éditions Gallimard, Collection Blanche, 2009.
Lecture d’Angèle Paoli
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Viennent de paraître dans la prestigieuse collection Blanche des Éditions Gallimard, les lettres d’André Breton à sa fille Aube. Un très beau livre que l’on peut, avant de le lire, feuilleter pour le plaisir, en vagabondant d’une carte postale à l’autre ou en s’attardant sur les dessins-rébus d’André Breton, ses poèmes, et sur le délié de son écriture fine qui court sur le verso des cartes qu’il a choisies avec soin pour sa fille. Présentées et éditées par Jean-Michel Goutier, les Lettres à Aube ― complétées en fin d’ouvrage par des notes ainsi que par une postface de J.-M.G. Le Clézio ― couvrent vingt-huit années, de 1938 à 1966. Et l’on découvre, avant même de pénétrer au cœur de cette correspondance à une seule voix, une photo d’Aube, enfant, dans les bras de son père. Datée de l’automne 1940, la photo a été prise alors que Breton était réfugié à la Villa Air-Bel de Marseille. Née le 20 décembre 1935, Aube Breton, fille d’André Breton et de Jacqueline Lamba ― l’inspiratrice de L’Amour fou (1937) ― , est alors âgée de cinq ans. C’est une très jolie demoiselle aux longs cheveux d’or, une fée, qui ressemble étonnamment à son père. Source La première carte postale adressée à « Mademoiselle Aube Breton », est postée de La Havane (Cuba). Datée de 1938, elle est signée Ada, surnom que la petite Aube, alors âgée de trois ans, a donné à son père. La dernière carte postale datée, postée de Bretagne, est adressée à Aube Elléouët. Elle porte la date du 6 mai 1966, date qui précède de quelques mois la mort d’André Breton, survenue à Paris le 28 septembre 1966. Deux autres cartes postales suivent, les deux dernières, signées André-Elisa. Postées de Bretagne, elles portent le cachet de la poste : Mai 1966. Les Lettres à Aube, vingt-six ans de la correspondance d’un père à sa fille, se déroulent depuis la toute petite enfance du petit oiseau bien aimé jusqu’à l’âge adulte. Entre ces deux dates butoir (1938-1966) viennent s’intercaler d’autres lettres adressées à Yves Elléouët ― appelé par Breton l’Alouette ―, qu’Aube a épousé à l’âge de vingt ans. Qu’elles viennent de l’étranger, de Saint-Cirq Lapopie, de Paris ou de Bretagne, partout court l’écriture fine et élégante d’André Breton, partout courent aussi les formules d’une tendresse infinie qui ouvrent et ferment chacun des courriers. « Chère petite fée Aube » ; « Ma petite Aube en fleurs » ; « Mon petite ange » ; « Mon soleil levant » ; « Mon petit chéri ». Et plus tard, « Chers Oiseaux de mer » ; « Chers petits zèbres » ; « Très chers petits vous deux ». Et encore « Un baiser sur tes deux yeux » ; « Au revoir, ma petite lionne » ; « J’embrasse l’Aube et l’Alouette ». Et le lecteur découvre, attendri, les soins attentifs que le père porte à l’enfant absente, les conseils qu’il lui dispense pour qu’elle s’améliore en orthographe ou en calcul, les inquiétudes qui l’habitent lorsque le silence de sa fille se fait trop long. Car si la voix qui domine ces lettres est bien celle d’André Breton, celle de la petite Aube se fait entendre en contrepoint derrière le ton qui caractérise chacune des missives de son père. Ainsi de celle-ci, datée du 24 août 1951, dans laquelle aux reproches de l’un répondent en écho les réprimandes de l’autre : « Ma petite Aube, autant que je me rappelle ― il y a déjà longtemps ― tu m’as écrit une lettre de réprimandes et c’était même la première ― tiens, tiens, tiens ― que je recevais de toi. Je me suis dit qu’une semaine ou deux allait se passer et que tu atténuerais cela d’une gentillesse comme tu en as souvent : mais non, rien. Bon… ». La lettre précédente, datée du 28 juillet 1951, commençait ainsi: « Mon Aube chérie, tu sais bien que rien ne m’attriste plus moi-même que d’avoir ― et surtout par lettre quand tu es en vacances ― à t’adresser des semblants de reproches. » La suivante, datée du 6 septembre 1951 : « Ma belle Aube, Enfin une lettre de toi où je te retrouve. J’étais resté un peu consterné depuis l’enveloppe de ton écriture qui n’apportait qu’un certificat médical sans le moindre bonjour ». En dehors du sujet épineux des études, un autre leitmotiv court dans les Lettres à Aube. Celui de la négligence d’Aube vis-à-vis de son grand-père qui vit seul en Bretagne. Louis Breton se plaint à son fils de ce qu’Aube l’oublie et André Breton rappelle souvent sa fille au devoir qui est le sien : « je t’en prie, n’oublie pas de donner des nouvelles à ton grand-père ». Comme dans toute correspondance, les Lettres à Aube sont construites sur l’absence ou le silence, la séparation et les retrouvailles. Entre ces deux espaces tendus par l’attente, il y a la vie. Les événements qui en composent le visage. Avec ses voyages, ses rencontres entre amis, ses tracasseries financières ou judiciaires, ses plaisirs ― la maison de Saint-Cirq et les projets d’aménagement du jardin ―, les collections de papillons auxquels tous deux, le père et la fille, sont attachés. Ce qui frappe dans les Lettres à Aube, et qui perdure une fois les lettres lues et le livre refermé, c’est l’amour indéfectible qu’André Breton porte à sa fille, un amour qui s’inscrit dans la continuité de L’Amour fou. « Tu es la petite Aube de mes rêves ». Pour qui il écrit, « sur une feuille de papier découpée, non datée, glissée sous la porte de l’atelier d’Aube et Yves, à l’étage situé au-dessus de celui d’André et Elisa, rue Fontaine » :
Rien que de l’herbe ― pour que ma petite Aube y fasse passer le printemps
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| ANDRÉ BRETON Image, G.AdC ■ André Breton sur Terres de femmes ▼ → 29 novembre 1948 | Lettre d’André Breton à Aube → 16 janvier 1922 | André Breton, « L’Esprit nouveau » → 7 octobre 1926 | André Breton, Nadja → 28 septembre 1966 | Mort d’André Breton ■ Voir aussi ▼ → (sur Terres de femmes) Yves Elléouët, Dans un pays de lointaine mémoire (lecture de Marie-Hélène Prouteau) → le remarquable site Arcane 17 de Fabrice Pascaud → (sur le site de L’Express) des extraits des Lettres à Aube → le site d’Yves Elléouët → (sur Le Chasse-clou, le blog de Dominique Hasselmann) André Breton a-t-il dit place |
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