Étiquette : Yves Elléouët


  • Yves Elléouët | N’importe où


    N’IMPORTE OÙ




    n’importe où
    n’importe où

    entre la source et l’arbre
    dans les signaux le long des rails
    dans le vol des oies grises
    dans l’écheveau des gerbes
    dans les pièges à renard qui rouillent sous les
    mousses
    dans l’eau morte des fondrières
    sous les pas du cheval
    à la saignée de la veine bleue qui tremble
    n’importe où derrière mon dos
    dans une savane de voix
    dans un taillis de gestes bloqués par le gel




    Yves Elléouët, Dans un pays de lointaine mémoire, poèmes et lettres, éditions Diabase | Littérature, 2020, page 60. Préface, avant-propos et notes de présentation de Ronan Nédélec. Postface de Cypris Kophidès.





    Yves Elléouët  Dans un pays de lointaine mémoire




    YVES ELLÉOUËT


    Yves-elleouet portrait
    Source




    ■ Yves Elléouët
    sur Terres de femmes


    Dans un pays de lointaine mémoire (lecture de Marie-Hélène Prouteau)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Diabase)
    la fiche de l’éditeur sur Dans un pays de lointaine mémoire
    → (sur le site des éditions Diabase)
    une notice bio-bibliographique sur Yves Elléouët
    le site Yves Elléouët
    → (sur En attendant Nadeau)
    la poésie surréaliste en ses somptueux écarts, par Alain Joubert (19 mai 2020)
    le site Yves Elléouët
    → (sur Recours au Poème)
    une lecture de Dans un pays de lointaine mémoire par Pierre Tanguy




    ■ Voir encore ▼


    → (sur Terres de femmes)
    André Breton, Lettres à Aube (lecture d’AP)





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  • Yves Elléouët, Dans un pays de lointaine mémoire

    par Marie-Hélène Prouteau

    Yves Elléouët, Dans un pays de lointaine mémoire,
    poèmes et lettres,
    éditions Diabase | Littérature, 2020.
    Préface, avant-propos et notes de présentation de Ronan Nédélec.
    Postface de Cypris Kophidès.



    Lecture de Marie-Hélène Prouteau



    Yves Elléouët fut un créateur solitaire et peu soucieux de sa renommée. Peintre et poète, le gendre d’André Breton disparut trop tôt, en 1975, à l’âge de quarante-trois ans. Son œuvre poétique éditée était épuisée. Ses poèmes, moins connus que ses récits, Falc’hun, préfacé par Michel Leiris, et Le Livre des rois de Bretagne sont aujourd’hui publiés par les éditions Diabase, en même temps que certaines de ses lettres avec André Breton, Michel Leiris, Pêr-Jakez Heliaz (Pierre-Jakez Hélias), Xavier Grall, Georges Perros, et des lettres d’Aube, son épouse.

    Le titre joue de l’ambiguïté : avec l’indéfini « un pays », le lecteur se sent déjà chez lui, au pays de toutes les enfances. Et pourtant, c’est un paysage mental qui émerge, nettement dessiné. Un pays de collines, de bruyères, de vent. La mer toujours en mouvement, le vent du chemin, les « marées mariées au ponant », les fermes couvertes d’ardoises, l’ossuaire de granit où dansent les morts, des cafés tenus par de vieilles femmes, les promontoires « bercés de vide ». C’est la Bretagne. Un pays de pluie et de nuit, au chromatisme noir, blanc, rouge, vert. Les noms de lieux-dits, tels Pencran, Guimiliau, ceux des légendes, tels Tintagel, la Dame blanche, le laissent assez deviner. Et Yves Elléouët le déclare : « Je suis d’Armorique cette péninsule barbare ». Nous sommes en Bretagne, haute terre celtique reliée à l’Irlande et à James Joyce autant qu’au poète gallois Dylan Thomas à qui il consacre un poème.

    Et, dans le même temps, nous sommes dépossédés de nos habituelles représentations de ce pays breton. Car Yves Elléouët récuse l’entre-soi régionaliste. Il faut accepter de se laisser gagner par un imaginaire plus vaste, celui de Joan Miró et d’Yves Tanguy. Celui de l’inspiration surréaliste qui est la sienne et qui joue d’étranges collages :

    « Dans le jardin aux fleurs vénéneuses

    il y a une statue

    tout près du bassin de mercure

    Une guirlande de mains y pavoise

    la nuit — de l’étrave à l’étambot

    d’un navire où sèchent des cheveux ».

