e.e. Cummings | Memorabilia

« Poésie d’un jour »

Topique : Venise



Listen Venezia
Ph., G.AdC






XXVII


MEMORABILIA




stop look &

listen Venezia*: incline thine
ear you glassworks
of Murano;
pause

elevator nel

mezzo del cammin’ that means half-
way up the Campanile, believe

thou me cocodrillo** —

mine eyes have seen
the glory of

the coming of
the Americans particularly the
brand of marriageable nymph which is
armed with large legs rancid
voices Baedekers Mothers and kodaks
—by night upon the Riva Schiavoni or in
the felicitous vicinity of the de l’Europe

Grand and Royal
Danielli their numbers

are like unto the stars of Heaven….

i do signore
affirm that all gondola signore
day below me gondola signore gondola
and above me pass loudly and gondola
rapidly denizens of Omaha Altoona or what
not enthusiastic cohorts from Duluth God only,
gondola knows Cincingondolanati i gondola don’t

—the substantial dollarbringing virgins
“from the Loggia where
are we angels by O yes
beautiful we now pass through the look
girls in the style of that’s the
foliage what is it didn’t Ruskin
says about you got the haven’t Marjorie
isn’t this wellcurb simply darling”
—O Education:O

thos cook & son

(O to be a metope
now that triglyph’s here) ***




Edward Estlin Cummings, Memorabilia, in is 5, Complete Poems 1904-1962, edited by George J. Firmage, New York, Liveright Publishing Corporation, centennial edition publishing 1994, page 254.







I


MEMORABILIA




arrête regarde &

écoute Venezia : prêtez-moi
l’oreille verreries
de Murano ;
un temps
ascenseur nel
mezzo del cammin’ ça veut dire à mi-
hauteur du Campanile, crois-

m’en cocodrillo —

j’ai vu de mes yeux
la gloire de

la venue
des Américaines en particulier le
modèle nymphe à marier
équipé de grosses guibolles voix
rance Baedeker Maman et kodak
— la nuit sur la Riva degli Schiavoni ou dans
les bienheureux parages des de l’Europe

Grand et Royal
Danieli aussi

nombreuses que les étoiles du Paradis…

ça oui signore
j’atteste que toute la gondola signore
journée dessous moi gondola signore gondola
et dessus moi passent bruyamment et gondola
rapidement citoyenne d’Omaha Altoona ou quoi
d’autre en cohortes fanatiques venues de Duluth Dieu seul,
gondola le sait Cincingondolanati moi gondola pas

— les consistantes vierges bourrées de dollars

“depuis la Loggia où
sommes-nous des anges là Oh oui
magnifique nous traversons à présent le regardez
les filles dans le goût de ce sont des
rinceaux qu’est-ce que c’est n’as-tu pas Ruskin
en parle t’a pris le non l’ai oublié Marjorie cette
margelle n’est-elle pas simplement adorable”
— Ô Education : Ô

thomas cook & fils

(Ô être un métope
maintenant que triglyphe est là)




e.e. Cummings, Memorabilia in revue Grumeaux, numéro deux — L’impossible, Éditions Nous, novembre 2010, pp. 316-317. Traduction inédite de Jacques Demarcq.




____________________________________________
Notes d’AP :

* Ce poème a été écrit au lendemain du voyage de e.e. Cummings à Venise (fin juillet 1922)
* * Allusion au crocodile que foule au pied saint Théodore en haut d’une des deux colonnes de la piazzetta San Marco
*** Parodie des premiers vers de « Home Thoughts, from Abroad » de Robert Browning : « Oh to be in England | Now that April’s there. »





■ e.e. Cummings
sur Terres de femmes

Beautiful
[goodby Betty, don’t remember me]
[my lady is an ivory garden]



■ Voir aussi ▼

→ (sur le site American Poems) une
bio-bibliographie d’e.e. Cummings (+ un choix de 153 poèmes)
→ (sur scribd.com)
l’intégralité des poèmes d’e.e. Cummings
→ (sur le site de la revue de traduction Palimpsestes)
Antoine Cazé, « E. E. Cummings : (dé)composition d’adjectifs, inventivité linguistique et traduction », Palimpsestes [En ligne], 19 | 2007, mis en ligne le 01 janvier 2009, consulté le 19 janvier 2012
le site des éditions NOUS





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Commentaires

  1. Avatar de Martine

    Combien l’évocation de Venise dans mon souvenir est plus abordable émotionnellement…
    Combien souffle aussi un vent de folie (non inutile dans la poésie d’aujourd’hui…la mienne comprise…) dans la syntaxe de ce poète,difficile à suivre souvent… et entre deux tarabiscotages linguistiques, un éclair de génie !
    La question est de doser le vent, mais e.e. ne peut faire autrement !

  2. Avatar de Mahdia Benguesmia
    Mahdia Benguesmia

    Dans ce bel enchantement du mot arrêté à mi-hauteur du « regarder-écouter »,le poète nous fait pénétrer la cité qui dans toutes les langues se prononce avec hilarité.
    Venise ne peut en effet être dite et chantée que sensoriellement et sensuellement comme ici où le « a » ouvert de Venezia se verse agréablement dans la Riva et fait voguer la gondola la plus charmeuse de l’eau du mot.
    Pris dans le tourbillon du « beautiful » et du « darling » d’une autre langue, les mots ici s’embrassent dans l’eau d’une cité pâmée dans son eau.

  3. Avatar de Angele Paoli

    La confrontation explosive de Venise (de l’expérience vénitienne) avec la langue de Cummings me réjouit. Je trouve à ce fusionnement quelque chose de très mystérieux, d’inexplicable presque. Qui tient à l’inventivité du poète. A son délire et à son humour. Il y a là une liberté, un sens ludique que je ne connais réellement que chez les grands poètes américains.
    Merci, Martine et Mahdia, de votre amitié et de votre confiance.

  4. Avatar de Martine

    A quels autres poètes américains penses-tu, Angèle?
    (Je ne connais pas beaucoup leurs oeuvres, j’ai lu des passages savoureux de J. Kerouac – dans Le Livre des Esquisses -, c’est à peu près tout…)
    Merci pour tout ce que tu nous apportes………
    Bacibacibaci…

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