Étiquette : Yves Bonnefoy


  • Philippe Denis | [Il est des pages qui nous expriment]


    [IL EST DES PAGES QUI NOUS EXPRIMENT]




    Il est des pages qui nous expriment.
    Certaines – témoins de nos fatigues –
    resteront blanches ; d’autres – témoins
    de notre paresse – seront celles où,
    par négligence, nous aurons triomphé.



    Journée de grand vent.
    On peut prendre toutes les directions.

    *

    Sur ces chemins habitués à nos pas,
    à nos précautions, nous nous sommes surpris
    à saluer une idée qui allait en sens inverse.



    […]



    Sortir pour vérifier que le monde est là,
    sur le chemin du retour faire comme s’il
    n’avait jamais été

    s’en remettre, une fois pour toutes, à la
    rêverie.




    Philippe Denis, Nugæ, éditions La Dogana, Collection Poésie, 2003, pp. 32, 33, 36. Avant-propos (« La pauvreté, le surcroît ») d’Yves Bonnefoy. In Chemins faisant, poèmes 1974-2014 choisis par l’auteur, éditions Le Bruit du temps, 2018, pp. 210, 211, 214.





    Philippe Denis  Nugae




    PHILIPPE DENIS


    Philippe Denis
    Ph. Violaine Lison
    Source





    ■ Philippe Denis
    sur Terres de femmes


    [Ici, où je vis, en attente] (poème extrait de Cahier d’ombres)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site du cipM, centre international de poésie Marseille)
    une notice bibliographique sur Philippe Denis
    → (sur Wikipedia)
    une notice bio-bibliographique sur Philippe Denis





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  • Corse_3 Yves Bonnefoy | [De Caraco à l’île de Capraia]





    Capraia carte






    [DE CARACO À L’ÎLE DE CAPRAIA]*



    Voilà ce que je rêve, à ces carrefours, ou un peu après — et il s’ensuit que je suis troublé par tout ce qui peut favoriser l’impression qu’un lieu autre, et qui le demeure, se propose pourtant, avec même quelque insistance. Quand une route s’élève, me découvrant au loin d’autres chemins dans les pierres, avec des villages visibles ; quand le train se glisse dans une vallée resserrée, au crépuscule, passant devant des maisons où il arrive qu’une fenêtre s’éclaire ; quand le bateau suit d’assez près un rivage, où le soleil se prend à une vitre lointaine (et une fois c’était Caraco**, où l’on me dit que les chemins n’arrivaient plus, mangés depuis longtemps par les ronces), c’est vite en moi la très spécifique émotion, je crois approcher, je me sens requis à la vigilance. Comment se nomment ces villages, là-bas ? Pourquoi un feu sur cette terrasse, qui salue-t-on ainsi à notre bord, qui appelle-t-on ? Bien sûr, que j’arrive en un de ces lieux et l’impression d’avoir « brûlé » se dissipe. Non sans pourtant s’accroître parfois toute une heure à cause d’un bruit de pas ou de voix qui est monté jusqu’à ma chambre d’hôtel, à travers les persiennes closes.

    Et Capraia***, si longtemps l’objet de mes vœux ! Sa forme — une longue modulation de cimes et de plateaux — me semblait parfaite, et je ne pouvais en détacher mes yeux pour des minutes entières, surtout le soir, depuis qu’elle avait surgi de la brume le second jour du premier été, et tellement plus haut que je n’avais cru que se trouvait l’horizon. Or, Capraia appartenait à l’Italie, rien ne la reliait à l’île où j’étais moi-même, on disait aussi qu’elle était presque déserte : tout se prêtait donc à ce que ce nom, qui la réduisait à quelques bergers, à leur errance à jamais sur des tables rocheuses au ras du ciel dans le jasmin, l’asphodèle (quelques oliviers et caroubiers dans les creux), lui conférât une qualité d’archétype et en fît, pour ma pensée désirante, le vrai lieu. Ainsi pour quelques saisons, puis ma vie changea, je ne vis plus Capraia, je l’oubliais presque, et d’autres années passèrent. Après quoi il advint que je pris un bateau un matin à Gênes, allant en Grèce, et vers le soir, brusquement, je me sentis pousser à monter sur le pont et à regarder vers l’ouest, où paraissaient déjà, où allaient passer à droite de nous, et tout près, quelques rochers, un rivage. Un regard, un ébranlement intérieur : une mémoire en moi, plus profonde que la conscience, ou plus aux aguets, avait compris avant que je sache. Est-ce possible, mais oui, c’est Capraia par son autre bord, celui que je n’avais jamais vu, l’inimaginable ! Dans sa forme changée, ou plutôt annulée par notre proximité (car vraiment nous passions à cent mètres à peine du rivage), l’île avançait, s’ouvrait, se révélait — brève côte, terre de rien, on n’y voyait qu’un petit débarcadère, un chemin qui s’en éloignait, quelques maisons çà et là, une sorte de forteresse sur un à-pic — allait bientôt disparaître.

