Étiquette : Vers les riveraines


  • Alain Freixe | [on serait à couvert sous les arbres]



    [ON SERAIT À COUVERT SOUS LES ARBRES]




    on serait
    à couvert sous les arbres
    dans un sous-bois
    où souriraient
    de sombres violettes



    soudain
    rompant le silence
    monterait le chant
    d’un oiseau inconnu
    passereau de l’âme
    un instant renouée



    ainsi passe le nom
    dans le vent implacable
    d’un regard d’encre
    parfum et musique
    voix silencieuse du poème




    Alain Freixe, « Vers les jours noirs » in Vers les riveraines, Éditions L’Amourier, Collection Fonds Poésie, 2013, page 107.








    Vers les riveraines







    ALAIN FREIXE


    Alain Freixe par Marc Monticelli





    ■ Alain Freixe
    sur Terres de femmes

    Vers les riveraines (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Vers les riveraines (lecture d’AP)
    À l’étrangère (autre extrait de Vers les riveraines)
    Bleu plié au noir
    Contre le désert (lecture de Michel Diaz)
    Contre le désert (lecture d’AP)
    Septième pas (extrait de Comme des pas qui s’éloignent)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de L’Amourier éditions)
    une page sur Vers les riveraines
    → (sur Terres de femmes)
    Alain Freixe & Raphaël Monticelli | Chère
    P/oésie, le blog d’Alain Freixe : La poésie et ses entours





    Retour au répertoire du numéro de décembre 2016
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Alain Freixe, Vers les riveraines

    par Angèle Paoli

    Alain Freixe, Vers les riveraines,
    Éditions L’Amourier, Collection Fonds Poésie, 2013.



    Lecture d’Angèle Paoli




    Ni rouge ni blanche mais rouge avec blanc et blanc avec rouge comme un rose
    On aimerait s’arrêter là,
    en apesanteur au-dessus du prisme vertigineux
    de la couleur.
    Image, G.AdC







    « CES LUEURS QUE DISSIPENT LES SOUFFLES »



    Qui sont-elles ces riveraines ? Longtemps le lecteur s’interroge pour poser un visage, un nom, sur celles qui donnent son titre au recueil d’Alain Freixe. Vers les riveraines. Longtemps le lecteur s’interroge pour comprendre par quels cheminements de mots le poète va passer pour les rejoindre. Happé par d’autres titres qui jalonnent l’œuvre d’Alain Freixe, on pense croiser au hasard des pages quelqu’une de ces « Dames de nuit » ou d’autres encore, momentanément échappées de Madame des villes, des champs et des forêts. Peut-être la « table » sur laquelle se clôt ce nouveau recueil poétique apportera-t-elle son lot d’indices ?

    Il y a bien, dans l’intitulé de la première section, l’idée d’un mouvement. Échappées réfractaires. Et avec le dernier, une direction. Qui n’est pas exactement un écho au titre du recueil mais le prolongement d’une itinérance, peut-être un aboutissement : Vers les jours noirs. Entre les deux cairns, trois étapes. Chacune introduite par un infinitif en « p », qui porte en lui les marques implicites d’une démarche à entreprendre pour lever les obstacles : « Parler/Porter/Parier ». Et trois noms qui accompagnent les verbes : « Morts/Temps/Dorveille ». À l’intérieur, la seule image de femme présente — par le titre — est celle de « l’étrangère ». Il faut donc s’immerger dans le recueil, alternance de fragments en prose et de poèmes, pour croiser, peut-être, en chemin de lecture, celles que le titre du recueil promet.

    Cela commence avec des murs. Des murs qui enserrent le monde. Monde fermé, pris en étau, barré, empêché. « Ici, on ne passe pas ». Encerclé, cerné. Partout les ombres de la mort tiennent prisonnier. Sous le boisseau, « dans la nuit du sens ». De sorte que la première tentation est celle de la recherche désespérée d’une issue. Qui dit mur dit brèche, faille, césure par où s’infiltrer pour retrouver l’air libre. « Par où passer ? » Le poète lui, cherche les fissures par où faire que les mots traversent. Meurtrières/Nuit/Noir. Qu’ils trouvent la faille pour des échappées, plus ou moins réussies, douloureuses, meurtries, cerclées de noir. Dès les fragments de la première section — « Échappées réfractaires » —, le ton est donné et la couleur dominante du recueil sera le noir. Le noir parsème le texte — vers et prose — de ses gemmes d’ombre. « Les veines du noir/Fichu noir/Virage au noir/Velours noir de la nuit… » Jusqu’au « silence noir de l’été »… Pourtant le livre est là, qui progresse vers. Et le lecteur est là, lui aussi, qui chemine dans le sillon du poète, dans son propre déchiffrage des énigmes. Solitaires l’un et l’autre sur « l’avancée des phrases ». Aux prises l’un et l’autre, dans un même partage, avec les mots du froid. Avec « le temps disjoint ».

