paysage qui n’est qu’un prétexte à rêver. Le moment venu, il n’y aura plus que le poids de son ombre et le bruit des vagues au loin.

    Quand ce sera fini, l’arbre se souviendra peut-être de la proximité de l’eau claire et de l’ombre des falaises. Quand ce moment viendra, son arbre redeviendra un arbre comme les autres et rejoindra son espèce première. Autant dire qu’Augustin sera là le jour J. Il est en effet l’un des rares à parler le langage des arbres et à apprécier leur feuillage silencieux. Ce sixième sens lui vient de cette terre irradiante de lumière, de ces chemins où le vent se lève. Ce vocable lui vient de son bonheur présent et des errances passées. Dans son corps, il ressent enfin les bienfaits de la maturité. Il s’écoute revivre. La mer devient houleuse. Il suspend sa respiration. L’espace lui semble vide et dans un geste irréfléchi, il se tourne vers ce souffle chargé d’embruns.

    On ne le sait pas toujours, mais le crépuscule n’est pas forcément synonyme d’adieu. Voilà pourquoi quand le ciel prend une couleur d’acier, les arbres restent sur la défensive. Leurs feuillages se frôlent à peine et leurs racines ne sont jamais au coude à coude. Cette précaution d’usage a fait ses preuves parmi les conifères et aurait favorisé l’extension d’innombrables forêts. Depuis, il est de coutume chez les arbres de ne pas gêner leurs voisins. L’arbre d’Augustin, lui, a le sommeil si profond qu’il en oublie les offrandes inhumées à ses pieds. Dès le coucher du soleil, on le voit se recroqueviller sur lui-même, ce qui, chez lui, est signe d’un recueillement intense. Au lever du jour, il se redresse et se souvient de sa verticalité première. Mais il faut attendre le milieu de l’après-midi quand le soleil est à son aphélie, pour qu’il soit plus à son aise. À ce moment-là, ses feuilles resplendissent de lumière et sa silhouette élancée retraverse le ciel. En cet instant précis, la mer semble se taire et un bruit léger se fait entendre. « Prends et lis ! » croit-il écouter au loin… Ces mots qui furent ceux d’Augustin sont à présent les siens. La journée s’annonce radieuse. À 2 900 ans passés, l’olivier de Sidi Messaoud est toujours là où il est, sur ce bloc crayeux qui donne sens à l’azur. L’instant d’après, la sève monte sans bruit. Une autre saison s’insinue en lui. L’heure est venue de se sentir en vie et de comprendre toute l’importance d’être arbre…



    Valère-Marie Marchand, « L’olivier de Saint Augustin » (extrait) in Le Premier Arbre Et autres récits qui cachent la forêt, Éditions du Cerf, 2018, pp. 105-107.






    Valère-Marie Marchand  Le Premier Arbre





    VALÈRE-MARIE MARCHAND


    Valère-Marie Marchand
    Source




    ■ Valère-Marie Marchand
    sur Terres de femmes

    La Clef des rives (note de lecture d’AP)
    Le Grand Bleu (extrait de La Clef des rives)




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    Valère-Marie Marchand lit des extraits du Premier Arbre





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  • Valère-Marie Marchand, La Clef des rives

    par Angèle Paoli


    Valère-Marie Marchand, La Clef des rives,
    Mythologies au fil de l’eau,

    Éditions La Part Commune, Rennes, 2014.
    Illustrations réalisées par l’auteur.




    Lecture d’Angèle Paoli


    Les non-dits qui ponctuent ses rêveries lustrales
    Ph., G.AdC







    LES NON-DITS QUI PONCTUENT LES RÊVERIES LUSTRALES




    Elle s’était inventé une histoire ; une histoire d’eau qui lui donnerait « la clef des rives » et des rêves. Une histoire qui ouvrirait sur la mémoire de l’enfance, « la légèreté des larmes », le « sourire des vignes », le « vacillement des guêpes ». L’histoire s’agencerait comme une marelle ; « une marelle impossible à décrire ». Cependant, la marelle existe. Elle a pour titre La Clef des rives. Valère-Marie Marchand l’a imaginée pour nous, lecteurs. Dessinée au fil des pages pour notre plus vif plaisir.

