3 janvier 1952 | Lettre de Nicolas de Staël à René Char

Éphéméride culturelle à rebours



Composition sans titre pour rene-char nicolas de stael (1)
Nicolas de Staël
Composition sans titre pour René Char, 1952
Lithographie originale, 9/15, atelier Jean Pons, Paris
Source





Paris, 3 janvier 1952






         Cher René,


         Pensé à toi ce matin. Si tu envisages de donner ta pièce à Vilar* au moment propice pour le TNP, pense sérieusement à la possibilité de faire gueuler certains acteurs en scandant. N’oublie pas les Grecs. Cela me fait faire du souci, ton passage à la rampe dans cet endroit.
Pense à l’idée de chœur scandant, mâchant tes mots. Pense aux places à quatre sous où les voix parviennent à peine, là.
         Le chœur parlé n’est pas difficile pour toi en coupe.
         Exige un rétrécissement de la scène hauteur-largeur.
         Supprime quatre à six rangées de fauteuils pour créer une zone neutre.

         Bon, excuse-moi, ça passe par ma tête comme cela.
         Pour ton ballet**, l’idéal serait une couleur par tableau.
         Un tableau blanc, blanc, blanc.
         Un bleu.
         Un rose.

         Au point de vue composition, c’est important. Le lieu de l’action ne doit pas changer nécessairement, mais alors c’est l’heure dans le ciel.
         Indique-moi cela précisément.
         Merci.


         De tout cœur.


         Nicolas




Notes de Marie-Claude Char :

* Jean Vilar souhaitait adapter au TNP Le Soleil des eaux de René Char, édition illustrée par Georges Braque, dont Nicolas de Staël possédait un exemplaire. Char refusa, estimant que le texte n’avait pas assez de dialogues pour le théâtre.

** Le projet de ballet « L’abominable Homme des neiges » s’inspire du texte « Bois de Staël », écrit par René Char lors de l’exposition du 12 décembre 1951, évoquant la découverte d’empreintes « humaines » géantes sur les flancs de l’Himalaya. René Char en confia les décors à Nicolas de Staël, qui réalisa de nombreux dessins et aquarelles préparatoires, puis se mit en quête d’un compositeur.




René Char | Nicolas de Staël, Correspondance 1951-1954, Éditions des Busclats, 2010, pp. 86-87.





           « Pour entendre la voix de ces lettres, pour la placer dans leur timbre, il faut s’éclairer à la lumière de ces années 1951-52-53, heure d’ouverture de l’atelier du peintre à la voix du poète. Et savoir que sur la tranche du siècle, un livre parmi les plus beaux Poèmes de René Char aura consacré leur amitié.
          René Char naît en 1907 à L’Isle-sur-Sorgue. Nicolas de Staël en 1914 à Saint-Pétersbourg. Ils ont respectivement 44 et 37 ans au moment de l’embrasement d’un feu commun. « L’artisanat furieux » avec sa « roulotte rouge au bord du clou » posera son regard sur les tableaux « Ressentiment » ou « Jour de fête ».
          C’est ainsi que Le Marteau sans maître dans ses fulgurances aura été surpris par une amitié dont on peut dire qu’elle brûla comme « le vent parcourt une année en une nuit ».
          Cette toute première lettre de René Char adressée au peintre ouvre les battants d’un large portail sur leur amitié naissante sans réserve. Elle énumère le premier choc reçu de l’œuvre et celui de la personnalité du peintre — la mesure prise d’un acte de création dans un atelier à envergure de cathédrale, la présence de Françoise de Staël, qui « donne des vergers d’oliviers aux instants qu’elle gouverne », et enfin, dans l’attachement d’une première rencontre qui laisse présager un échange fructueux, des événements à venir, René Char quitte ce jour-là l’atelier en emportant une œuvre qu’il met au mur, et lui offre une « vraie et fraîche émotion ».


Anne de Staël, Extrait de l’Avant-Propos (mai 2010) in op. cit. supra, pp. 9-10.






Char - de Stael jpg 3





■ Voir aussi ▼

→ (sur Terres de femmes)
16 mars 1955 | Mort de Nicolas de Staël
→ (sur YouTube) une video Gabriel Fauré, Pavane – Nicolas de Staël








■ René Char
sur Terres de femmes

14 juin 1907 | Naissance de René Char
Dame qui vive, c’est elle
Juvénile devenir
La chambre dans l’espace
La frontière en pointillé
Souvent Isabelle d’Égypte






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Commentaires

  1. Avatar de jj dorio

    en écho pour célébrer l’an deux mille onze qui est venu et nos solidarités de Terres de femmes à Poésie mode d’emploi

    amitiés

    JJ

    POÈME TROUVÉ SUR UN QUAI DES MARTIGUES

    Je n’ai pas la force de parachever mes tableaux
    Nicolas de Staël (Antibes, 16 mars 1955 )

    Ce dimanche de septembre
    masques et bergamasques
    en tenues chamarrées
    volettent sur le quai
    Les Martigues
    une toile de Staël
    et ce matin aussi
    de l’autre côté du chenal
    trois mouettes qui viennent
    vont tombent
    et se reprennent
    Mais ici
    point de rempart d’Antibes
    et de maison de peintre
    en aplomb
    des Grands Quais…

  2. Avatar de christiane
    christiane

    NICOLAS DE STAËL

    « Le champ de tous et celui de chacun, trop pauvre, momentanément abandonné,
    Nicolas de Staël nous met en chemise et au vent la pierre fracassée.
    Dans l’aven des couleurs, il la trempe, il la baigne, il l’agite, il la fronce.
    Les toiliers de l’espace lui offrent un orchestre.
    Ô toile de rocher, qui frémis, montrée nue sur la corde d’amour !
    En secret un grand peintre va te vêtir, pour tous les yeux, du désir le plus entier et le moins exigeant. »
    1952
    Recherche de la base et du sommet
    II. Alliés substantiels.

    (René Char, Œuvres complètes, nrf, Bibliothèque de la Pléiade, 1983, p. 702.)

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