    Avec le mot « temps » s’ouvre la brèche qui porte en elle deux questions, intensément chevillées l’une à l’autre :


    « Comment portez-vous le temps qui vous porte ? »

    « Comment parlez-vous des morts ? »


    Mot sésame, le temps pousse la porte de la première section : « Parler des morts ». Puis celle de la seconde section : « Porter le temps ». Image d’une circularité dont, semble-t-il, il soit impossible de sortir !

    Pour parler des morts, il faut d’abord parler de leur terre, du lieu qui recèle dans le silence et l’oubli, les noms effacés de ceux qui ont vécu là avant nous et dont nous portons le nom. Ce mystère. La terre du poète est celle d’un passé défunt. Un pays ancestral. Un village, son abbaye en ruine, des pierres abandonnées ou ruiniformes. Mais aussi « les eaux fatiguées d’un étang qui se ferme ». « Une odeur de terre et de soleil ». Une maison. Quelques images qui persistent encore à trouver leur place dans la mémoire. Celle d’un bleu écrasant des chaleurs de l’été, d’un olivier de Bohême dont le feuillage tremble sous le vent, d’un cheminement de femmes. Premières riveraines nouées au noir, déjà. Et vouées à l’oubli. D’autres viendront. La servante qui « veille », « en attente des souffles » ; les lavandières qui « étreignaient/dans les linges blancs/la poussière des jours » ; « la porteuse d’eau/et de lait » ; « Marie la noire… ». Puis, plus tard, dans le poème final « Vers les jours noirs », « la dame des jours noirs » dont le poète guette la venue. Silence. Sévérité. Feuilles mortes. Ombre. Douleur. Folie. Le poète traverse. Il est « l’homme qui passe ». Il passe dans cet oubli, parmi les tombes. « Dans l’impasse des noms. » « Nom de mort » que la « voix silencieuse du poème » ne parvient pas à exhumer. Muni de sa « lanterne des morts », le poète se livre à un long cheminement solitaire (il a abandonné le « nous » qui le liait à son lecteur) pour tenter de saisir ce que « l’autre côté » recèle. « J’ai écouté le vent/J’ai caressé le velours noir des nuits/J’ai cherché parmi les morts… ». Il a arpenté « les gorges obscures par où était passée la vie ». « Je marche parmi les os », écrit-il dans « La voix perdue des morts ». Il ne recueille sur son passage que squames de terre qui s’écorcent en lamelles successives de morts, effilochements d’histoire (souvenirs de la Grande Guerre), « images dépareillées ». Pareille au cyprès noir qui dresse sa silhouette et « se tait », la langue des morts est muette. Surgissent dans la langue d’autres « riveraines ». Avec les mots-stèles qui jalonnent la marche : tombes, croix, mousses, herbes, « pauvres et souveraines ». Autant de traces sur lesquelles trébuche le poète. Qui ne livrent des origines qu’une « fiction d’oubli ».

    Comment, dès lors, poursuivre ces errements ? Le temps n’est pas encore celui de la révélation. Il est celui de la quête. Délaissant la prose fragmentée, le poète se lance dans un long appel, scandé comme un chant qui étoile le silence. « Qui appeler » ? interroge le poème. Une voix survient qui accompagne celui qui déjà est rejoint par un âge avancé. Une voix intérieure dissuasive, qui murmure : « N’appelle pas la mort/n’appelle pas les morts ». Puis, plus loin : « ne poursuis rien/il n’y a rien au bout/invente donc/sans y croire/ce qui embellit/le gris du jour. » « Appelle les hommes »… Aucun espoir pour guider vers une autre lumière que celle du souterrain qui attend, « de l’autre côté du monde », que les chemins se referment sur celui qui s’avance. Pas même un cheveu d’or pour distraire un instant le poète de « ce noir humide » qui le guette. Les « musements » de Perceval ne lui sont pas d’un grand secours. « Une fois dépassé le rouge/et les bords couturés de neige », la vie va son chemin « sans nous ». La première section du recueil se referme et « personne n’est là/pour lever les yeux. »

