Étiquette : Vases communicants


  • « Étranges dans cette ville étrange »

    [vases communicants avec Brigitte Célérier]




    Dans le cadre des Vases communicants, Terres de femmes accueille aujourd’hui, premier vendredi de ce mois d’octobre, Brigitte Célérier, l’animatrice de ces échanges et de Paumée (« Brigetoun »). J’aurais pu proposer à Brigitte un #Vasesco portant sur la Corse. Une évidence. Elle, née à Ajaccio, moi, née à Bastia. J’aurais pu. Mais mettre la fibre nostalgie à l’épreuve, non, je n’avais pas ce désir-là. J’ai choisi une terre différente [=>VOIR ICI]. Elle et moi en partage sur la thématique sensible et dérangeante de « l’autre ».

    Accueillir Brigitte Célérier m’impressionne. M’émeut. Je lui rends souvent visite, sans qu’elle s’en doute. Je pousse les « volets bleus », en silence. Je me faufile dans son ombre. Peur de la déranger. Peur de la faire sursauter. Peur de la distraire des menues occupations, gestes et tendresses qui guident ses jours. Je la sens proche, jusque dans son minimalisme, ses ruptures de tons, ses ruptures de phrases. Ses ellipses. Elle l’ignore peut-être, mais j’aime son écriture. Comme j’aime sa discrétion, sa modestie, cet art qu’elle a de ne pas faire de bruit, de se faire plus petite que ce qu’elle est réellement.

    Pour toutes les qualités que je lui trouve – courage, persévérance, un goût têtu de la vie –, accueillir cette grande dame de la toile m’apporte plaisir et émotion. Merci Brigitte.


    AP







    ÉTRANGES DANS CETTE VILLE ÉTRANGE





    Brigetoun 1






    Suis-je étrange dans cette ville étrange ?
    cette ville si grande, trop grande pour que je l’aie rêvée
    cette langue qui roucoule ou jappe, sans jamais être neutre et que je ne comprends pas
    Suis-je étrange dans cette ville étrange ?
    je rencontre des sourires, des gestes d’aides devant mon ignorance
    j’apprends les saluts, j’apprends les mets que je désigne du doigt, je tente de répéter, on me sourit.
    mais les hommes et femmes invisibles, qui sont les seuls à qui parler
    eux à qui on ne sourit pas, qui se cachent, comme ils le font dans mon pays.







    Brigetoun 2






    le français laborieux de la jeune femme de l’accueil à l’hôtel
    je dis bonjour, je dis buenos diaz, je dis ciao et puis je dis buongiorno, je dis bon dia, je dis good morning et je sais que c’est pas ça, je dis très vite et avec prononciation barbare, et puis je fais une grimace et j’écarte les mains
    je répète lentement le mot qu’il me fallait employer, j’essaierai de l’exhumer demain
    nous hochons la tête, avec petits rires confus
    Suis-je étrange dans cette ville étrange ?
    mais les hommes et femmes invisibles, qui sont les seuls à qui parler
    eux à qui on ne sourit pas, qui se cachent, comme ils le font dans mon pays.







    Brigetoun 3






    Suis-je étrange dans cette ville étrange ?
    les restaurants m’intimident, et l’ampleur des menus dont je ne comprends pas le sens
    j’ai marché jusqu’à trouver un marché, je m’y suis promenée,
    je me suis arrêtée devant l’opulence d’un étal de fruits et légumes, j’ai montré des abricots – chaude peau veloutée, lumière renfermée sur la chair gorgée de jus savoureux — j’ai levé six doigts
    une belle et grande main noire qui se tend, une voix à côté de moi qui demande en anglais, et puis en français : d’où tu viens ?
    il est grand, jeune, il porte une grande robe rouge sombre
    un immense gamin est un peu en retrait, en jean et tee-shirt blanc
    je dis : de France, et toi ? – il dit : Niamey, et puis : nous venons de Niamey.
    Étranges dans cette ville étrange
    il m’aide à payer, il achète des petites oranges, des abricots, aussi, il dit attends, et puis tu as faim ? et puis viens
    et nous marchons vers le fleuve, vers un banc, nous regardons l’eau, nous mangeons
    des gens passent derrière nous, complets-cravates, petites robes
    nous sommes invisibles et admis, mais les yeux du plus jeune se promènent, furtivement inquiets
    nous parlons lentement, de rien, il dit pourtant : lui il a peur, il n’a pas encore sa carte
    Joyeusement étranges dans cette ville étrange, mais ceux qui se cachent, comme ils le font dans mon pays.