    Et je fus alors pris de compassion. Capraia, tu appartiens à l’ici du monde, comme nous. Tu souffres de finitude, tu es dessaisie du secret, recule donc, efface-toi dans la nuit qui tombe. Et veille là, ayant établi avec moi d’autres liens, dont je ne veux rien savoir encore, car je reste requis par l’espérance, ou le leurre. Demain je verrai Zante, Céphalonie, beaux noms aussi et plus grandes terres, préservées par leur profondeur.



    Yves Bonnefoy, L’Arrière-Pays [éditions Albert Skira, 1972], I, Éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard, 1998-2003-2005, pp. 14-15-16-17.



    _________________
    NOTES d’AP :
    * choix d’extrait que je dédie à Odile Bombarde, maître de conférences au Collège de France, éditrice (avec Patrick Labarthe) du tome 1 de la Correspondance d’Yves Bonnefoy (Les Belles Lettres, 2018).
    ** Caraco ou Caracu, hameau abandonné (vers 1925) du village de Meria (Cap Corse).
    *** troisième île de l’archipel toscan en mer Tyrrhénienne (province de Livourne), entre l’Italie et le Cap Corse. Une île qu’Yves Bonnefoy a souvent observée depuis le Cap Corse, durant ses nombreux séjours à Porticciolo (marine de Cagnano), dans la demeure familiale de sa première épouse, Éliane Catoni, de l’été 1945 à l’été 1956. En 1767, l’île de Capraia fut conquise par Pasquale Paoli, mais demeura génoise lorsque la Corse fut cédée à la France par la république de Gênes (1768).






    Yves Bonnefoy  L'Arrière-Pays





    YVES BONNEFOY


    Bonnefoy
    Image, G.AdC




    ■ Yves Bonnefoy
    sur Terres de femmes

    → 25 juin 1981|
    Élection d’Yves Bonnefoy au Collège de France
    À la voix de Kathleen Ferrier
    L’Arrière-pays (lecture d’AP)
    « Le dialogue d’angoisse et de désir »
    Donner des noms
    Le myrte
    Les Raisins de Zeuxis
    Vrai nom
    Les Planches courbes : feuilleton pédagogique en 26 épisodes à l’usage des lycéens




    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site Université de tous les savoirs)
    écouter/voir la vidéo d’une conférence d’Yves Bonnefoy (La parole poétique) du 17 novembre 2000
    → (sur le site du Collège de France)
    une bio-bibliographie d’Yves Bonnefoy





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  • Sylvie Brès | [Comme la petite seiche jette son encre]




    [COMME LA PETITE SEICHE JETTE SON ENCRE]



    Comme la petite seiche jette son encre, fragile parade, écrire l’extrême de l’expérience
    pour tromper la mort — cache-cache indécent peut-être et pourtant pudeur du partage avec
    ceux qui sont touchés par la maladie, et ceux qui l’ignorent
    — sauvegarde partielle et
    dérisoire.
    Revendiquer, pied à pied, terme à terme, cette humanité qui vacille et pourtant
    qui résiste, me semble par-delà l’effeuillage absolu, une douceur octroyée, une irruption de conscience.
    L’encre jetée, la limpidité revient…
    Nous nous baignons dans la même mer.
    Nous respirons le même air et le tissu de nos songes n’est pas si différent !
    Les larmes n’ont-elles pas toujours ce goût salé à travers l’univers ?




    Sylvie Brès, Cœur troglodyte, Le Castor Astral, 2014, page 126. Préface d’Yves Bonnefoy. Gravure de Cécile Reims.




    _______________________________
    NOTE d’AP : Sur la page de faux-titre de mon exemplaire de Cœur troglodyte, cette dédicace de SB (deux ans avant son départ en ce mois de septembre 2016) : « À Angèle, ce Cœur troglodyte, en espérant que l’azur s’enflamme, et partager nos mots, bientôt, car nous avons besoin tous dans ces temps incertains, de cette parole vraie, qui nous porte les uns vers les autres. Sylvie »







    Sylvie Brès, Coeur troglodyte





    SYLVIE BRÈS
    (1954-2016)



    Bres_Sylvie
    Source



    ■ Sylvie Brès
    sur Terres de femmes

    [Dès que vivant | nous côtoyons la mort] (autre poème extrait de Cœur troglodyte)
    Chez moi la mort était partout…
    [Il fait nuit] (poème extrait d’Il fait)
    Territoire (poème extrait de L’Incertaine Limite de nos gestes)
    [Territoires incertains] (poème extrait d’Une montagne d’enfance)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Sylvie Brès
    → (sur France Culture)
    Sylvie Brès pour Cœur troglodyte au Castor Astral (émission Ça rime à quoi de Sophie Nauleau du 2 novembre 2014)
    → (sur les arpenteurs poétiques)
    un entretien de Sylvie Brès avec Jean-Marc Barrier (Lodève, Les voix de la Méditerranée, juillet 2014)