    S’ouvre alors « Porter le temps ». Cet ensemble, qui alterne poèmes et fragments en prose, est inauguré par le poème dédié « À l’étrangère ». Les images sont là, identiques, obsédantes. Nuit, noir, caverne humide. Rien ne semble avoir changé, sinon le rapport au temps qui s’articule sur un mouvement de balancier « avant/après ».

    « Je vois des flammes/d’avant les flammes/se balancer » ; « J’entends une neige/d’après la neige/se perdre » ; « silence/d’avant tous les silences » ; « attente/d’après toutes les attentes »… Peut-être est-ce là, dans ces interstices d’un temps circulaire, qu’une lueur va pouvoir poindre ? Une lueur conduite par le mouvement de la main qui cherche dans le vertige de la spirale le point où s’originent les mots. Peut-être le poète retrouvera-t-il alors, l’espace d’un instant, « les restes de l’ombre/d’une robe rêvée rouge »… Pourtant, l’impuissance du poète demeure. « Les murs aveugles » restent sourds à la misère. Le poète a beau racler quelques mots, « nul futur n’arpente leur épaisseur ». L’ordre du chaos est inchangé et « la chute se poursuivait/dehors ».

    Le poète, lui, poursuit sa marche. Poursuit sa quête à travers mots. Écrire comme marcher, l’un et l’autre soudés dans la même fatigue, confrontés aux mêmes obstacles. Poursuivre malgré tout, « passer les ronces ». « Marcher vers cette soif qui renoue l’eau au corps qui l’aime. » Aller au-devant de soi, opter, enfin !, pour la légèreté :


    « Surtout ne pas peser. Suspendre ses pas, ses pensées du jour et ses mots de toujours. Ne rien faire. Laisser le soleil agir. Laisser transpirer la pierre et que le ciel boive son ombre. »


    Est-ce là une étape ? Une escale nouvelle où prendre appui pour d’autres dispositions, d’autres départs ?


    « J’avais désencombré un espace. Décidé à maintenir nue et propre la déchirure, cette porte du cœur. Par où passer pour d’autres voyages. »


    Le voilà parvenu au bord. Guidé par « l’oiseau du soir ». « Un oiseau troué d’air ». Avec lui, survient « le ciel sans trace. Sans plaie. Sans cicatrice ». Le voilà parvenu au bord de la « Dorveille ». Ce n’est pas que « la nuit souterraine » retienne désormais dans ses lacs, les images de « lune noire » et d’os blanchis par le temps. Ce n’est pas non plus que les mots aient enfin trouvé leur espace pour entourer la mort de davantage de douceur. C’est plutôt que l’état de demi-sommeil de Perceval gagne. Cet état hypnotique que le chevalier, dans l’expérience de son recueillement, a traversé. Voilà que les poèmes de cette section se teintent de l’empreinte du mythe gallois. Dans la lettre et dans l’esprit. Ainsi du poème « Rose couleur nouvelle » qui prend explicitement appui sur le récit de Chrétien de Troyes :


    « s’avancent un cheval

    et son cavalier

    sous un ciel laiteux

    déchiré par les ailes

    d’un vol d’oies sauvages

    que l’attaque d’un faucon

    rend erratique… »


    De ce « musement » ancré dans un récit qui habite le poète naît l’oubli et de l’oubli naît l’écriture. Celle-là même qui s’empare de la couleur et transforme l’apparition de « trois gouttes de sang » dans la neige en une vision qui transfigure le réel. Entraînant le poète dans un monde autre qui jusqu’alors lui demeurait inaccessible.


