Étiquette : Virginia Woolf


  • Nancy Cunard | [See now these berries dark]



    [SEE NOW THESE BERRIES DARK]




    See now these berries dark along the hedge
    Hard as black withered blood drawn long ago
    Whose sap is frozen dry; a windy sedge
    Hides field from ashen field, pale lapwings go
    Whining above the heath, and floods are out
    Over the meadows clasped in frigid lace
    Of wintry avenues, ringed and fenced about –
    His life is a place like this, just such a place.
    For him no house, but only empty halls
    To fill with strangers’ voices and short grace
    Of passing laughter, while the shadows’ lace
    Creeps from the fire along dismantled walls,
    Uncertain tapestry of altering moods—
    Only the sunset’s hour, the solitudes
    Of sea and sky, the rain come with the spring;
    Dark winds that gnarl the olive trees, and moan
    Against the shuttered brain that thrills alone
    Each night more racked by its adventuring.




    Nancy Cunard, Parallax [printed and published by Leonard and Virginia Woolf’s Hogarth Press, London, 1925. First edition].






    Nancy Cunard  Parallax







    [VOYEZ CES BAIES SOMBRES]




    Voyez ces baies sombres le long de la haie,
    Dures comme du vieux sang noir tiré il y a longtemps,
    À la sève gelée desséchée ; le carex agité par le vent
    Cache la terre du champ couleur de cendre, de pâles vanneaux
    Survolent la lande en geignant, et l’eau inonde
    Les prairies corsetées dans une dentelle glaciale
    D’avenues hivernales, entourées, clôturées—
    Sa vie ressemble à cela, précisément à cet endroit-là.
    Pour lui, pas de maisons, juste des salles vides
    À remplir avec des voix étrangères, et la grâce éphémère
    D’un éclat de rire, tandis que la dentelle des ombres
    Surgies du feu se répand sur les murs effondrés,
    Tapisserie hasardeuse d’humeurs changeantes—
    Rien que l’heure du couchant, les solitudes
    De la mer et du ciel, la pluie qu’apporte le printemps ;
    Des vents sombres qui nouent les oliviers, et heurtent
    En gémissant les volets du cerveau qui tressaille,
    Chaque soir plus taraudé par les risques auxquels il s’expose.



    Nancy Cunard, Parallaxe, suivie de poèmes extraits de Hors-la-loi et Sublunaire, Les Nouvelles Éditions Jean-Michel Place, Collection Or-la-loi, octobre 2016, page 39. Traduction de Dorothée Zumstein. In Les Carnets d’Eucharis, mars 2018, page 82.






    Nancy Cunard  Parallaxe






    NANCY CUNARD



    Nancy Cunard portrait
    Source




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur CCP, Cahier critique de poésie)
    une note de lecture de Patrice Corbin sur Parallaxe




    ■ Voir encore ▼

    le site des Carnets d’Eucharis



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  • 21 décembre 1917 |
    Lettre de Lytton Strachey à Virginia Woolf

    Éphéméride culturelle à rebours



    Lytton Strachey
    Source



    The Mill House
    Tidmarsh
    Pangbourne
    21 décembre 1917




    Pourrais-tu l’un de ces jours expédier le
    Général1 à cette adresse ?
    Ce n’est pas pressé.



    Me voici installé et au trente-sixième dessous. La nature est transformée en croûte, les « conduits » sont gelés, et il fait si froid que des glaçons coulent de mon nez (pour ne rien dire des autres parties de mon anatomie). Ma compagne… mais voilà que le dégel a commencé, de sorte que les « conduits » (de quoi peut-il bien s’agir ?) vont sans doute éclater et nous apporter le déluge ; mais passons. Ma compagne, disais-je, se tient chaud en déballant les paquets, en peignant, en élaguant la vigne vierge, en plantant des clous, etc.

    Demain soir [(?) James et] Alix arrivent… que [vont] – ils faire, je suis en peine de l’imaginer [illisible], etc. J’essaie de me consoler avec les lettres de la reine Victoria… mais je préfèrerais les tiennes. Je t’en prie, écris. Je reste ici pour encore au moins une semaine ; pour le nouvel an, sans doute suis-je condamné à Garsington ; après, retour ici. Je continue à croire que je pourrai travailler dans cette retraite, quand tous les clous auront été plantés. Nous verrons.

    Tu as certainement reçu Ad Familiares2. Bonté divine ! Quel… mais tout brillant commentaire est superflu, et puis, ton indiscrétion bien connue… Je réserve mes commentaires. Mais comment est-on censé répondre ? J’aimerais bien avoir un petit conseil. Autrement, « Le Bougre Marié »3 ferait peut-être un bon titre.

    Veux-tu bien dire à Léonard que je suis vraiment désolé de n’avoir pu rendre visite à Philip4. J’avais très peu de matinées, et elles étaient toutes prises. Je suis très content qu’il aime Gordon. L’as-tu déjà lu ? Ma crainte est qu’il puisse être emphatique par endroits. Le penses-tu ? Il y a des passages où les adjectifs se pressent un peu trop, et le style, lui, est trop dense tout du long – si tu remarquais des choses de cet ordre, des modifications sont encore possibles. Ou bien autre chose encore. Tu vois [il y a quantité de sujets] sur lesquels m’écrire, il faut vraiment que tu le fasses. C’ [est (mots illisibles)] de communiquer si rarement avec toi ; mais à mon avis, cette façon de faire vaut encore mieux que rien.