    Plus loin, une danse des morts habite tout un poème dans un élan ample, halluciné, intemporel. Visions surréelles de champs de bataille de la Grande Guerre ou rappel de François Villon ? Mais la mélancolie et l’humour se mêlent aussi comme dans un rêve échappé d’entre les moments opaques du sommeil. Dans la lignée du surréalisme, les images prennent parfois un aspect fulgurant :

    « la baïonnette s’est brisée

    près de l’oreiller

    dans l’oreille de la fumée

    qui passe et repasse ».

    La parole du vieux barde Taliensin qu’il évoque dans Le Livre des rois de Bretagne prend ici tout son sens : « J’ai été sous une multitude de formes ». Les choses, les êtres, la femme aimée tracent des lignes de fuite, sont en métamorphose, dans la perception continue de la mort. Le poète est celui qui, tel un magicien, commande aux éléments :

    « L’air des falaises habitait ton visage

    Et ton corps avait des avancées de proues

    Les seins fermes des soleils d’été

    Tes yeux où tournoyaient des arbres ».

    La poésie d’Yves Elléouët dessine un univers onirique fait de sensualité et de souffle où tout se pluralise dans le jeu de l’analogie :

    « J’y fus oiseau jadis

    Ma langue s’en souvient ».

    Il faut lire cette poésie âpre et rude, témoin d’un tumulte du dedans qui prend son rythme pour y nourrir ses ivresses.

    La seconde partie du livre est consacrée à un choix de lettres d’Yves Elléouët et de son épouse. Une trentaine. Aube Breton Elléouët en a confié la reproduction aux éditions Diabase avec le soutien du fonds Jacques Doucet. Certaines d’entre elles ont été publiées chez Gallimard en l’an 2009 dans les Lettres à Aube.

    Ces lettres donnent une autre image de l’artiste, témoignent en particulier du lien affectif et intellectuel qui le liait à André Breton. Il est touchant de le voir lui adresser une première lettre pleine d’admiration. Ou bien écrire à Michel Leiris en parlant de La Règle du jeu et de l’ancien appartement d’André Breton avant-guerre, rue de la Fontaine, qu’il habite à l’époque avec Aube. On s’amuse de voir l’auteur de Nadja, dans une des lettres personnelles à Yves Elléouët, mentionner la venue de Léo et Madeleine Ferré dans sa maison d’été de Saint-Cirq-Lapopie.

    La lettre de Michel Leiris adressée à Aube Elléouët après la mort d’Yves, à la suite d’un premier refus des éditions Gallimard du manuscrit de Falc’hun, est aussi éclairante  : l’auteur de Biffures y mentionne l’entremise de Claude Roy, lui-même lecteur chez Gallimard. Ce livre sera finalement publié de façon posthume dans la collection Blanche de cette maison. On trouve aussi une belle lettre de Xavier Grall à Aube, après la mort de l’artiste, qui parle de « ce grand destin foudroyé ». Et une émouvante lettre de Julien Gracq à Aube qui dit sa tristesse et voit dans ce livre « un testament poétique de grand poids ».

    Il faut saluer ce travail de publication d’Yves Bescond et de Cypris Kophidès qui fait entendre une parole qui résonne au plus profond du temps.



    Marie-Hélène Prouteau
    D.R. Marie-Hélène Prouteau
    pour Terres de femmes






    Yves Elléouët  Dans un pays de lointaine mémoire





    YVES ELLÉOUËT


    Yves-elleouet portrait
    Source




    ■ Yves Elléouët
    sur Terres de femmes


    N’importe où (poème extrait de Dans un pays de lointaine mémoire)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Diabase)
    la fiche de l’éditeur sur Dans un pays de lointaine mémoire
    → (sur le site des éditions Diabase)
    une notice bio-bibliographique sur Yves Elléouët
    le site Yves Elléouët




    ■ Voir encore ▼


    → (sur Terres de femmes)
    André Breton, Lettres à Aube (lecture d’AP)




    ■ Autres chroniques et lectures (25) de Marie-Hélène Prouteau
    sur Terres de femmes