    « Couleur naturelle

    couleur nouvelle

    ni rouge ni blanche

    mais rouge avec blanc

    et blanc avec rouge

    comme un rose

    un rose incarnat

    mais de juxtaposition

    comme l’épaisseur d’un flux

    l’intensité de l’air traversé

    la profondeur d’un courant… »


    On aimerait s’arrêter là, en apesanteur au-dessus du prisme vertigineux de la couleur. Sur les bords du volcan des mots pris dans la fluidité de la matière. On aimerait, avec le poète, laisser filer l’oiseau « jusqu’au ciel/que ces ailes creusent/avant d’y disparaître. » Et, « dans le feu humide/des herbes du sommeil », saisir avec lui « ces lueurs que dissipent les souffles ».*



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    __________________________
    * in dédicace de l’auteur à A.P.








    Vers les riveraines







    ALAIN FREIXE


    Alain Freixe par Marc Monticelli





    ■ Alain Freixe
    sur Terres de femmes

    Vers les riveraines (lecture de Sylvie Fabre G.)
    À l’étrangère (extrait de Vers les riveraines)
    [on serait à couvert sous les arbres] (autre extrait de Vers les riveraines)
    Bleu plié au noir
    Contre le désert (lecture de Michel Diaz)
    Contre le désert (lecture d’AP)
    Septième pas (extrait de Comme des pas qui s’éloignent)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de L’Amourier éditions)
    une page sur Vers les riveraines
    → (sur Terres de femmes)
    Alain Freixe & Raphaël Monticelli | Chère
    P/oésie, le blog d’Alain Freixe : La poésie et ses entours
    → (sur Terres de femmes)
    Serge Bonnery et Alain Freixe, Les Blessures de Joë Bousquet, 1918-1939 (lecture d’AP)





    Retour au répertoire du numéro de décembre 2013
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’ index des « Lectures d’Angèle »

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Alain Freixe, Vers les riveraines

    par Sylvie Fabre G.

    Alain Freixe, Vers les riveraines,
    Éditions L’Amourier, Collection Fonds Poésie, 2013.



    Lecture de Sylvie Fabre G.



    Sur un fil de mots tendu entre lumière et nuit
    Ph., G.AdC







    CE QUELQUE CHOSE QUI APPELLE



    Si le langage échoue toujours à nommer ce quelque chose qui appelle par-dessus « les murs » du monde, il nous aide pourtant à mieux approcher ce que le regard nous en accorde et à toucher sa part d’inconnu. Car ce quelque chose, qui vient du monde et y retourne, parfois un bref instant nous en écarte. Et pour le dire, nulle voix autre que la nôtre qui reste une promesse à tenir. Vers les riveraines, le dernier livre d’Alain Freixe, paru aux Éditions L’Amourier cet automne 2013, le tente en frayant, en quatre étapes successives, un véritable parcours initiatique pour habiter le monde en ce « cœur d’absence » et dans les « merveilles » qu’il nous offre de la présence. Comme Rimbaud, le poète avance sur un fil de mots tendu entre lumière et nuit et, comme Perceval, il s’immobilise sur « l’autre versant » où s’oublier est « ne pas dire adieu ».

    Mais avant d’y parvenir, le chemin pour sortir du labyrinthe reste à accomplir. Dans le texte en prose liminaire, la personne employée par l’auteur est le « nous » réunissant significativement celui qui écrit et celui qui lit dans une même quête. « Quand le monde fait la roue entre torpeur et hypnose dans la nuit du sens », « que peuvent les mots ? », se (et nous) demande Alain Freixe, au seuil de son entreprise. La réponse est déjà une manière d’orientation. Les mots, assure-t-il, nous accordent une avancée « en enjambées risquées, courses poudreuses, écarts et pas » et « des échappées réfractaires ». Malgré leurs limites et nos incertitudes, ils peuvent donc nous aider à condition que nous soyons prêts à accomplir une traversée et à habiter l’intervalle. Pour aller avec eux « vers ces riveraines » que nous annonce le titre, deux nouvelles questions restent à se poser. Elles ferment l’invitation et ouvrent la voie à suivre. Elles sont cette fois-ci adressées au lecteur sur le ton de l’interpellation comme si le poète voulait l’entraîner à prendre conscience individuellement de son rapport au temps, et plus largement à celui de la vie et de la mort : « Comment portez-vous le temps qui vous porte ?// Comment parlez-vous des morts ? ».