    Sous-titré Mythologies au fil de l’eau, élaboré à partir de récits communs à tous, La Clef des rives est un petit opus hors du commun. Mythologies et réalités scientifiques s’y croisent avec bonheur et élégance, tressent ensemble un singulier ouvrage tout de poésie et de songes.

    Inscrit sous le double parrainage de Gaston Bachelard, dans la lignée de L’Eau et les rêves, et de Pascal Quignard — Boutès —, le recueil se répartit en deux temps ; deux temps d’un même flux : « Les rives de l’éveil / Les rives en sommeil. » La traversée se fait en longeant deux rivages à la fois distincts et inséparables. Mais le lecteur peut guider sa flânerie à sa guise, guéant d’une rive l’autre parmi les formes que peut prendre l’eau depuis les origines du monde, eaux placentaires et eaux lustrales, eaux des glaciers des fleuves des rivières eaux des cascades et des torrents ; eaux calmes des étangs et eaux tempétueuses des abysses, où règnent dieux marins, Océanides et sirènes. Eaux des cieux archaïques et déluges des temps ancestraux, royaumes des planctons miniatures et des géantes baleines. Noé et Jonas. Ulysse et Calypso ; Ulysse et Nausicaa ; Ménélas et Protée ; Protée et Arcimboldo ; Narcisse en proie à ses reflets, Diane et ses sortilèges ; Jean Le Baptiste et Salomé ; la Samaritaine et la Sérénissime ; les eaux du Léthé et celles du Gange… Tous, personnages et lieux, proches ou lointains, alimentent les rêves des hommes, irriguent la mémoire de Valère-Marie Marchand, ouvrant « des parenthèses » qu’à la suite de ses créations, « nul ne songe à refermer. »

    Au commencement furent « les eaux primordiales ».

    « Un peu partout, on se mit à voir différemment, à détailler la surface des vagues, à ramasser les galets en bordure de plage… »

    Un jour vint Léonard, « fruit naturel d’une union de passage. » Léonard observe, Léonard écrit.

    « Ses premiers textes sont de simples marelles tracées à même le sol. Et ses premières interrogations concernent autant les figures du ciel que l’ombre des taillis. »

    Plus tard, « il décrira la complicité entre l’étang et la rivière, le rebond des cailloux en cercles concentriques… » De planche en planche, dessins et écrits organiseront le monde, monde observé et monde rêvé. Léonard « vivra ce que peu osent vivre grâce à des reflets que lui seul devine, grâce à cette encre exhalant une douce odeur de terre. » Ainsi naîtra le très fameux Codex Atlanticus qui rend compte de l’émerveillement toujours renouvelé de Léonard.

    De curieux petits dessins, schémas et cartes, réalisations de Valère-Marie Marchand, illustrent chaque chapitre. On y croise un nautile, un nymphéa, une felouque nazaréenne, la trirème d’Odysseus, chapiteaux et arches, médaillons et miroirs, graphiques et schémas — cycle de la vapeur d’eau et vue en coupe du torrent — cartes calquées sur les cartographies imaginaires… Autant d’images qui parlent à nos mémoires d’enfant, suscitent la curiosité en éveil : l’inventeur du Nilomètre et de « la harpe éolienne » hante-t-il toujours le détroit de Gibraltar ? D’aucuns le disent, qui prétendent avoir vu le spectre d’Athanasius Kircher « rejoindre les rivières souterraines qui relient les continents entre eux. » Les eaux du Léthé sont-elles vraiment « porteuses d’oubli », elles qui « s’évaporent au contact de l’air et passent d’une vie à l’autre sans qu’on s’en aperçoive » ? La mer de Téthys a-t-elle vraiment existé ? Qu’importe, si les hommes continuent de rêver « à ses parois abruptes, à ses falaises et à ses îlots cachés par l’abondance des herbes » ?

