Étiquette : Zibal-donna


  • | parfois elle tend le bras |




    Elle a rejoint des confins funambules
    Ph., G.AdC






    | PARFOIS ELLE TEND LE BRAS |




    Délires     son délire d’avant-mort
                                 de presque morte
    tête menue d’oiseau abandonnée
    au linceul du lit
    blancheur douloureuse sans forme ni éclat
    muscles tendus de l’avant-mort
    visage éteint
    ouvert sur un temps     autre     sans frontière
    sans limite     au sommeil éternel
    yeux clos sur une absence
    d’horizon et de temps


    parfois    elle tend le bras
    à cru dans le vide
    tente d’attraper de la main des lucioles
    ballet d’oiseau décharné air absent


    elle voit


    que voit-elle
    regard de moineau mort
    posé sur portée invisible
    lèvres affaiblies dans le non-sang
    happe insectes volants
    par myriades
    torpeur des jours sans fin ni commencement


    elle balbutie
    des mots à elle
    par cohortes
    annone marmonne murmure peut-être prie
    non ponctue
    hochements de tête      lèvres mues
    sans accroche
    sur l’avant-mort


    elle dit


    pourquoi ce capiton rouge dans mon cercueil
    je n’ai pas demandé de capiton rouge
    enlevez ce capiton rouge
    il me brûle les yeux il me brûle la peau


    elle dit


    pourquoi ta fille n’a-t-elle pas chanté
    à mon enterrement
    pourquoi
    elle aurait pu chanter
    le jour de ma mort


    elle dit


    pourquoi ne venez-vous pas
    cela fait tant de temps
    que vous n’êtes pas venus
    vous m’avez abandonnée
    ici
    où suis-je je ne sais pas


    elle dit


    mon frère est venu lui
    comme il est aveugle
    il s’est fait accompagner
    par un ami infirme
    qui ne peut plus marcher


    elle dit


    nous la regardons
    sans comprendre
    lèvres figées douleur sans réponse
    elle a rejoint des confins funambules
    franchi une frontière
    fil invisible de saute-menue
    erre dans le labyrinthe des mots
    et des morts
    ballet de la main qui feuillole dans l’air
    à la recherche de lucioles sans retour
    sans complainte


    elle nous laisse    de l’autre côté du fleuve
    dans un arrière-monde
    s’éloigne
    dans sa nuit     sans force


    yeux clos
    sur son avant-mort.




    Angèle Paoli
    D.R. Texte angelepaoli




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  • La terre s’évade




    La terre s'évade
    Ph. angèlepaoli





    LA TERRE S’ÉVADE



    Traversées de pensées

    le torrent roule ses eaux lourdes
    les fusils claquent dans le soleil

    j’invente sous la treille
    la fraîcheur de l’aube
    et le chant blême de la lune

    la tour                                  là-bas
    la tour de la mère protectrice
    me tient serrée dans ses entrailles

    ― depuis quand et toujours ―

    un chien jappe qui jamais ne cesse
    emplit le vallon de sa gouaille
    les châtaignes boguent dans la mousse
    l’hiver est en suspens             à la lisière

    l’avant-naître et l’après-

    même solitude même silence lent

    je cherche l’instant pérenne
    qui me détache du passé       du futur
    équilibre d’absence sur le fil

    dans la tiédeur du jour
    le vrillement incessant des insectes
    je guette les signes avant-coureurs
    de l’autre saison

    [ les coupes sourdes dans le maquis
    les rondins abandonnés
    à la clairière neuve
    l’odeur de bûche fraîche
    le grelot qui rythme les heures
    les trouées de trilles dans les chênes
    les froissements d’ailes
    qui brouillonnent les feuilles ]

    la terre remuée s’évade
    odeurs d’urine et de moisi

    la mer plus proche
    mer montgolfière
    dure et sereine
    monte à l’assaut du ciel

    Immobilité du matin.



    Angèle Paoli, in Visages de poésie, Anthologie, tome 3, 73, Rafael de Surtis Editeur, Cordes, février 2010.
    D.R. Texte angèlepaoli





    Voir aussi :
    – (
    sur le site de Jacques Basse) un extrait de la version manuscrite de ce poème et un portrait par Jacques Basse d’après une photo de Sarah Foliard.

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