    Ce « vous » nous convie donc au dialogue silencieux, impulsé par la parole poétique qui va suivre dans son alternance de proses ou de vers. Le retour sur soi rejette tout divertissement et abruptement nous confronte à la vérité de notre condition humaine. Le poète va s’employer lui-même dans les deux premières parties du livre à se placer face à l’énigme de l’homme en ce monde, en n’accordant aucune concession à la transcendance. Si ses mots « cherchent la brèche » et « traversent parfois », s’ils font passer « dans le vent implacable/d’un regard d’encre/parfum et musique/ », ils nous ramènent toujours à une expérience ancrée ici et ne nous promettent nulle autre demeure que le chant du poème, tel celui de l’oiseau « passereau de l’âme ». Ce chant, source d’un appel, est le fruit d’une habitation.

    Dans Parler des morts, première partie autobiographique, Alain Freixe effectue une remontée dans son propre passé à partir d’un pays natal, le pays catalan où il a vécu son enfance, où vit encore en partie sa famille et où leurs morts sont enterrés. Cette visite sur leurs traces se fait dans le souffle des vents, les « veines du noir », le bruit de la mer et sur fond de paysage à « l’olivier de Bohême » et de maisons éboulées. Lui-même est, comme tous les autres, « l’homme qui passe » « au nom envolé ». Il marche « parmi des os » et « des paroles lointaines » et écrit la « fiction d’oubli » dont il vient. De l’enfance, il ne reste à l’âge mûr déjà « envoûté d’hiver » que l’ombre et la solitude, que des cendres et « des paroles-gravats ». Le poète refuse la nostalgie pour penser les cœurs pétrifiés, la misère, le malheur ou décrire les figures tutélaires comme « Marie la noire /aux émois », toutes les femmes qui saignent, sorcières ou mères. Le long poème lyrique, Qui appeler, construit sur une série d’images et d’anaphores, se termine sur le constat du vide, et l’ensemble de la seconde partie sur celui de « personne n’est là ». Il faut bien alors seul « porter le temps » et espérer comme Apollinaire « que tombe la neige » et la misère, et que vienne, « perdue derrière ses cheveux noirs, une femme » ou « quelque chose » pour que s’arrête la chute. Retrouver un visage, marcher pour rencontrer l’inconnu devant soi, même si nous sommes sûrs de la perte. Il n’y a « pas de paradis », nous dit le poète, mais il y a peut-être une « passerelle de lumière au-dessus du vide » et sûrement « un homme qui-cherche-à-voir » et écrire.

    De cet espoir et de sa soif, mais aussi de la blessure et de la fente, de l’espace désencombré de l’enfance et des morts, du voyage entrepris dans la vie « disjointe », la troisième et la quatrième partie du recueil nous montrent ce qui naît : un pari pour « la dorveille ». Après Le baiser du noir, c’est contempler et accueillir, donner une place à ce qui surgit de la présence et dans la présence. C’est entrer dans la couleur « ni rouge ni blanche » mais « rose, couleur nouvelle » et, à la manière de Perceval, ouvrir un instant la clôture du temps pour pénétrer le perdu. Les deux grands poèmes qui constituent la troisième partie, en vers libres, au présent, au futur et au conditionnel, unissent, dans cette expérience, le passé au devenir, mêlent le vécu et le rêvé dans un même élan lyrique.

    L’hymne à la nuit de la dernière partie, Vers les jours noirs, est le point d’orgue où la voix du « on » résonne avec le « nous » du texte liminaire. Élargissant le singulier à l’universel, reliant le silence à la parole, elle va rejoindre le chant. Ce chant, qui a pour nom Poésie, redonne un nom à « l’homme au nom envolé ». Et, avec lui, à tous ceux qui l’accompagnent dans l’écriture du passage.


    Sylvie Fabre G.
    D.R. Texte Sylvie Fabre G.