    Il faut lire ce petit livre magique. Qui offre une vision du monde élaborée et ludique. Savourer chaque récit. Jusque dans les chutes qui ouvrent sur une réflexion nouvelle, inattendue. Ainsi de Neptune, à qui nous devons sans doute « notre fascination pour les cartes de géographies et pour les lieux où nous n’irons jamais… » Et qui lègue à ses descendants « plus de parenthèses à vivre que d’invitations à conclure… ». Il faut suivre Valère-Marie Marchand dans ses pérégrinations de conteuse et recueillir derrière elle, comme autant de petits palets, les non-dits qui ponctuent ses rêveries lustrales. Le lecteur émerge de leurs rives ébloui et régénéré.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli







    Valère-Marie Marchand
    VALÈRE-MARIE MARCHAND


    Valère-Marie Marchand en bleu
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    ■ Valère-Marie Marchand
    sur Terres de femmes

    Le Grand Bleu (extrait de La Clef des rives)
    [C’est bien connu. Les livres naissent des arbres] (extrait du Premier Arbre)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions La Part Commune)
    une page sur La Clef des rives





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  • Valère-Marie Marchand | Le Grand Bleu



    Bleu -  ikb
    Source







    LE GRAND BLEU




    La galaxie du bleu se détecte à la flamme d’une bougie, dans les reflets du contre-jour ou en périphérie de quelques astéroïdes en chute libre… On situe la galaxie du bleu à des années lumières de toute pensée raisonnable, de préférence dans l’inconscient des enfants de tous âges et parmi les adultes qui cherchent encore une issue à la nuit. De sa nature et de son origine, on ne sait rien de plus si ce n’est qu’elle est peuplée de vestiges endormis. Ses rayonnements exerceraient une action positive sur les vases grecs, les poissons égyptiens, les paysages de Patinir et les pierres subaquatiques. Aux dernières nouvelles, la galaxie du bleu serait voisine de la nébuleuse d’Andromède, de la petite et de la grande Ourse, de la Croix du Sud et de quelques météores en vue. On la dit proche des substances solubles dans l’eau, des hydrocarbures aromatiques et responsable des phénomènes les plus divers comme la combustion des hydrates de carbone.

    À trop côtoyer les humains, la galaxie du bleu a fini par se confondre avec ce qu’elle est censée représenter. Aussi dit-on à son sujet tout et n’importe quoi. On lui prête des émanations soudaines, des silences et des liturgies d’un soir. On lui accorde des sentiments de joie ou de tristesse, des symboles et des propriétés à vocation lexicographique. On lui attribue une neutralité qui, toutes silhouettes confondues, uniformiserait, sur terre, les codes vestimentaires. Que restera-t-il de cette galaxie quand nous aurons rejoint la nuit noire ? Le souvenir d’un ciel sans nuage selon Émile Littré. Une larme d’espoir d’après Paul Éluard. Un idéal au-dessus de la moyenne si l’on en croit les hypothèses de Verlaine… Transparente et sereine, la galaxie du bleu convient bien aux aveugles que nous sommes. Incertaine et liquide, futile et souveraine, elle teinte notre ordinaire d’un peu d’outremer, de manganèse, de cobalt, de lait de chaux et de céruléum. Elle se révèle d’un éclat insondable pour peu qu’on s’intéresse à elle. Du bleu boréal au bleu chauffé à blanc, après tout, peu importe… Car c’est dans le creuset des mots, dans le secret de l’encrier que trébuchent nos ombres. Et c’est dans une chorégraphie d’abeille, entre consonnes et voyelles, que l’on se révèle parfois à soi-même.



    Valère-Marie Marchand, « II, Le Grand Bleu », Les Rives de l’éveil in La Clef des rives, Mythologies au fil de l’eau, La Part Commune, Rennes, 2014, pp. 12-13-14. Illustrations réalisées par l’auteur.







    Valère-Marie Marchand
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    Valère-Marie Marchand
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    ■ Valère-Marie Marchand
    sur Terres de femmes

    La Clef des rives (note de lecture d’AP)
    [C’est bien connu. Les livres naissent des arbres] (extrait du Premier Arbre)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Salon littéraire)
    une recension de La Clef des rives par Dominique Vergnon
    → (sur le site des éditions La Part Commune)
    une page sur La Clef des rives






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