    Brigitte Célérier
    D.R. Texte et photos Brigitte Célérier





    ______________________________________________
    NOTE : [Tiers Livre et Scriptopolis sont à l’initiative du projet de vases communicants : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… « Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre. ».
    La liste des participants se trouve ICI.]



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  • Florence Noël |
    [Donnez-nous des pierres] (Vases communicants)
    #vaseco




    Granit  ocre
    Ph., G.AdC






    [DONNEZ-NOUS DES PIERRES…]



    Donnez-nous des pierres…


    donnez-nous des pierres pour le repos,
    leur bogue de granit ocre
    connivente au cœur,
    en projection
    l’enlisement des silhouettes jetées, cassées dessus ces marches
    et toute l’aumône des
    mouvements d’hommes
    bordant nos peines comme fleuves équarris
    à grandes enjambées de désirs


    qu’on puisse mourir de la longueur d’un arbre
    ou de son vêt d’ombre
    jetés bas par le midi trop plein
    par la touffeur trop dense
    et quoi ?


    une main, simple,
    ses lignes en miroir des vôtres
    passerelle dessus
    cette cascade pierreuse
    une main simple
    lisse de vouloir
    escale d’un vivre encore
    est-ce trop pauvre monde
    est-ce trop ?




    Florence Noël





    VASES COMMUNICANTS


        Chaque premier vendredi du mois, dans le cadre de Vases communicants (un espace polyphonique transversal auquel François Bon via Tiers Livre et Scriptopolis de Jérôme Denis a donné la première impulsion en juillet 2009), des auteurs internautes procèdent à un échange de leurs espaces personnels (textes, photos, pensées,…) sur la Toile.

        Aujourd’hui, c’est avec grand bonheur que Terres de femmes accueille Florence Noël, éditrice de la revue DiptYque et « pythie » des « dits de la clepsydre » de Panta Rei. Le webmestre de TdF a transcrit et mis en page ci-dessus le magnifique texte (« Donnez-nous des pierres ») que Florence m’a fait parvenir ce matin, et sur lequel Guidu, mon fidèle photographe, a lui-même rebondi, par une évocation forte des « pierres de granit ocre » des torrents de la vallée du Cruzzini.

        Un de mes textes inédits (« Le brame de la Minotaure », incipit d’un texte en cours d’écriture) a tenu lieu de chjama (texte d’appel à la manière corse des Chjam’è rispondi). Ce texte a été mis en ligne ce jour sur Panta Rei. « Lignes en miroir » contrastées, mais complices, de la Belgique et de « l’île dans l’île » (Cap Corse). Merci à Florence pour sa « passerelle dessus ».

        Pour prendre connaissance de la liste des rendez-vous des Vases communicants de ce mois de juin, se rendre dans l’espace dédié de Brigitte Célérier, l’une des fidèles animatrices et figures de proue de ces échanges.

    A.P.





    FLORENCE NOËL


    Florence Noel






    ■ Florence Noël
    sur Terres de femmes


    un entretien avec Florence Noël
    Sarabande (extrait de Branche d’acacia brassée par le vent)
    Initiation au crépuscule
    [parler de soi] (poème extrait de L’Étrangère)
    L’Étrangère (lecture d’AP)
    Solombre (lecture d’AP)
    [tu dis c’est l’heure jaune] (extrait de Solombre)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    autant revivre en mon jardin






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