    Qui séjourne chez [vous] ? Subissez-vous également le froid et l’humidité ? Ou bien essaieras-tu de me persuader que le soleil brille sur vos collines ? Tu ne me feras pas croire ça. Je suppose que tu vas voir Nessa et Duncan, avec Maynard en extra, qui cadre à merveille dans le tableau. Ah, Grand Dieu ! Je dodeline de la tête devant le feu tandis qu’elle coud une pièce au tapis avec une application… Ah, la vie ! À chaque minute qui passe, elle m’étonne un peu plus.


    Ton     
    Lytton



    [L’original est très endommagé par des traces d’humidité et illisible par endroits.]




    Virginia Woolf — Lytton Strachey, Correspondance, Le Promeneur, Éditions Gallimard, 2009, pp. 91-92. Édition de Leonard Woolf et James Strachey. Traduite de l’anglais, complétée et annotée par Lionel Leforestier.







    Lytton - Woolf
    Source





    __________________________________
    1. Le tapuscrit de « La fin du général Gordon » que Lytton avait apporté à Richmond, en visite chez les Woolf, le 9 décembre.
    2. Le recueil de poèmes que venait de publier Clive Bell.
    3. Lytton écrivait une courte pièce destinée à être jouée par Lala Vandervelde (l’épouse de l’homme politique belge Émile Vandervelde) et St.John Hutchinson lors d’un gala de charité ; il substitua finalement au Bougre Marié, représentation burlesque de son ménage avec Carrington, Quasheemaboo ou le Noble Sauvage.
    4. Philip Woolf (1889-1965), le plus jeune des cinq frères de Leonard, il servait dans les Royal Hussards, et venait d’être rapatrié après avoir été blessé à la bataille de Cambrai (par le même obus qui coûta la vie à son frère Cecil).





    VIRGINIA WOOLF



    Woolf
    Image, G.AdC



    ■ Virginia Woolf
    sur Terres de femmes

    25 janvier 1882 | Naissance de Virginia Woolf
    14 décembre 1922 | Première rencontre Virginia Woolf-Vita Sackville-West
    18 février 1927 | Lettre de Virginia Woolf à Vita Sackville-West
    5 mai 1927 | Virginia Woolf, La Promenade au phare
    11 septembre 1940 | Virginia Woolf, Journal d’un écrivain
    28 mars 1941 | Mort de Virginia Woolf
    21 septembre 1993 | Orlando de Virginia Woolf, au Théâtre de L’Odéon
    Sombrer dans le bleu (note de lecture sur Le temps passe)
    Virginia, lectures croisées



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur BiblioObs)
    une note de lecture sur la Correspondance Virginia Woolf — Lytton Strachey publiée par Le Promeneur
    → la voix de Virginia Woolf
    => ICI (document BBC Four du 29 avril 1937). Document d’archives également accessible sur YouTube





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  • 14 décembre 1922 |
    Première rencontre Virginia Woolf-Vita Sackville-West

    Éphéméride culturelle à rebours



         Le 14 décembre 1922, à Londres, Virginia Woolf rencontre pour la première fois Vita Sackville-West. Au cours d’un dîner organisé par le critique d’art Clive Bell, époux de Vanessa Stephen, sœur ainée de Virginia.






    Woolf604
    Crédits photo : Virginia Woolf et Vita Sackville-West
    Editions Stock-La Cosmopolite
    Source






    EXTRAIT I


        « Elles avaient beaucoup de choses en commun, mais elles se séparaient sur davantage de points encore. L’important, toutefois, et cela continuerait à l’être au cours des années à venir, était que chacune d’elles était en possession de quelque chose dont l’autre s’estimait frustrée. Vita enviait la position d’écrivain de Virginia, et Virginia était fascinée et intimidée par Vita en tant que femme. Dans cette femme Virginia allait trouver une mère vigoureuse, et dans l’écrivain Vita allait trouver une enfant qui aurait besoin d’elle. C’était là un début de bon augure […]
        À l’époque où elle fit la connaissance de Vita, en décembre 1922, Virginia Woolf avait survécu à trois crises majeures d’aliénation mentale et avait publié trois romans. Elle était âgée de quarante ans et avait atteint, comme écrivain, le stade de la notoriété, mais elle n’avait pas encore obtenu de succès commercial. Alors que, dès 1922, Vita avait déjà publié plusieurs volumes de poésie et de fiction et était un auteur à la réputation bien assise. Âgée de trente ans, elle était de dix années la cadette de Virginia.
        Le lendemain de leur première rencontre le 14 décembre, Virginia nota dans son journal qu’elle avait fait la connaissance de « la belle aristocrate Sackville-West… Pas tellement à mon goût le plus strict… elle a la souple aisance de l’aristocratie, mais pas l’esprit de l’artiste. Elle écrit 15 pages par jour – vient d’achever un nouveau livre ― est publiée chez Heinemann ― connaît tout le monde ― mais pourrai-je jamais la connaître ? »


    Vita Sackville-West/Virginia Woolf, Correspondance, Nouveau Cabinet Cosmopolite, Stock, 1985, pp. 28-29 ; 36.






