Étiquette : Voltaire


  • 13 octobre 1761 | Voltaire, Début de l’affaire Calas

    Éphéméride culturelle à rebours



    mais si un père de famille innocent est livré aux mains de l'erreur
    Ph., G.AdC






         Toulouse, le soir du 13 octobre 1761. Une honnête famille de commerçants protestants, marchands d’indiennes, la famille Calas soupe en son domicile de la rue des Filatiers. Jean Calas et sa femme, née Anne-Rose Cabibel, sont là avec deux de leurs fils : Marc-Antoine et Pierre […] Un hôte à souper : Gaubert Lavaysse, fils d’un avocat connu, ami des Calas, qui arrive de Bordeaux et n’a pas trouvé ses parents. Dernier personnage du drame, Jeanne Viguier, la servante, qui malgré sa foi catholique est depuis longtemps attachée aux Calas.
         On sait comment, à la fin de la soirée, Pierre Calas descendant accompagner son ami Lavaysse découvre le corps de son frère Marc-Antoine qui les avait quittés une heure auparavant. S’était-il pendu, ou avait-il était étranglé ? Dans le premier affolement les Calas veulent éviter qu’on parle de suicide. La foule s’attroupe et commence à murmurer que Marc-Antoine a été étranglé par les siens pour avoir voulu abjurer le protestantisme.



    L’Affaire Calas, Note de Jacques Van den Heuvel, in Voltaire, Mélanges, Éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1961, page 1412.






    TRAITÉ
    SUR LA TOLÉRANCE


    À L’OCCASION DE LA MORT DE JEAN CALAS
    (1763)


