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  • Corse_3 Notte di Poghju




    Willem de kooning, dark pond, 1948.
    Willem de Kooning, Dark Pond, 1948
    Enamel on composition board, 46 3/4 × 55 3/4”
    Frederick R. Weisman Art Foundation, Los Angeles
    © The Willem de Kooning Foundation/Artists Rights Society (ARS), New York
    Source







    NOTTE DI POGHJU



    C’est très doux comme
    main ça       mais c’est froid un peu
    même à travers la peau du jean
    c’est doux comme
    cheveux       ces boucles et blondes
    même si ― comme ne le dit pas le poème ―
    Walter va au jardin & bande*


    .


    ― le chien      se couche sur le dos
    cuisses ouvertes langue haletante ―
    qu’a-t-il à dire à faire comprendre
    est-ce appel sans détour ?


    .


    la lumière lance
    ses oiseaux-tulipes
                      reflets de lampes
    dans les vitrées
                      fenêtres ouvertes
    sur le ciel
                      ouvertes ― non ― fermées

    les grands panneaux aveugles
    absorbent la moire

    nuit entière dans le verre


    .


    le parfum d’herbes
    glisse jusqu’aux narines
    liseuses blotties dans les laines
    et les coussins      moelleux
    fenouil séché        couché
    en larges branches
                                   et par brassées
    dans le vaste vaisseau
    d’osier corbeille du maquis
    ombelles et graines

    cueillies de main experte
    par la signadora


    .


    le sanglier mijote
    odeurs d’agrumes douces
    les lumières de l’église
    ont disparu
    rien de Ginevra Bel Messer
    n’arrive jusqu’ici
          ni son sourire ni sa plainte

    ― le chien gratte derrière la porte
    derrière la vitre le chat sommeille ―


    .


    blême de silence d’absence
    ouvert sur le plafond d’étoiles
    le défunt dort
    cercueil d’ébène

    gardé par le Christ noir

    Christ noir sauvé des eaux
    veille dans son miracle
    les vivants et les morts

    la grotte est loin
    qui accueillait sous sa voûte
    déferlement de vagues
    et vaisseaux naufragés

    par quel édit muselée
    sous la citadelle


    .


    les grandes baies de verre
    absorbent le village
    la nuit boit

    ― engloutie
    l’encre des montagnes ―

    plus rien n’existe

    ni la rousseur des vignes
    ni les chevelures boisées
    ni l’effilochement des brumes

    la plongée dans l’échancrure
    des vallons se réfugie
    dans la mémoire

    la chaleur du dedans
    retient les voix dans sa lumière


    .


    un point se déplace
    dans le vide
    zèbre le verre noir
    qui avale la nuit

    ― le filanciu** suspend
    son élan silencieux ―

    le cavalier de l’orage
    rôde plein vent

    sous les nuages




    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    * Paul Blackburn, Journaux
    ** Milan royal des montagnes corses

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  • | parfois elle tend le bras |




    Elle a rejoint des confins funambules
    Ph., G.AdC






    | PARFOIS ELLE TEND LE BRAS |




    Délires     son délire d’avant-mort
                                 de presque morte
    tête menue d’oiseau abandonnée
    au linceul du lit
    blancheur douloureuse sans forme ni éclat
    muscles tendus de l’avant-mort
    visage éteint
    ouvert sur un temps     autre     sans frontière
    sans limite     au sommeil éternel
    yeux clos sur une absence
    d’horizon et de temps


    parfois    elle tend le bras
    à cru dans le vide
    tente d’attraper de la main des lucioles
    ballet d’oiseau décharné air absent


    elle voit


    que voit-elle
    regard de moineau mort
    posé sur portée invisible
    lèvres affaiblies dans le non-sang
    happe insectes volants
    par myriades
    torpeur des jours sans fin ni commencement


    elle balbutie
    des mots à elle
    par cohortes
    annone marmonne murmure peut-être prie
    non ponctue
    hochements de tête      lèvres mues
    sans accroche
    sur l’avant-mort


    elle dit


    pourquoi ce capiton rouge dans mon cercueil
    je n’ai pas demandé de capiton rouge
    enlevez ce capiton rouge
    il me brûle les yeux il me brûle la peau


    elle dit


    pourquoi ta fille n’a-t-elle pas chanté
    à mon enterrement
    pourquoi
    elle aurait pu chanter
    le jour de ma mort


    elle dit


    pourquoi ne venez-vous pas
    cela fait tant de temps
    que vous n’êtes pas venus
    vous m’avez abandonnée
    ici
    où suis-je je ne sais pas


    elle dit


    mon frère est venu lui
    comme il est aveugle
    il s’est fait accompagner
    par un ami infirme
    qui ne peut plus marcher


    elle dit


    nous la regardons
    sans comprendre
    lèvres figées douleur sans réponse
    elle a rejoint des confins funambules
    franchi une frontière
    fil invisible de saute-menue
    erre dans le labyrinthe des mots
    et des morts
    ballet de la main qui feuillole dans l’air
    à la recherche de lucioles sans retour
    sans complainte


    elle nous laisse    de l’autre côté du fleuve
    dans un arrière-monde
    s’éloigne
    dans sa nuit     sans force


    yeux clos
    sur son avant-mort.




    Angèle Paoli
    D.R. Texte angelepaoli




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