    EXTRAIT II


        « Elles n’en vinrent jamais à se démasquer réciproquement, mais elles s’inventèrent l’une l’autre. Ces deux femmes étaient des écrivains professionnels. Chacune attribua à l’autre, et à soi-même, un rôle théâtral. Virginia posait les règles et Vita en rajoutait. Vita était la mère, Virginia l’enfant. Virginia était le feu follet, la malade, la vierge fragile, la « gosse des rues », la « mioche », la puritaine, l’intellectuelle à l’œil acéré et « aux amis intelligents », l’oratrice, le bel esprit. Vita était la voyageuse aventureuse, fortunée, souple, luxueuse, haute en couleur, ténébreuse, fruitée, enflammée, passionnée, mais aussi, l’« âne », l’imbécile. Virginia avait la tête, Vita avait les jambes.
        Leur intimité naquit de ces personnages caricaturaux qu’elles imaginèrent l’une pour l’autre. Mais les malentendus furent nombreux. De toutes ses amitiés intimes, c’est avec Vita que Virginia comprit combien nous savons peu des gens dont nous sommes les plus proches :

        Je suis si ordonnée, n’est-ce pas ? Je voudrais que vous puissiez vivre dans mon cerveau pendant une semaine. Il est balayé par les vagues d’émotion les plus violentes. À quel propos ? Je ne sais pas. Cela commence au réveil, et je ne sais jamais à quoi m’attendre : serai-je heureuse ? Serai-je malheureuse ? J’admets que je conserve une activité mécanique pour les mains, je compose des pages à imprimer, je commande le dîner. Sans cela, je ruminerais sans cesse. Et vous pensez que tout est fixé et réglé. Ne connaissons-nous donc personne ? Seulement nos propres versions des gens, qui ne sont sans doute que des émanations de notre propre personnalité. (Virginia Woolf à Vita Sackville-West, 01-05-1926)

        Ce texte est l’un des plus révélateurs qu’elle ait jamais adressé à quiconque ; elle y affirme l’impossibilité de toute intimité.


    Hermione Lee, Virginia Woolf ou l’aventure intérieure, biographie, Éditions Autrement Littératures, 2000, pp. 640-641.





    VIRGINIA WOOLF


    Virginia Woolf  Photo  Gr-goire Alexandre




    ■ Virginia Woolf
    sur Terres de femmes

    25 janvier 1882 | Naissance de Virginia Woolf
    21 décembre 1917 | Lettre de Lytton Strachey à Virginia Woolf
    18 février 1927 | Lettre de Virginia Woolf à Vita Sackville-West
    5 mai 1927 | Virginia Woolf, La Promenade au phare
    11 septembre 1940 | Virginia Woolf, Journal d’un écrivain
    28 mars 1941 | Mort de Virginia Woolf
    21 septembre 1993 | Orlando de Virginia Woolf, au Théâtre de L’Odéon
    Flush (note de lecture)
    Sombrer dans le bleu (note de lecture sur Le temps passe)
    Virginia, lectures croisées



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → la voix de Virginia Woolf
    => ICI (document BBC Four du 29 avril 1937). Document d’archives également accessible sur YouTube
    → (sur YouTube)
    Patti Smith lisant des extraits de The Waves de Virginia Woolf, accompagnée au piano par sa fille Jesse (soirée du 28 mars 2008 à la Fondation Cartier, jour-anniversaire de la mort de Virginia Woolf)




    VITA SACKVILLE-WEST


    Vita_sackville-west (1)
    Source



    ■ Vita Sackville-West
    sur Terres de femmes

    26 juin 1926 | Lettre de Vita Sackville-West à Harold Nicolson
    9 février 1927 | Lettre de Vita Sackville-West à Virginia Woolf
    21 septembre 1993 | Orlando de Virginia Woolf, au Théâtre de L’Odéon





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  • 6 mars 1806 | Naissance d’Elizabeth Barrett Browning

    Éphéméride culturelle à rebours



    Portrait de Elisabeth Barrett Browning
    Image, G.AdC






        Le 6 mars 1806 naît à Coxhoe Hall, dans le comté de Durham, Elizabeth Barrett, aînée de onze enfants. Issue d’une famille très aisée, Elizabeth Barrett, de santé fragile, est fascinée par le grec auquel elle est initiée dès l’enfance. En 1820, Elizabeth fait paraître, dans une édition privée, The Battle of Marathon. Elle s’affronte à Eschyle, poète grec qui aura sur elle une grande influence et la conduira à traduire puis à publier, en 1833, Prométhée enchaîné. Elizabeth qui pratique, outre le grec, plusieurs langues — l’italien, le français, l’espagnol, l’allemand et l’hébreu, a également une vaste culture poétique. « J’ai travaillé sur la poésie — elle n’a pas été pour moi une rêverie, mais un art. De même que le médecin et l’avocat approfondissent leurs métiers respectifs, je me suis appliquée et m’applique au mien », écrit-elle dans une lettre.
        L’année 1835 est une année riche pour la jeune poète qui s’engage dans la vie littéraire. Elle rencontre William Wordsworth et Walter Savage Landor. La même année elle lit Paracelsus. Un dialogue philosophique en vers entre l’amour et la science signé Robert Browning.
        En 1838, la publication de The Seraphim and Other Poems (Les Séraphins et autres poèmes) confirme sa notoriété qui s’étend jusqu’en Amérique. La mort accidentelle (par noyade) de son frère Edward affecte profondément Elizabeth, qui se sent coupable de cette mort. Cette disparition accentue encore sa vie de recluse et la poète sombre dans la dépression. Elle se soigne à l’opium.
        L’arrivée de Flush, l’épagneul que lui offre Mary Mitford, l’oblige à renouer avec la vie. Elle reprend pied, noue des correspondances avec des gens de lettres, dont George Sand et Balzac. En 1842, elle publie des articles sur les poètes grecs chrétiens. La publication en 1845 de ses Poems lui vaut les hommages d’Edgar Poe qui rédigera la préface de l’édition américaine. La même année, Robert Browning et Elizabeth Barrett se lancent ensemble dans une vaste correspondance. Elizabeth écrit en secret des « sonnets d’amour », les Love Poems. Toujours en secret, les deux poètes se marient le 12 septembre 1846 à l’église de Marylebone.
        Les Browning partent en Italie avec Flush. Le couple s’établit à Florence où Elizabeth vivra le reste de ses jours dans un « suprême bonheur ». En 1849, année de la naissance de leur fils, Elizabeth révèlera à son mari l’existence des Sonnets. Ils seront publiés en 1850 sous le titre de Sonnets Portugais.