    Vers les riveraines







    ALAIN FREIXE


    Alain Freixe par Marc Monticelli





    ■ Alain Freixe
    sur Terres de femmes


    Vers les riveraines (lecture d’AP)
    À l’étrangère (extrait de Vers les riveraines)
    [on serait à couvert sous les arbres] (autre extrait de Vers les riveraines)
    Bleu plié au noir
    Contre le désert (lecture de Michel Diaz)
    Contre le désert (lecture d’AP)
    Septième pas (extrait de Comme des pas qui s’éloignent)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de L’Amourier éditions)
    une page sur Vers les riveraines
    → (sur Terres de femmes)
    Alain Freixe & Raphaël Monticelli | Chère
    P/oésie, le blog d’Alain Freixe : La poésie et ses entours
    → (sur Terres de femmes)
    Serge Bonnery et Alain Freixe, Les Blessures de Joë Bousquet, 1918-1939 (lecture d’AP)




    ■ Autres lectures de Sylvie Fabre G.
    sur Terres de femmes


    Jean-Pierre Chambon, Le Petit Livre amer
    Jean-Pierre Chambon, Tout venant
    Patricia Cottron-Daubigné, Visage roman
    Pierre Dhainaut, Après
    Ludovic Degroote, Un petit viol, Un autre petit viol
    Luce Guilbaud, Demain l’instant du large
    Emmanuel Merle, Ici en exil
    Emmanuel Merle & Thierry Renard, La Chance d’un autre jour, Conversation
    Angèle Paoli, Lauzes
    Pierre Péju, Enfance obscure
    Pierre Péju, L’État du ciel
    Didier Pobel, Un beau soir l’avenir
    Erwann Rougé, Passerelle, Carnet de mer
    Fabio Scotto, La Peau de l’eau
    Roselyne Sibille, Entre les braises
    Une terre commune, deux voyages (Tourbe d’Emmanuel Merle et La Pierre à 3 visages de François Rannou)





    Retour au répertoire du numéro de décembre 2013
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Alain Freixe | À l’étrangère



    Une robe rêvée rouge avec dans l'oil ma lumière d'hier quand il faisait noir
    Ph., G.AdC







    À L’ÉTRANGÈRE



    une nuit toujours rôde
    par les terres du jour
    une obscurité fantôme
    un sombre cadencé
    un noir de sous terre
    couleur de caverne humide


    où je vois des flammes
    d’avant les flammes
    se balancer
    où j’entends une neige
    d ’après la neige
    se perdre


    c’est là
    comme un printemps
    suspendu
    dans mes yeux
    ouverts pour ne pas voir
    pour tracer
    cette lueur
    qui sous mes doigts
    entre mes mots
    commence


    silence
    d’avant tous les silences
    attente
    d’après toutes les attentes
    qui va au rythme
    de la main
    des lignes
    des images qui tournent
    de la spirale qui refuse
    de rendre au temps
    ses origines


    à remonter ce désordre
    on sent l’air
    une fraîcheur de pente
    qui s’impatiente


    le jour
    se prendra-t-il
    à ce fil
    de clarté
    sans bord






    plus tard
    quand il sera l’heure
    de retourner
    aux assiettes
    entrebâillées sur les noms
    aux verres
    à vider sous les images
    aux piqûres
    de lumière pour le sang
    aux buées sur la vitre
    au monde
    à son tournis
    sans autre visage
    que celui de cette toupie
    qui hoquette
    au milieu d’une rue
    entre les flaques
    et le ciel

    je chercherai l’enfant
    sur l’asphalte
    où traînent
    les restes de l’ombre
    d’une robe rêvée rouge
    avec dans l’œil
    ma lumière d’hier
    quand il faisait noir




    Alain Freixe, « Porter le temps » in Vers les riveraines, Éditions de L’Amourier, Collection Fonds Poésie, 2013, pp. 51-52-53-54.







    ALAIN FREIXE


    Alain Freixe par Marc Monticelli





    ■ Alain Freixe
    sur Terres de femmes

    Vers les riveraines (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Vers les riveraines (lecture d’AP)
    [on serait à couvert sous les arbres] (autre extrait de Vers les riveraines)
    Bleu plié au noir
    Contre le désert (lecture de Michel Diaz)
    Contre le désert (lecture d’AP)
    Septième pas (extrait de Comme des pas qui s’éloignent)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de L’Amourier éditions)
    une page sur Vers les riveraines
    → (sur Terres de femmes)
    Alain Freixe & Raphaël Monticelli | Chère
    P/oésie, le blog d’Alain Freixe : La poésie et ses entours
    → (sur Terres de femmes)
    Serge Bonnery et Alain Freixe, Les Blessures de Joë Bousquet, 1918-1939 (lecture d’AP)





    Retour au répertoire du numéro d’ octobre 2013
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes