Tomas Tranströmer | Schubertiana, I

« Poésie d’un jour »




Richard Berenholtz
« un point de vue d’où l’on peut, d’un seul coup d’œil,
embrasser les foyers de huit millions d’hommes »

Ph. Richard Berenholtz
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SCHUBERTIANA



I




I kvällsmörkret på en plats utanför New York, en utsiktspunkt där man med en enda blick kan omfatta åtta miljoner människors hem.

Jättestaden där borta är en lång flimrande driva, enspiralgalax från sidan.

Inne i galaxen skjuts kaffekoppar över disken, skyltfönstren tigger av förbipasserande, ett vimmel avskor som inte sätter några spår.

De klättrande brandstegarna, hissdörrarna som glider ihop, bakom dörrar med polislås ett ständigt svall av röster.

Hopsjunkna kroppar halvsover i tunnelbanevagnarna, de framrusande katakomberna.

Jag vet också ― utan all statistik ― att just nu spelas Schubert i något rum därborta och att för någon är de tonerna verkligare än allt det andra.



Tomas Tranströmer, Sanningsbarriären, Bonnier, Stockholm, 1978.












I




À la nuit tombante, sur une place en dehors de New York, un point de vue d’où l’on peut, d’un seul coup d’œil, embrasser les foyers de huit millions d’hommes.

L’immense ville, là-bas, est une longue congère scintillante, une nébuleuse spirale vue de côté.

Dans cette galaxie, on fait glisser des tasses de café sur les comptoirs, les vitrines demandent l’aumône aux passants, un grouillement de chaussures qui ne laissent aucune trace.

Les échelles d’incendie grimpent aux façades, les portes des ascenseurs se rejoignent, un perpétuel flot de paroles derrière les portes verrouillées.

Des corps affaissés somnolent dans les wagons du métro, ces catacombes qui filent droit devant.

Je sais aussi ― sans aucune statistique ― qu’à cet endroit précis, dans une de ces chambres là-bas, on joue du Schubert et que ces notes pour quelqu’un sont plus réelles que tout le reste.



Tomas Tranströmer, La Barrière de vérité, in Baltiques, Œuvres complètes 1954-2004, Gallimard, Collection Poésie, 2004, page 220. Traduit du suédois et préfacé par Jacques Outin. Postface de Renaud Ego. © Le Castor Astral, 1996 et 2004, pour la traduction française.





TOMAS   TRANSTRÖMER


Tranströmer
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■ Tomas Tranströmer
sur Terres de femmes

Från berget | De la montagne



■ Voir | écouter aussi ▼

→ (sur le site Lyrikline)
le poème Schubertiana dit par Tomas Tranströmer
→ (sur le site Œuvres ouvertes de Laurent Margantin )
Tomas Tranströmer, langage au-delà du langage
→ (sur le site du Matricule des Anges)
une recension de Marc Blanchet sur la publication en français des Œuvres complètes de Tomas Tranströmer
→ (sur le site du Monde)
un article de Nils C. Ahl sur Tomas Tranströmer (article paru le soir de l’annonce du Prix Nobel de Littérature 2011)
→ (sur Liminaire)
une page consacrée à Tomas Tranströmer
→ (sur le site du Printemps des poètes)
un article de Jean-Pierre Siméon paru dans Médiapart le 17 octobre 2011 [PDF]





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Commentaires

  1. Avatar de christiane
    christiane

    Extraordinaire recherche de l’intime perdu dans l’immensité et la multitude de cette ville, dans ce très beau texte de Tomas Tranströmer. Musique idéalement choisie. Terres de Femmes allège tant la vie par sa beauté. J’y puise des raisons de ne pas désespérer de ce monde. Merci à tous trois.

  2. Avatar de frenchpeterpan

    je découvre, comme beaucoup… ; même nous, qui devrions « être » au courant vu que je suis la seule personne que je connaisse dans mon monde à acheter des livres de poésie ; la poésie du nouveau prix Nobel est inégale (lu Baltiques), mais ce qui est réussi est TRÈS réussi
    bravo pour ton site Angèle qui est un sommet de sans-faute

    amitiés / Marco

  3. Avatar de Martine

    Tu es une voyante Angèle qui sait reconnaître l’insaisissable génie…
    baisers

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