Gabriela Mistral | La cendre

« Poésie d’un jour »



LA CENDRE
Ph., G.AdC





LA CENIZA



La ceniza es ligera y callada.
      La ceniza callada viuda del gayo fuego, que no brinca más con treinta piernas doradas y rojas; viuda del fuego-centauro, que siempre
vencía tirando esparadazos azules. La ceniza sin fiesta, tumbada como la viuda hindú.
      La ceniza beguina, oración sin ímpetu, oración arrodillada sin un levantamiento de palabra en el pecho.
      La ceniza esposa del fuego, que lo cubría un poco como una mujer, para guardarlo en el tizón rosado.
      La ceniza gris, sin niguna voz para su pequeña derrota; con callada muerte de pobre.
      La ceniza clara, que deja la leña tierna, felpa de cariño, parecida a una mejilla de madre vieja, como el pliegue tibio que hace el cuello
humano debajo del mentón, tibia también como una pequeña lagartija muerta que ya se voltea con la mano y no responde.
      La ceniza acre de la lengua que no quiere ser probada, áspera por voluntad de pureza, como la nuez.
      La ceniza que ayuda a la tierra fecundarse, hermana sin hijo que alimenta al otro.
      La ceniza buena de la muerte; un copo liviano sobre la boca que ya no avienta más. Buen sayal de muerte que cae sin pliegues de la cabeza a los pies, tan largo como se quiera, tan espeso como el corazón, para ensordecerse.
      La ceniza con su olor fuerte de substancia absoluta, sabe alejar de la carne tendida las hormigas largas de la muerte, la mosca grande de la muerte (1).


Noviembre de 1926.




Gabriela Mistral, Elogio de las cosas de la tierra, Editorial Andrés Bello, Santiago, 1979, pp. 76-77. Seleccion y prologo de Roque Esteban Scarpa.




(1) Hay otra versión de la misma prosa, con variantes.






LA CENDRE


La cendre est légère et silencieuse.

      La cendre, veuve du feu joyeux, qui ne peut plus sauter sur ses trente jambes rouges, du Centaure aux mille lances toujours victorieuses, mais qui a dû finir par mourir… La cendre sans fête, anéantie comme la veuve hindoue.
      La cendre-béguine, oraison privée d’élan, prière sans mots qui s’élèvent dans le cœur : la Grise, incapable de tout cri dans son petit écroulement, avec sa mort muette de pauvre.
      La cendre claire qui fait le bois tendre, velours d’amour, pareille à la grande ride qui traverse le cou de la vieille mère, et tiède comme un oiseau qui vient de mourir mais qui se retourne encore et ne répond plus.
      La cendre des arbres amers, qui est âcre sur la langue, qui refuse d’être goûtée, rude par volonté de pureté.
      La cendre qui aide la terre à se féconder, la sœur sans enfant qui nourrit celui de l’autre.

   La cendre est légère et silencieuse.

      Bonne cendre de la mort : un flocon sans poids sur la bouche qui déjà n’évente plus rien. Bonne robe de bure qui tombe sans pli, de la tête aux pieds, aussi longue qu’on veut, aussi épaisse qu’on le désire, pour bien s’assourdir.
      La cendre, qui éloigne de la chair étendue la longue fourmi de la mort, l’affreuse mouche de la mort.




Gabriela Mistral, Éloges des choses, in Proses, Poèmes choisis, Éditions Stock, 1946, pp. 181-182. Traduction de Francis de Miomandre. Préface de Paul Valéry.






LA CENDRE



      La cendre est légère et muette.


      La cendre, veuve du feu joyeux, qui ne bondit que sur trente jambes dorées et rouges ; veuve du feu-centaure qui vainc toujours à coups d’épées d’azur. La cendre sans fête, gisante comme la veuve hindoue.

      La cendre-béguine, oraison sans élan, oraison agenouillée ― sans mots qui s’élèvent dans la poitrine.

      La cendre, épouse du feu qui le couvrait un peu comme une femme, pour lui garder un tison rosissant.

      La cendre grise, sans voix dans sa petite défaite, sa mort muette de pauvre.

      La cendre claire que fait bois tendre, velours de tendresse, pareille à la grande ride qui traverse jusqu’au menton le cou de la vieille mère ; tiède comme le petit lézard qui vient de mourir, et qui gît, ventre à l’air, sans plus répondre.

      La cendre âcre de la langue qui refuse d’être goûtée, rugueuse par volonté de pureté ― comme la noix.

      La cendre qui aide la terre à se féconder, la sœur sans enfant qui nourrit celui de l’autre.

      La cendre est légère et muette

      La bonne cendre de la mort : flocon sans poids sur la bouche qui n’évente plus rien. La bonne cendre de bure de la mort qui tombe sans pli de la tête aux pieds, aussi longue qu’on le veut, aussi épaisse que le cœur le désire pour bien s’assourdir.

      La cendre, qui, par sa forte odeur de substance absolue, éloigne de la chair étendue les longues fourmis de la mort, l’affreuse mouche de la mort.


novembre 1926




Traduction inédite de Denise Le Dantec.
D.R. Denise Le Dantec pour Terres de femmes





■ Gabriela Mistral
sur Terres de femmes


Cordillera
Désolation
L’étrangère
15 novembre 1945/Gabriela Mistral, Prix Nobel de littérature
→ (dans la galerie Visages de femmes de Terres de femmes)
un autre poème de Gabriela Mistral (Ausencia)


Pour lire et/ou écouter d’autres poèmes (en espagnol) de Gabriela Mistral, cliquer
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Commentaires

  1. Avatar de Denise Le Dantec
    Denise Le Dantec

    Je ne connaissais pas cette traduction de de Miomandre. Valéry a été très bien avec Gabriela Mistral, écrivant son éloge — que GM n’a pas aimé … Ils étaient concurrents pour le Nobel…
    Ce que je sais c’est que c’est un « lézard » et non un « oiseau » mais de Miomandre était plus esthète que moi : le lézard c’est moins joli pour un Européen qu’un oiseau; néanmoins G M écrit « lézard « , et cet animal se retrouve souvent dans ses textes, où seuls apparaissent les oiseaux de mer.
    Il est regrettable que les « éloges » écrits par GM ne soient pas publiés. J’en ai fait la traduction mais n’ai pas eu le temps de les proposer à une maison d’édition…

  2. Avatar de sylvie durbec
    sylvie durbec

    Voir ce qu’écrit Robert Walser sur la cendre…

  3. Avatar de sylvie durbec
    sylvie durbec

    Lézard/oiseau…Même si on retrouve une sonorité proche, ce n’est pas du tout la même image!

  4. Avatar de Yves
    Yves

    Bien mystérieux pour quelqu’un qui a traduit Unamuno, Calderon, Cervantes, Asturias, Lydia Cabrera,… (du coup, je viens de voir qu’il avait eu le Prix Goncourt en 1908), et qui est aussi le dédicataire d’un des poèmes du recueil Tala de Gabriela Mistral : «L’étrangère». Mais pourquoi donc Gabriela Mistral a-t-elle accepté qu’un petit lézard devienne un oiseau ? Je crains que le mystère ne soit jamais vraiment levé. Il n’est toutefois pas inintéressant de relire la postface du traducteur (en l’occurrence Roger Caillois) des Poèmes de Gabriela Mistral (dans l’édition Gallimard, et non plus celle de Stock, toujours de 1946). J’en cite un extrait : «Quant aux mots – et ils sont nombreux – qui nomment des arbres et des animaux du Nouveau-Monde, qui sont inconnu dans celui-ci, je les ai transposés le plus possible, après entente avec l’auteur [c’est moi qui souligne] et sans m’imposer toutefois de règle fixe : chaque cas a reçu une solution particulière. En traduisant coipu par castor, je commets sciemment une erreur. Glosant, guayacán et espíno par les «arbres les plus durs», je sais que je m’éloigne du texte. Mais je ne pouvais laisser tels quels ces mots déroutants : ils auraient pris dans la version française une valeur exotique tirant l’œil, excitant l’attention et la curiosité , qu’ils n’ont pas, qu’ils ne doivent avoir en aucun cas dans un langage tout familier, tout immédiat, qui fuit le pittoresque et la recherche, où il n’est jamais question que des choses parmi lesquelles chacun a grandi. Cette poésie ne dépayse jamais. Au contraire, elle installe l’âme comme dans le paysage de son enfance, là où tout est simple et connu depuis toujours ; et les émotions mêmes qu’elle exprime semblent participer d’on ne sait quelle stabilité essentielle, véritablement libérée de la «Grande Mort», d’une stabilité qui va de soi et dont le cœur comprend soudain, maintenant qu’elle lui est révélée, qu’il l’avait acceptée en naissant, sans le savoir.»

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