    Chambre d’enfant gris tristesse
    La croisière immobile
    Anne Bihan, Ton ventre est l’océan
    Jean-Claude Caër, Alaska
    Jean-Louis Coatrieux, Alejo Carpentier, De la Bretagne à Cuba
    Marie-Josée Christien, Affolement du sang
    Guénane, Atacama
    Luce Guilbaud ou la traversée de l’intime
    Cécile Guivarch, mots et mémoire en double
    Denis Heudré, sèmes semés
    Jacques Josse, Liscorno
    Martine-Gabrielle Konorski, Instant de Terres
    Ève de Laudec & Bruno Toffano, Ainsi font…
    Jean-François Mathé, Prendre et perdre
    Philippe Mathy, l’ombre portée de la mélancolie
    Monsieur Mandela, Poèmes réunis par Paul Dakeyo
    Daniel Morvan, Lucia Antonia, funambule
    Daniel Morvan, L’Orgue du Sonnenberg
    Yves Namur, Les Lèvres et la Soif
    Jacqueline Saint-Jean ou l’aventure d’être au monde en poésie
    Dominique Sampiero, Chante-perce
    Dominique Sampiero, Où vont les robes la nuit
    Ronny Someck, Le Piano ardent
    Pierre Tanguy, Ma fille au ventre rond
    Pierre Tanguy, Michel Remaud, Ici même





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  • André Breton, Lettres à Aube

    par Angèle Paoli

    André Breton, Lettres à Aube,
    éditions Gallimard, Collection Blanche, 2009.



    Lecture d’Angèle Paoli


    ANDRE BRETON LETTRES A AUBE






    « TU ES LA PETITE AUBE DE MES RÊVES »




    Viennent de paraître dans la prestigieuse collection Blanche des Éditions Gallimard, les lettres d’André Breton à sa fille Aube. Un très beau livre que l’on peut, avant de le lire, feuilleter pour le plaisir, en vagabondant d’une carte postale à l’autre ou en s’attardant sur les dessins-rébus d’André Breton, ses poèmes, et sur le délié de son écriture fine qui court sur le verso des cartes qu’il a choisies avec soin pour sa fille.

    Présentées et éditées par Jean-Michel Goutier, les Lettres à Aube ― complétées en fin d’ouvrage par des notes ainsi que par une postface de J.-M.G. Le Clézio ― couvrent vingt-huit années, de 1938 à 1966. Et l’on découvre, avant même de pénétrer au cœur de cette correspondance à une seule voix, une photo d’Aube, enfant, dans les bras de son père. Datée de l’automne 1940, la photo a été prise alors que Breton était réfugié à la Villa Air-Bel de Marseille. Née le 20 décembre 1935, Aube Breton, fille d’André Breton et de Jacqueline Lamba ― l’inspiratrice de L’Amour fou (1937) ― , est alors âgée de cinq ans. C’est une très jolie demoiselle aux longs cheveux d’or, une fée, qui ressemble étonnamment à son père.





    Portrait d'André Breton avec sa fille Aube, 1940
    Source





    La première carte postale adressée à « Mademoiselle Aube Breton », est postée de La Havane (Cuba). Datée de 1938, elle est signée Ada, surnom que la petite Aube, alors âgée de trois ans, a donné à son père. La dernière carte postale datée, postée de Bretagne, est adressée à Aube Elléouët. Elle porte la date du 6 mai 1966, date qui précède de quelques mois la mort d’André Breton, survenue à Paris le 28 septembre 1966. Deux autres cartes postales suivent, les deux dernières, signées André-Elisa. Postées de Bretagne, elles portent le cachet de la poste : Mai 1966.

    Les Lettres à Aube, vingt-six ans de la correspondance d’un père à sa fille, se déroulent depuis la toute petite enfance du petit oiseau bien aimé jusqu’à l’âge adulte. Entre ces deux dates butoir (1938-1966) viennent s’intercaler d’autres lettres adressées à Yves Elléouët ― appelé par Breton l’Alouette ―, qu’Aube a épousé à l’âge de vingt ans. Qu’elles viennent de l’étranger, de Saint-Cirq Lapopie, de Paris ou de Bretagne, partout court l’écriture fine et élégante d’André Breton, partout courent aussi les formules d’une tendresse infinie qui ouvrent et ferment chacun des courriers. « Chère petite fée Aube » ; « Ma petite Aube en fleurs » ; « Mon petite ange » ; « Mon soleil levant » ; « Mon petit chéri ». Et plus tard, « Chers Oiseaux de mer » ; « Chers petits zèbres  » ; « Très chers petits vous deux ». Et encore « Un baiser sur tes deux yeux » ; « Au revoir, ma petite lionne » ; « J’embrasse l’Aube et l’Alouette ». Et le lecteur découvre, attendri, les soins attentifs que le père porte à l’enfant absente, les conseils qu’il lui dispense pour qu’elle s’améliore en orthographe ou en calcul, les inquiétudes qui l’habitent lorsque le silence de sa fille se fait trop long. Car si la voix qui domine ces lettres est bien celle d’André Breton, celle de la petite Aube se fait entendre en contrepoint derrière le ton qui caractérise chacune des missives de son père. Ainsi de celle-ci, datée du 24 août 1951, dans laquelle aux reproches de l’un répondent en écho les réprimandes de l’autre :