    EXTRAIT DE FLUSH : UNE BIOGRAPHIE (VIRGINIA WOOLF)


        Le 21, Flush connut que le jour était venu. Car ce mardi 21 mai, Miss Barrett scruta son image dans la glace ; se drapa méticuleusement — pour quelle parade ? — de ses plus beaux châles des Indes ; ordonna à Wilson d’approcher le fauteuil — pas trop près, cependant ; toucha ceci, cela, autre chose ; puis demeura assise, très droite, au milieu de ses coussins. Flush se lova le plus près possible à ses pieds. Seuls et ensemble ils attendirent. À la fin, l’horloge de Marylebone Church frappa deux coups. Ils attendirent encore. Puis l’horloge de Marylebone Church frappa un seul coup — il était deux heures et demie. À l’instant où le son s’évanouit dans l’air, une main énergique fit retentir le marteau de la porte. Miss Barrett pâlit et demeura parfaitement immobile. Flush garda la même immobilité. Dans l’escalier montait le pas, le redouté, l’inexorable ; dans l’escalier (sut Flush) montait, enveloppé dans sa cape, sinistre, le personnage de minuit — l’homme au capuchon. Sa main se posa sur la porte, tourna le bouton — et voici :
        « Mr. Browning », dit Wilson.
        Flush qui regardait Miss Barrett vit la rougeur, d’un coup, envahir son visage ; il vit ses yeux briller, ses lèvres s’entrouvrir.
        « Mr. Browning ! » s’écria-t-elle.
        Tordant ses gants jaunes et clignant des yeux, superbe, bouchonné, maître de lui, abrupt, Mr. Browning à grands pas s’avança dans la pièce. Il saisit la main de Miss Barrett et se laissa tomber dans le fauteuil à côté du sofa. Aussitôt la conversation s’engagea.
        Le plus horrible pour Flush, tandis qu’ils parlaient, était sa solitude. Il avait senti autrefois que lui et Miss Barrett vivaient dans une grotte éclairée par un feu. Le feu ne brûlait plus ; la grotte était humide et sombre ; et Miss Barrett n’était plus là. Flush jeta un regard autour de lui. Tout était changé. La bibliothèque, les cinq bustes avaient cessé d’être des dieux amis présidant bénévolement à leur existence commune ; ils étaient devenus hostiles et rogues. Flush s’agita aux pieds de Miss Barrett. Elle n’y prit pas garde. Il gémit. On ne l’entendit même pas. Alors il s’abîma dans un muet désespoir.


    Virginia Woolf, Flush : une biographie, Éditions Le Bruit du temps, 2010, pp. 74-75-76.





    ELIZABETH BARRETT BROWNING


    Elizabeth-barrett-browning



    ■ Elizabeth Barrett Browning
    sur Terres de femmes

    I think of thee (Sonnets portugais)


    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terres de femmes)
    Virginia Woolf, Flush (note de lecture)
    → (sur le site de l’éditeur Le Bruit du temps)
    une page consacrée aux Sonnets portugais (revue de presse)





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  • 9 février 1927 | Lettre de Vita Sackville-West à Virginia Woolf

    Éphéméride culturelle à rebours



    Midi  le canon  les muezzins lachant leur plainte dans la rue
    Source






    Téhéran
    9 février [1927]


        Ma chérie, je ne sais vraiment comment faire pour t’écrire, tout est si confus, si einsteinien, un état que je ne puis jamais espérer te communiquer, je n’essaierai donc pas. Quoi qu’il en soit, je suis là. J’ai franchi ces montagnes familières et j’ai traversé cette familière plaine ― et il m’a semblé, dès le début, que je n’en étais jamais partie. Mon esprit s’est adapté instantanément aux proportions et à la forme, à l’odeur et à la couleur, de la Perse ; comme si chaque pièce s’enclenchait dans son engrenage. De telle sorte que je ne sais plus si l’Angleterre elle-même ne semble être qu’un point sur la carte, uniquement peuplé de trois ou quatre personnages de taille normale, ce qui les fait paraître incongrûment vastes étant donné l’île minuscule sur laquelle se situe leur existence. Mais, à mon sens, c’est comme cela que les choses doivent être : les sites rapetissent, mais les humains sont stables.
        Au moment où nous arrivions, nous avons commencé à parler des modalités du retour. Un instant notre expédition dans les montagnes [des Bakhtiaris] sembla être en péril, mais à présent tout est rétabli ; à un autre moment il a paru probable que nous reviendrions par Constantinople et Athènes, par voie de mer, et c’est alors que, dans cette hypothèse, j’ai formé le projet vertigineux de te retrouver là ; mais aujourd’hui c’est abandonné. Te serais-tu ralliée à ce plan ? (en admettant toujours que tu aies choisi la Grèce à la place de l’Amérique), serais-tu montée à bord au Pirée pour me trouver en train de t’attendre en haut de la passerelle ? Nous serions alors revenues ensemble par les mers de la Grèce, ce qui, je le suppose, m’aurait complètement déboussolée. La Grèce, avec toi ― en mai […]
        Mais ce qui est vraiment bizarre, c’est que je sois là devant la même table à t’écrire exactement comme j’avais l’habitude de le faire l’an dernier, avec le même soleil qui m’inonde à travers les feuilles des platanes, et que j’éprouve à nouveau la même sensation d’impuissance désespérée, voyager étant, comme tu le sais très bien, le plus intime des plaisirs. Et ton atelier me semble tellement plus réel que n’importe quoi d’autre, ainsi que toi, me faisant des signes d’adieu sur le seuil de ta porte. Oh, comme j’aimerais que tu m’expliques la vie, de façon que je puisse la percevoir avec fermeté et dans son intégralité, je ne me rappelle plus très bien les termes de la citation. À mesure que je prends de l’âge l’existence m’apparaît comme de plus en plus déconcertante. Je vais lire les mémoires de Gide et voir si cela m’est de quelque utilité […]
        Midi : le canon : les muezzins lâchant leur plainte dans la rue : le soleil : un petit air de flûte montant d’un vendeur d’oranges ― Te souviens-tu de m’avoir écrit d’Espagne, il y a bien des années, au sujet d’une procession religieuse ? Comme je suis heureuse que tu existes !