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  • Maria Luisa Spaziani | Parapsicologia



    Maria Luisa Spaziani G
    Image, G.AdC







    PARAPSICOLOGIA


    I


    La fiamma non fu uguale a un’altra fiamma,
    dicono, mai dall’ aurora dei tempi.
    E anche questo mare che ora senti
    ruggire e sospirare, ha sempre suoni
    diversi e altri fregi di correnti.
    Ma se un messaggio più lontano cerchi,
    un senso nuovo invéntati, fa’ come
    i condor, le formiche, le veggenti :
    sintonízzati a ciò che nel creato
    segretamente si è inciso e raccolto,
    créati l’occhio interno, e sopra il folto
    gioco di azzurri coglierai lamenti
    delle Sirene un tempo qui all’agguato,
    e triremi fenicie e gozzi turchi
    e Caronte che rema dannato.



    Maria Luisa Spaziani, Transito con catene (1977), in Poesie 1954-2006, Arnoldo Mondadori editore, edizione Oscar Poesia del Novecento, dicembre 2010, p. 151.







    PARAPSYCHOLOGIE


    I


    Une flamme ne ressemble pas à l’autre flamme,
    dit-on, depuis l’aurore des siècles.
    Et même cette mer qu’à présent tu entends
    rugir et soupirer, à l’infini possède
    des sons et festonne ses courants.
    Mais si tu cherches au-delà un message,
    invente pour toi un sens nouveau, imite
    les condors, les fourmis, les voyantes :
    règle tes ondes sur l’univers secret
    avec ce qui s’y grave et s’y dépose,
    crée ton œil intérieur, et par-dessus l’épais
    jeu des flots bleus tu percevras les plaintes
    de Sirènes ici jadis aux aguets,
    trirèmes phéniciennes, tartanes turques,
    et Charon qui s’acharne en forçat aux pagaies.



    Maria Luisa Spaziani, Chaînes obligatoires in Jardin d’été Palais d’hiver, Choix de poèmes 1954-1992, édition bilingue, Mercure de France, 1994, pp. 86-87. Traduction de l’italien par Patrice Dyerval Angelini. Avant-propos d’Yves Bonnefoy.







    MARIA LUISA SPAZIANI


    Maria-Luisa-Spaziani
    Source



    ■ Maria Luisa Spaziani
    sur Terres de femmes

    Notte marina (poème extrait de Geometria del disordine, + une notice bio-bibliographique)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur repubblica.it)
    une notice nécrologique sur Maria Luisa Spaziani
    → (sur rainews.it)
    une interview (en italien) de Maria Luisa Spaziani par Luigia Sorrentino (mai 2011)





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  • Yves Bonnefoy | Donner des noms



    Je veux te d-nommer pour me souvenir.
    Ph., G.AdC





    DONNER DES NOMS



    Elle se penche sur lui, murmure :
    Veux-tu que nous donnions des noms encore,
    Car sais-tu si jamais nous nous reverrons ?
    Oui, dit-il, je te nomme, hésitation.

    Qu’a eue ce martinet prenant son vol,
    Qu’a-t-il vu qui le tint comme suspendu
    Un instant dans le cri de tous ces autres ?
    Je veux te dénommer pour me souvenir.

    Puis il tourne la page. Ce qu’il voit,
    C’est cette même jeune femme, souriante,
    Elle semble rentrer d’un long voyage.

    Comment me nommes-tu ? demande-t-elle,
    Inquiète, tristement. Et la nuit tombe,
    Ces martinets, l’énigme dans leur ciel.




    Yves Bonnefoy, Raturer outre, poèmes, Éditions Galilée, 2010, page 31.





    YVES BONNEFOY


    Bonnefoy
    Image, G.AdC




    ■ Yves Bonnefoy
    sur Terres de femmes

    → 25 juin 1981/
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    [De Caraco à l’île de Capraia] (extrait de L’Arrière-Pays)
    L’Arrière-pays (lecture d’AP)
    « Le dialogue d’angoisse et de désir »
    Le myrte
    Les Raisins de Zeuxis
    Vrai nom
    Les Planches courbes : feuilleton pédagogique en 26 épisodes à l’usage des lycéens




    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site Université de tous les savoirs)
    écouter/voir la vidéo d’une conférence d’Yves Bonnefoy (La parole poétique) du 17 novembre 2000
    → (sur le site du Collège de France)
    une bio-bibliographie d’Yves Bonnefoy






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