    « Ma petite Aube, autant que je me rappelle ― il y a déjà longtemps ― tu m’as écrit une lettre de réprimandes et c’était même la première ― tiens, tiens, tiens ― que je recevais de toi. Je me suis dit qu’une semaine ou deux allait se passer et que tu atténuerais cela d’une gentillesse comme tu en as souvent : mais non, rien. Bon… ».

    La lettre précédente, datée du 28 juillet 1951, commençait ainsi:

    « Mon Aube chérie, tu sais bien que rien ne m’attriste plus moi-même que d’avoir ― et surtout par lettre quand tu es en vacances ― à t’adresser des semblants de reproches. »

    La suivante, datée du 6 septembre 1951 :

    « Ma belle Aube,

    Enfin une lettre de toi où je te retrouve. J’étais resté un peu consterné depuis l’enveloppe de ton écriture qui n’apportait qu’un certificat médical sans le moindre bonjour ».

    En dehors du sujet épineux des études, un autre leitmotiv court dans les Lettres à Aube. Celui de la négligence d’Aube vis-à-vis de son grand-père qui vit seul en Bretagne. Louis Breton se plaint à son fils de ce qu’Aube l’oublie et André Breton rappelle souvent sa fille au devoir qui est le sien :

    « je t’en prie, n’oublie pas de donner des nouvelles à ton grand-père ».

    Comme dans toute correspondance, les Lettres à Aube sont construites sur l’absence ou le silence, la séparation et les retrouvailles. Entre ces deux espaces tendus par l’attente, il y a la vie. Les événements qui en composent le visage. Avec ses voyages, ses rencontres entre amis, ses tracasseries financières ou judiciaires, ses plaisirs ― la maison de Saint-Cirq et les projets d’aménagement du jardin ―, les collections de papillons auxquels tous deux, le père et la fille, sont attachés.

    Ce qui frappe dans les Lettres à Aube, et qui perdure une fois les lettres lues et le livre refermé, c’est l’amour indéfectible qu’André Breton porte à sa fille, un amour qui s’inscrit dans la continuité de L’Amour fou.

    « Tu es la petite Aube de mes rêves ». Pour qui il écrit, « sur une feuille de papier découpée, non datée, glissée sous la porte de l’atelier d’Aube et Yves, à l’étage situé au-dessus de celui d’André et Elisa, rue Fontaine » :

             Rien que de l’herbe
             ― pour que
             ma petite Aube
             y fasse passer
                               le printemps


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli




    _______________________
    Note d’A.P. : la suite de la Correspondance d’André Breton paraîtra à compter de 2016 (cinquante ans après la mort de l’écrivain). Dans le testament de Breton, exception avait été faite pour les lettres adressées à sa femme et à sa fille Aube.






    ANDRÉ BRETON


    Breton
    Image, G.AdC




    ■ André Breton
    sur Terres de femmes



    29 novembre 1948 | Lettre d’André Breton à Aube
    16 janvier 1922 | André Breton, « L’Esprit nouveau »
    7 octobre 1926 | André Breton, Nadja
    28 septembre 1966 | Mort d’André Breton




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Terres de femmes)
    Yves Elléouët, Dans un pays de lointaine mémoire (lecture de Marie-Hélène Prouteau)
    le remarquable site Arcane 17 de Fabrice Pascaud
    → (sur le site de L’Express)
    des extraits des Lettres à Aube
    → le site
    d’Yves Elléouët
    → (sur Le Chasse-clou, le blog de Dominique Hasselmann)
    André Breton a-t-il dit place


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