    Ta
    V.


    Vita Sackville-West | Virginia Woolf, Correspondance, Nouveau Cabinet Cosmopolite, Éditions Stock, 1985, pp. 218-220.




    ________________________________________________________
    NOTE d’AP : la Correspondance entre Vita Sackville-West et Virginia Woolf a été rééditée chez Stock en novembre 2010, et en collection de poche en mai 2013.





    Correspondance Vita Virginia
    VITA SACKVILLE-WEST


    Vita_sackville-west (1)
    Source



    ■ Vita Sackville-West
    sur Terres de femmes

    14 décembre 1922 | Première rencontre Virginia Woolf-Vita Sackville-West
    26 juin 1926 | Lettre de Vita Sackville-West à Harold Nicolson (+ extrait d’Orlando)
    18 février 1927 | Lettre de Virginia Woolf à Vita Sackville-West
    21 septembre 1993 | Orlando de Virginia Woolf, au Théâtre de L’Odéon


    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur YouTube)
    Vita Sackville-West reads from her poem The Land





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  • Virginia Woolf | Sombrer dans le bleu

    Virginia Woolf, Le temps passe [Times passes, 1926],
    Le Bruit du temps, 2010. Édition bilingue.
    Traduction de l’anglais par Charles Mauron.
    Postface de James M. Haule.



    Lecture d’Angèle Paoli


    Je n'arrive pas à ce que je veux. J'en suis au passage le plus difficile, le plus abstrait.
    Ph., G.AdC






    SOMBRER DANS LE BLEU



        Dans une lettre du 30 avril 1926, Virginia Woolf écrit : « Hier j’ai fini la première partie de La Promenade au phare et j’ai commencé la seconde aujourd’hui. Je n’arrive pas à ce que je veux. J’en suis au passage le plus difficile, le plus abstrait. Je dois exprimer une maison vide ; pas de personnages humains, le passage du temps, tout cela sans yeux, sans traits, et rien à quoi se raccrocher ; eh bien je m’y précipite et tout aussitôt je noircis deux pages. » *

         Ce « passage le plus difficile, le plus abstrait », cette partie médiane du roman dans lequel Virginia Woolf vient de s’engouffrer, un an après la publication de Mrs. Dalloway, c’est Le temps passe. Achevé en mai 1926 et considéré par l’auteur de La Promenade au phare comme une nouvelle à part entière, le récit en neuf chapitres du Temps passe a été traduit pour la première fois en français par Charles Mauron, et publié dans le Cahier X daté « Hiver 1926 » de la revue Commerce (revue littéraire fondée en 1924 par la Princesse di Bassiano).

         Livre sur le vide, vacuité de l’espace et vacuité du temps, uniquement occupé du mouvement envahissant de la vague, Le temps passe s’ouvre sur les pages visionnaires du retour au chaos initial. Une chape d’obscurité tombe en cataracte sur le monde, l’envahit, le pénètre, s’insinue, s’infiltre par les moindres interstices, engloutit formes et objets, se focalise au cœur des choses. De cosmique, l’univers se miniaturise. Le tourbillon cataclysmique plonge, par resserrement de focale, de l’infiniment grand à l’infiniment petit, de l’extérieur vers l’intérieur, balayant tout sur son passage. Et effaçant, au gré de la progression des ombres, jusqu’à la distinction des sexes. De ce chaos d’avant la genèse surgissent des corps fantomatiques et asexués. Leur apparition au cœur de « la ténèbre » peuple soudainement la « maison vide », désertée depuis nombre d’années et réveillée d’un profond sommeil par leur sarabande effrontée.

         Que s’est-il passé en amont du chaos ? Une vie a existé. Une famille et tout son entourage ont occupé jadis la vaste demeure au bord de la mer, l’ont investie de rires et de saisons. Mrs. Ramsay, Mr. Andrew, Miss Prue, la cuisinière Mildred ou Marian ― personnages de La Promenade au phare ― font une brève apparition dans la mémoire de Mrs. McNab, puis retombent, informes, anéantis dans la mort d’où ils ont été tirés au gré des caprices du souvenir.

        Visionnaire, Virginia Woolf fait revivre le néant, l’anime de « souffles épars » et « espions ». La vaste demeure, en proie aux pleurs et aux gémissements, devient le théâtre d’ombres errantes qui s’unissent pour faire entendre leurs lamentations. Un instant dépoussiérés par le passage des ombres, les objets révèlent, dans leurs craquelures et leur jaunissement, le passage du temps. Puis retombent, fanés et désœuvrés, dans leur inanité première. Pendant ce temps, le fracas des vagues bat son plein. Il rythme cet univers dantesque, soumis à la confusion des eaux du ciel et des eaux de la mer. L’élan épique se propage, gagne la nuit dans une forme personnifiée, proche de la prosopopée.