    Chapitre Premier

    Histoire abrégée de la mort de Jean Calas



         Le meurtre de Calas, commis dans Toulouse avec le glaive de la justice, le 9 mars 1762, est un des plus singuliers événements qui méritent l’attention de notre âge et de la postérité. On oublie bientôt cette foule de morts qui a péri dans des batailles sans nombre, non seulement parce que c’est la fatalité inévitable de la guerre, mais parce que ceux qui meurent par le sort des armes pouvaient aussi donner la mort à leurs ennemis, et n’ont point péri sans se défendre. Là où le danger et l’avantage sont égaux, l’étonnement cesse, et la pitié même s’affaiblit ; mais si un père de famille innocent est livré aux mains de l’erreur, ou de la passion, ou du fanatisme ; si l’accusé n’a de défense que sa vertu ; si les arbitres de sa vie n’ont à risquer en l’égorgeant que de se tromper ; s’ils peuvent tuer impunément par un arrêt, alors le cri s’élève, chacun craint pour soi-même, on voit que personne n’est en sûreté de sa vie devant un tribunal érigé pour veiller sur la vie des citoyens, et toutes les voix se réunissent pour demander vengeance.
         Il s’agissait, dans cette étrange affaire, de religion, de suicide, de parricide ; il s’agissait de savoir si un père et une mère avaient étranglé leur fils pour plaire à Dieu, si un frère avait étranglé son frère, si un ami avait étranglé son ami, et si les juges avaient à se reprocher d’avoir fait mourir sur la roue un père innocent, ou d’avoir épargné une mère, un frère, un ami coupables.
         Jean Calas, âgé de soixante et huit ans, exerçait la profession de négociant à Toulouse depuis plus de quarante années, et était reconnu de tous ceux qui ont vécu avec lui pour un bon père. Il était protestant, ainsi que sa femme et tous ses enfants, excepté un, qui avait abjuré l’hérésie, et à qui le père faisait une petite pension. Il paraissait si éloigné de cet absurde fanatisme qui rompt tous les liens de la société, qu’il approuva la conversion de son fils Louis Calas, et qu’il avait depuis trente ans chez lui une servante zélée catholique, laquelle avait élevé tous ses enfants.
         Un des fils de Jean Calas, nommé Marc-Antoine, était un homme de lettres : il passait pour un esprit inquiet, sombre et violent. Ce jeune homme, ne pouvant réussir ni à entrer dans le négoce, auquel il n’était pas propre, ni à être reçu avocat, parce qu’il fallait des certificats de catholicité qu’il ne put obtenir, résolut de finir sa vie, et fit pressentir ce dessein à un de ses amis ; il se confirma dans sa résolution par la lecture de tout ce qu’on a jamais écrit sur le suicide.
         Enfin, un jour, ayant perdu son argent au jeu, il choisit ce jour-là pour exécuter son dessein. Un ami de sa famille et le sien, nommé Lavaisse, jeune homme de dix-neuf ans, connu pour la candeur et la douceur de ses mœurs, fils d’un avocat célèbre de Toulouse, était arrivé à Bordeaux la veille ; il soupa par hasard chez les Calas. Le père, la mère, Marc-Antoine leur fils aîné, Pierre leur second fils, mangèrent ensemble. Après le souper on se retira dans un petit salon : Marc-Antoine disparut ; enfin, lorsque le jeune Lavaisse voulut partir, Pierre Calas et lui étant descendus trouvèrent en bas, auprès du magasin, Marc-Antoine en chemise, pendu à une porte, et son habit plié sur le comptoir ; sa chemise n’était pas seulement dérangée ; ses cheveux étaient bien peignés : il n’avait sur le corps aucune plaie, aucune meurtrissure.
         On passe ici tous les détails dont les avocats ont rendu compte : on ne décrira point la douleur et le désespoir du père et de la mère ; leurs cris furent entendus des voisins. Lavaisse et Pierre Calas, hors d’eux-mêmes, coururent chercher des chirurgiens et la justice.
         Pendant qu’ils s’acquittaient de ce devoir, pendant que le père et la mère étaient dans les sanglots et dans les larmes, le peuple de Toulouse s’attroupa autour de la maison. Ce peuple est superstitieux et emporté ; il regarde comme des monstres ses frères qui ne sont pas de la même religion que lui. C’est à Toulouse qu’on remercia Dieu solennellement de la mort de Henri III, et qu’on fit serment d’égorger le premier qui parlerait de reconnaître le grand, le bon Henri IV. Cette ville solennise encore tous les ans, par une procession et par des feux de joie, le jour où il massacra quatre mille citoyens hérétiques, il y a deux siècles. En vain six arrêts du conseil ont défendu cette odieuse fête, les Toulousains l’ont toujours célébrée comme les jeux floraux.
         Quelque fanatique de la populace s’écria que Jean Calas avait pendu son propre fils Marc-Antoine. Ce cri, répété, fut unanime en un moment ; d’autres ajoutèrent que le mort devait le lendemain faire abjuration ; que sa famille et le jeune Lavaisse l’avaient étranglé par haine contre la religion catholique : le moment d’après on n’en douta plus ; toute la ville fut persuadée que c’est un point de la religion chez les protestants qu’un père et une mère doivent assassiner leur fils dès qu’il veut se convertir.
         Les esprits une fois émus ne s’arrêtent point. On imagina que les protestants du Languedoc s’étaient assemblés la veille; qu’ils avaient choisi, à la pluralité des voix, un bourreau de la secte; que le choix était tombé sur le jeune Lavaisse ; que ce jeune homme, en vingt-quatre heures, avait reçu la nouvelle de son élection, et était arrivé de Bordeaux pour aider Jean Calas, sa femme et leur fils Pierre, à étrangler un ami, un fils, un frère.
         Le sieur David, capitoul de Toulouse, excité par ces rumeurs et voulant se faire valoir par une prompte exécution, fit une procédure contre les règles et les ordonnances. La famille Calas, la servante catholique, Lavaisse, furent mis aux fers.


    Voltaire, Traité sur la tolérance, in Mélanges, Éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1961, pp. 563-564-565.






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    21 novembre 1694 | Naissance de Voltaire
    14 mars 1764 | Lettre de Madame du Deffand à Voltaire
    28 décembre 1765 | Lettre de Madame du Deffand à Voltaire
    5 octobre 1770 | Lettre de Madame du Deffand à Voltaire
    30 mai 1778 | Mort de Voltaire




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  • 30 mai 1778 | Mort de Voltaire

    Éphéméride culturelle à rebours



        Le 30 mai 1778 meurt à Paris François-Marie Arouet, dit Voltaire.