        « Les vagues qui se brisent semblaient être le geste même de la nuit : elle secoue la tête et désespérément en laisse tomber la ténèbre, et médite, et gémit, comme pour pleurer le destin qui a noyé la terre… »

         Il faut cependant attendre le chapitre IV pour voir surgir, au plein battant de cette tourmente, le personnage inattendu et vacillant de Mrs. McNab. L’antique domestique de la demeure, abandonnée elle aussi à la vieillerie de sa carcasse. « Silhouette oscillante » armée de balais et de frénésie nettoyeuse, « édentée, embonnetée », la vieille Mrs. McNab est la métaphore incarnée de la tempête et des vagues qui assaillent la maison, en même temps que de la décrépitude généralisée des objets qui l’habitent.

        « Tandis qu’elle allait roulant (car elle donnait de la bande comme un navire en mer) et lorgnant (car ses yeux ne tombaient sur rien directement, mais par un regard de côté qui conjurait le mépris et la colère du monde ― elle manquait d’esprit, elle le savait), cependant qu’elle s’accrochait à la rampe et se halait le long de l’escalier, cependant qu’elle roulait de pièce en pièce, elle chantait… »

         Suit un portrait indirect de Mrs. McNab, une présentation déformée par le point de vue décentré qui s’attache à sa personne. Pour accéder au personnage paradoxal de la domestique, il faut en passer par le prisme du mystique et du visionnaire, ces esprits éclairés avec lesquels Mrs. McNab n’a rien en commun. La vérité sur le mystère de la nature et les sentiments qu’ils inspirent aux « esprits hauts », sont hors de sa portée. Et Mrs. McNab, bien que « piétinée dans la boue pendant des générations » peut continuer sans trop d’angoisse existentielle à chanter ses chansons stupides tout en s’activant à ses tâches inutiles. Pendant ce temps, avec la pénétration des souffles de l’été, la maison et ses objets sortent provisoirement de leur silence, puis retombent dans l’abandon où ils étaient tenus.






    Pourquoi nous envelopper dans la beauté de la mer
    Ph., G.AdC





         « Réflexion sur la fuite du temps et son effet sur la signification des choses », Le temps passe est « une plongée directe, à corps perdu, dans dix années de désagrégation. » De cette interrogation obsédante naissent les pages sublimes qui composent cette nouvelle, puissamment arrimée aux questionnements sur la nature et sur les rapports symbiotiques que l’homme entretient avec elle :

        « Pourquoi nous envelopper dans la beauté de la mer, pourquoi nous consoler de la lamentation des vagues qui se brisent, si en vérité nous ne filons ce vêtement que de terreur, si nous ne tissons cet habit que pour le néant ? »

         Peut-être faut-il accepter de « sombrer dans la nuit, sombrer dans le bleu, et se résigner, et oublier… » Comment ne pas trembler en lisant cette phrase, qui préfigure en filigrane la décision ultime de Virginia Woolf  ?


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli



    _________________________________
    * Virginia Woolf, Journal d’un écrivain, Christian Bourgois Éditeur, 10|18, 2000, page 148.





    VIRGINIA WOOLF



    Woolf
    Image, G.AdC



    ■ Virginia Woolf
    sur Terres de femmes

    25 janvier 1882 | Naissance de Virginia Woolf
    21 décembre 1917 | Lettre de Lytton Strachey à Virginia Woolf
    14 décembre 1922 | Première rencontre Virginia Woolf-Vita Sackville-West
    18 février 1927 | Lettre de Virginia Woolf à Vita Sackville-West
    5 mai 1927 | Virginia Woolf, La Promenade au phare
    11 septembre 1940 | Virginia Woolf, Journal d’un écrivain
    28 mars 1941 | Mort de Virginia Woolf
    21 septembre 1993 | Orlando de Virginia Woolf, au Théâtre de L’Odéon
    Flush (note de lecture d’AP)
    Virginia, lectures croisées (AP)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → la voix de Virginia Woolf
    => ICI (document BBC Four du 29 avril 1937). Document d’archives également accessible sur YouTube
    → (sur YouTube)
    Patti Smith lisant des extraits de The Waves de Virginia Woolf, accompagnée au piano par sa fille Jesse (soirée du 28 mars 2008 à la Fondation Cartier, jour-anniversaire de la mort de Virginia Woolf)



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  • Virginia Woolf, Flush

    Virginia Woolf, Flush : une biographie,
    Le Bruit du temps, 2010.

    Virginia and Flush
    Image, G.AdC







    FLUSH, « UN SIMPLE CAPRICE, UNE MINCE PELLICULE D’EAU »



          Renouveler le genre littéraire de la biographie, le faire sortir du cadre et des contraintes qui sont ordinairement les siens n’est pas chose aisée. Pourtant, avec Flush : une biographie, Virginia Woolf régénère le genre et lui assigne une forme et un ton tout à fait inattendus.

         Le projet de la romancière, épuisée par les tensions que Les Vagues a laissées en elle, est de se détendre. L’occasion lui en est donnée avec la lecture de la correspondance amoureuse du couple Browning, correspondance dont elle se délecte. Elizabeth Barrett, poète, et Robert Browning, dramaturge et poète, échangent entre eux des lettres passionnées. Dans cette correspondance, Flush, « l’épagneul cocker doré » de Miss Barrett, occupe une place de choix. À lire ces lettres et à rire des réflexions que « l’épouvantable cocker » inspire à sa brillante maîtresse, Mrs Woolf se dit qu’elle écrirait bien le roman d’une Vie de chien. Ce sera Flush, « un simple caprice, une mince pellicule d’eau ». Pourtant une vie de cocker peu ordinaire. Doublée de la vie non moins ordinaire d’Elizabeth Barrett Browning.

          La biographie de Flush, ancrée avec humour dans la généalogie de ses très anciennes origines aristocratiques, commence en 1842 avec la naissance du cocker et se clôt, bien des années plus tard, sur son dernier souffle, survenu en présence de Mrs Browning. C’est à la Casa Guidi de Florence que le vieil épagneul expire et sous ses voûtes qu’il est enterré. Entre ces deux moments extrêmes se déroulent l’éducation et les apprentissages de Flush, son changement inattendu et douloureux de maîtresse, son enlèvement et les mésaventures qui en découlent dans le cloaque de Whitechapel – véritable Cour des miracles de Londres –, ses aventures amoureuses à l’appel du « cor de Vénus chasseresse », sa découverte désappointée des injustices sociales, tant chez les humains que chez la gent canine. Tout y est des us et coutumes de la bonne société de l’Angleterre victorienne. Tout y est de l’atmosphère feutrée et ennuyeuse de Wimpole Street. Rien n’échappe au regard critique et interrogateur de Flush, encore moins à son odorat extrêmement raffiné. Qui aurait pu penser qu’une vie d’épagneul, même de race, pût être à ce point contrastée, à ce point riche en événements inattendus, à ce point mouvementée ? Pas même Flush qui va de surprise en surprise, découvre l’inconstance des hommes, les ravages de la jalousie et même la terrible mélancolie que suscite en lui le sentiment tenace d’abandon. Un sentiment vif qui ponctue sa vie à intervalles réguliers.

         D’abord abandonné par la très bonne Miss Mitford, et contraint, sans qu’il ait pu donner son approbation, à oublier les gambades à l’affût des lapins de Three Mile Cross pour venir s’enterrer vivant sur la courtepointe d’une Miss Barrett séquestrée et malade, Flush se sent à nouveau abandonné, relégué dans l’arrière-plan de la vie de Miss Barrett, lorsque à l’improviste s’impose à ses côtés « l’homme au capuchon ». Ou qu’en l’absence du grand homme, « l’oiseau en cage » n’est plus occupé que par les lettres brûlantes qu’elle reçoit quotidiennement de lui. Éclipsé Flush, réduit à rien, moins que rien. Étonné de découvrir ainsi l’ampleur de son inanité en même temps que la vacuité de son moi, Flush se révolte, se terre dans la solitude, rumine son désarroi. Puis réfléchit. Et mûrit. Il prend du recul, finit par adopter Mr Browning, désormais époux de Miss Barrett, découvre que derrière tant de différences se cachent des complémentarités intéressantes quoique muettes.

         Ainsi, derrière la vie de Flush, c’est aussi la vie d’Elizabeth Browning, figure en abyme de l’écrivain Virginia Woolf, qui s’écrit en contrepoint. Une vie construite sur le repli, autour de l’écriture des Sonnets portugais, en cours de composition. Une vie qui bascule pourtant du tout au tout dès que Robert Browning fait auprès de la jeune fille son apparition. De maladive et inanimée, parce que sous les lois d’un père tyrannique, Miss Barrett devient audacieuse sous l’emprise de l’amour. Par un après-midi de mortel ensommeillement, Elizabeth Barrett est enlevée. Elle quitte subrepticement la maison paternelle, embarquant avec elle son chien Flush et sa fidèle Wilson. Ensemble, la petite troupe gagne l’Italie et s’installe à Florence. Une « vita nova » commence, toute d’odeurs envoûtantes pour Flush, de plaisirs insoupçonnés et d’ivresses mortelles. D’émerveillement pour Elizabeth dont les paysages et la beauté des lieux sont source de bonheur permanent, au même titre que l’amour. L’arrivée d’un bébé dans la vie commune à la Casa Guidi n’est pas sans surprendre Flush, dont les réactions et les sentiments évoluent, la sagesse venant avec l’âge et le temps. Au moment de prendre congé définitivement de Mrs Browning, Flush perçoit une dernière fois ce qui le rapproche de sa maîtresse et l’en sépare :

         « Séparés, clivés l’un de l’autre et cependant coulés au même moule, chacun d’eux, peut-être, achevait ce qui dormait toujours en l’autre. Mais elle était femme; il était chien. »

         Admirable petit roman, magnifiquement ciselé, Flush a connu au moment de sa publication dans la vieille Angleterre de 1933, un véritable engouement. Toute de finesse et d’humour, la biographie de l’épagneul remporte un succès littéraire que Virginia Woolf réprouve par anticipation. Quelques jours avant la publication de son roman, l’auteur des Vagues écrit :

         « Flush doit sortir jeudi, et je serai sans doute très déprimée par la nature des éloges qu’on me décernera. On dira que c’est « charmant », délicat, très féminin. Et cela plaira beaucoup ». *

         Cela plaît beaucoup, en effet, et Flush lui-même devient un véritable héros. Avec un pareil pedigree ― chien de race, propriété d’Elizabeth Browning, héros du dernier roman de Virginia Woolf ―, Flush ne pouvait rester plus longtemps inconnu des lecteurs français. Illustré de quatre dessins par Vanessa Bell, sœur de Virginia Woolf, traduit par Charles Mauron, Flush fait son apparition en France en 1935. Tombé dans l’oubli, puis réédité en 1987 dans le Livre de Poche, délaissé à nouveau, Flush : Une biographie vient de renaître de ses cendres aux éditions Le Bruit du temps, maison d’édition créée en juin 2008 par Antoine Jaccottet. Au sein d’un très élégant ensemble d’ouvrages ― à la jaquette cartonnée de couleur crème et aux rabats cardinalices ― qui comporte, outre Le Temps passe de Virginia Woolf, une édition bilingue des Sonnets portugais, traduits et présentés par Claire Malroux. Elizabeth Barrett Browning, un poète à repenser et à redécouvrir. Gageons que les éditions Le Bruit du temps sauront nous y inciter.