    Voltaire_bleu_par_aline_rohrbach
    Source






    MORT, FARCE ET APOTHÉOSES


         Mme Denis, qui s’ennuyait mortellement à Ferney, n’eut de cesse de ramener son oncle à Paris. Elle abrégea sans doute sa vie, mais lui permit une sortie de scène digne de lui. Arrivé le 10 février 1778, il tombe malade dès le 17 […]. À ne pas se confesser, il risquait d’être jeté à la voierie. Mais le clergé n’allait sans doute pas manquer d’exiger davantage : une rétractation solennelle. Que faire ? Un abbé se présente, qui plaît à Voltaire : « C’est un imbécile […] cela sauvera du scandale et du ridicule. »
        Le 2 mars, au beau milieu du « confiteor », l’abbé Gaultier lui donne à signer une rétractation, « pour vous épargner la peine de la composer vous-même ». Mais il reste quelques forces à M. de Voltaire : « C’est moi-même qui vais le faire… », et il la fait d’un trait. Que dit-il ? Non pas qu’il est catholique. Non pas qu’il renie ses œuvres, mais que « s’il avait jamais scandalisé l’Église, il en demande pardon à Dieu et à elle » !
        Apaisé par cette rétractation, il se confesse et reçoit l’absolution. Mais ses crachements de sang lui interdisent malheureusement toute communion ! Un peu inquiet, l’abbé lui fait alors signer un post-scriptum, qui dément à l’avance un éventuel reniement du mourant. Est-ce la faute de Voltaire si, cette rétractation de la rétractation, il l’avait déjà rédigée ? « Je meurs en adorant Dieu, en aimant mes amis, en ne haïssant pas mes ennemis, et en détestant la superstition. » Que ce credo déiste ne dise pas comment on peut « détester » sans « haïr », n’enlève rien à son panache.
        La perspective, même repoussée, de la communion avait apparemment revigoré le terrible vieillard : le 30 mars, il reçoit l’hommage de l’Académie française, et la foule le porte en triomphe à la Comédie-Française, pour la sixième représentation d’Irène. Mais il reste interdit à Versailles, et son sacre exaspère les dévots.
        Le 23 mai, bourré d’opium, il est à l’article de la mort. Plus d’abbé Gaultier : c’est le curé de Saint-Sulpice, plus rigoureux, qui vient exiger une rétractation en règle. Mais Voltaire n’est plus en état de discuter théologie.
        L’Église et le Pouvoir tombent d’accord le 23 mai pour éviter le scandale par qui tout arrive : on transportera Voltaire à Ferney, après sa mort, comme si le malade voulait rentrer chez lui, ce qui escamote élégamment l’épineux problème de l’inhumation ou du permis de transport du corps.
        Mais le neveu de Voltaire, l’abbé Mignot, se souvint que son oncle était rusé. Il obtient de l’abbé Gaultier « un billet de banque pour l’autre monde », un billet de confession laconique mais en règle : « Je déclare que j’ai été appelé pour confesser M. de Voltaire, que j’ai trouvé hors d’état d’être entendu et sans connaissance. Ce 30 mai 1778. » Voltaire mourut en effet le soir même. On embauma son corps, et on l’emporta, mais pas à Ferney ! À Scellières, chez l’abbé Mignot, dans le diocèse de Troyes ! Où on l’enterra le 2 juin, juste avant qu’une lettre de l’évêque de Troyes ne l’interdise. « Voltaire avait joué son dernier mauvais tour aux prêtres. Après leur avoir escroqué une communion en 1768, une autre en 1769, une absolution le 2 mars 1778, il obtenait le 2 juin des obsèques religieuses qui ne furent pas sans solennité » (René Pomeau1).
        « Des extrémistes songèrent à une exhumation, qu’on se garda de leur accorder. On se vengea en lui refusant une messe à l’Académie française, réclamée par… d’Alembert, et en déplaçant le pauvre desservant de Scellières ! Somme toute, Voltaire s’était mieux tiré des griffes du clergé parisien que de celles de Frédéric II à Francfort. Son ami Frédéric se révélait mauvais prophète, qui prédisait que Voltaire les déshonorerait tous, par panique, à l’article de la mort, le dernier de son inépuisable dictionnaire philosophique.
        À défaut de l’immortalité de l’âme, dont il ne s’était jamais vraiment persuadé, d’autres apothéoses l’attendaient, et bien des reniements. Sa vie posthume se devait de rivaliser avec son existence agitée. On ne se débarrasse pas d’un Voltaire avec un diabète, une strangurie, et un billet de confession. »


    Jean Goldzink, La légende de Saint Arouet, in Voltaire, Gallimard, Collection Découvertes, 1989, pp. 118 à 122.




    _______________________________________
    1 René Pomeau, La Religion de Voltaire, Nizet, 1969, p. 547.






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