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli




    Browning
    Source



    * Virginia Woolf, « Lundi 2 octobre 1933 », Journal d’un écrivain, « Bibliothèques 10/18 », Christian Bourgois éditeur, 2000, page 333.





    VIRGINIA WOOLF



    Woolf
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    ■ Virginia Woolf
    sur Terres de femmes

    25 janvier 1882 | Naissance de Virginia Woolf
    21 décembre 1917 | Lettre de Lytton Strachey à Virginia Woolf
    14 décembre 1922 | Première rencontre Virginia Woolf-Vita Sackville-West
    18 février 1927 | Lettre de Virginia Woolf à Vita Sackville-West
    5 mai 1927 | Virginia Woolf, La Promenade au phare
    11 septembre 1940 | Virginia Woolf, Journal d’un écrivain
    28 mars 1941 | Mort de Virginia Woolf
    21 septembre 1993 | Orlando de Virginia Woolf, au Théâtre de L’Odéon
    Sombrer dans le bleu (note de lecture sur Le temps passe)
    Virginia, lectures croisées



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Terres de femmes)
    6 mars 1806 | Naissance d’Elizabeth Barrett Browning (extrait de Flush de Virginia Woolf)
    → la voix de Virginia Woolf
    => ICI (document BBC Four du 29 avril 1937). Document d’archives également accessible sur YouTube
    → (sur YouTube)
    Patti Smith lisant des extraits de The Waves de Virginia Woolf, accompagnée au piano par sa fille Jesse (soirée du 28 mars 2008 à la Fondation Cartier, jour-anniversaire de la mort de Virginia Woolf)



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  • 11 septembre 1940 | Virginia Woolf, Journal d’un écrivain

    Éphéméride culturelle à rebours



    Londres__bombardee_en_1940_2
    Montage photographique, G.AdC




    RAIDS SUR LONDRES


    Mercredi 11 septembre



        « Churchill vient de parler. Un discours clair, sobre, robuste. Il nous a dit que l’invasion se prépare. Si elle doit avoir lieu, c’est apparemment dans la quinzaine qui vient. Des navires et des péniches sont massées dans tous les ports français. Le bombardement de Londres prépare, de toute évidence, cette invasion. « Notre majestueuse cité… etc. », ce qui me touche, car je trouve Londres majestueux. « Notre courage, etc. » Un autre raid sur Londres la nuit dernière. Une bombe a, cette fois, atteint le palais. John a téléphoné. Il était à Mecklenburgh Square la nuit du raid. Il demande le transfert immédiat de la maison d’édition. L. doit aller à Londres vendredi. John dit que nos fenêtres sont brisées. Il loge je ne sais où. On évacue le square. Un avion a été abattu sous nos yeux sur le champ de courses, juste avant le thé. Un accrochage, un gauchissement, puis un plongeon et une explosion d’épaisse fumée noire. Percy dit que le pilote a été projeté. Nous nous attendons toujours à un raid vers huit heures trente. De toute façon, qu’il ait lieu ou non, nous entendons à cette heure-là le sinistre bruit de scie qui s’intensifie, puis diminue. Une pause, et cela recommence. Nous disons: « Ils ont remis ça », assis chez nous, moi à mon travail, L. roulant des cigarettes. De temps à autre, on entend une explosion. Les vitres tremblent. Et nous savons que Londres est de nouveau bombardé. »

    Virginia Woolf, Journal d’un écrivain [A Writer’s Diary, 1953], Christian Bourgois Éditeur, 1984 ; Bibliothèques 10-18, 2000, pp. 545-546. Traduit de l’anglais par Germaine Beaumont.




    Note : le 11 septembre 1940 est le jour où Hitler avait prévu d’envahir l’Angleterre. Lire/écouter :

    => (sur le site Battle of Britain Historical Society) The Battle of Britain 1940 : Tuesday 10th September – Wednesday 11th September 1940
    => (sur Canal Académie) Les trois jours où Hitler a perdu la guerre.






    VIRGINIA WOOLF



    Woolf
    Image, G.AdC



    ■ Virginia Woolf
    sur Terres de femmes

    25 janvier 1882 | Naissance de Virginia Woolf
    21 décembre 1917 | Lettre de Lytton Strachey à Virginia Woolf
    14 décembre 1922 | Première rencontre Virginia Woolf-Vita Sackville-West
    18 février 1927 | Lettre de Virginia Woolf à Vita Sackville-West
    5 mai 1927 | Virginia Woolf, La Promenade au phare
    28 mars 1941 | Mort de Virginia Woolf
    21 septembre 1993 | Orlando de Virginia Woolf, au Théâtre de L’Odéon
    Virginia Woolf, Flush (note de lecture)
    Sombrer dans le bleu (note de lecture sur Le temps passe)
    Virginia, lectures croisées



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → la voix de Virginia Woolf
    => ICI (document BBC Four du 29 avril 1937). Document d’archives également accessible sur YouTube
    → (sur YouTube)
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