Jean-Louis Giovannoni, Mère

« Poésie d’un jour »



Poli, Mémoire du silence
© Ph. Jean-Philippe Poli, Musso, in Mémoire silencieuse
Source photo


« Difficile de le reconnaître, mais c’est la mort de ma mère
qui m’a fait naître à la poésie. Poussé par elle vers les mots. Comme
un endroit possible dans l’irrespirable.
 » (Jean-Louis Giovannoni)







MÈRE


À Marie-Louise Chiabrandi
(morte le 15 janvier 1974)




Mère
d’entre les glaises
d’entre les cailloux
    les racines
il t’est permis
    de continuer ton ouvrage coutumier
de tricoter
des prés d’herbe
d’entre les dents
d’entre les cuisses
    pour que je les enfile
avant que viennent tous ces hivers
ces hivers où je ne pourrai plus
    frayer vers ton centre
ces hivers où tu te durcis





S’il m’est permis de t’amener du bois
pour te faire une flambée
de te décercueiller dans mes gestes
de te rejoindre dans le compact de l’air
de t’y ovuler
et de t’établir à nouveau dans l’espace
pour te paroler dans le corps
    te refolier le regard





Mère
maintenant qu’il t’est permis
de compter parmi le vent
    d’y poudroyer
    de t’organiser dans cet autre rythme
    d’apprendre cette autre musique
    de l’écoulement
si tu pouvais venir dans ce vent
    avec tout ton savoir
    de terre
    de sécheresse
te coller à ma gorge
m’y apprendre la soif
et la marche qu’il faut que je fasse
pour que tu me réhydrates
pour que tu me repulpes





Mère
apprends-moi
    de ta demeure
    de terre
    d’eau
    d’espace
l’explosion condensée
de tes pierres
de tes bois…
pour que je m’installe enfin dans l’usure.




1er février 1974, Saint-Maur des Fossés




Jean-Louis Giovannoni, revue Sémaphore n° 7, association CIDELE, Angoulême, décembre 1999, in Garder le mort [1975] suivi de Mère, Fissile, Collection pire, 09310 Les Cabannes, 2009, pp. 87-88-89-90. Préface de Bernard Noël.




NOTE D’AP : Mère a aussi fait l’objet d’une édition à tirage limité (sept exemplaires) aux éditions Unes, sur l’initiative de Jean-Pierre Sintive, à l’occasion du 10e anniversaire (1984) de la mort de la mère de l’auteur. C’est après avoir lu Garder le mort de Jean-Louis Giovannoni (éditions Athanor, 1975. Préface de Jean-Luc Maxence) et Du chien les bonbonnes de Bernard Lamarche-Vadel que Jean-Pierre Sintive avait pris la décision de devenir imprimeur-éditeur.






Jean-Louis Giovannoni, Garder le mort



JEAN-LOUIS GIOVANNONI


Giovannoni
Ph. © Fabienne Vallin
Source




    Originaire de Morosaglia et du hameau de Caroneo [u Carognu] sur la commune de Monte (près de Olmu, dans le Casacconi, Haute-Corse) par son père, et d’origine italienne par sa mère (Marie-Louise Chiabrandi), Jean-Louis Giovannoni est né le 7 janvier 1950 à Paris, où il réside aujourd’hui. Il a exercé juqu’en 2012 la profession d’assistant de service social dans un hôpital psychiatrique de la région parisienne. Il a fondé et dirigé avec Raphaële George (1951-1985) Les Cahiers du Double de 1977 à 1981. Membre du comité de rédaction du Nouveau Recueil de 2005 à 2007, il a publié dans de nombreuses revues : Exit, Sgraffite, Poésie I, L’Animal, Atelier Contemporain, Recueil, Le Nouveau Recueil, Mai hors saison, Inculte, Revue littéraire, Sud, L’Autre, Tout est suspect, Actions poétiques, L’Ire des vents,…, et a publié plus d’une vingtaine de recueils, depuis Garder le mort (1975) jusqu’à L’Échangeur souterrain de la gare Saint-Lazare (éditions Unes, 2020).

    Jean-Louis Giovannoni a reçu en 2010 le prix Georges-Perros et a été président de la Maison des écrivains et de la littérature en 2011-2012.




■ Jean-Louis Giovannoni
sur Terres de femmes


[Ne me laisse pas ici parmi les ombres !] (extrait de L’air cicatrise vite)
Ce que l’immobile tient pour geste (extrait de Pastor, Les Apparitions de la matière)
Envisager (lecture de Tristan Hordé)
L’Échangeur souterrain de la gare Saint-Lazare (lecture d’AP)
[Vue imprenable] (extrait de L’Échangeur souterrain de la gare Saint-Lazare)
[Huitième voyage à Saint-Maur]
Îles circulaires
[Il faut si peu de chose]
Issue de retour (lecture d’Isabelle Lévesque)
Issue de retour (lecture d’AP)
[Je ne sais pourquoi l’autruche me fascine autant] (extrait de Journal d’un veau)
[Le jour se lève] (extrait de Sous le seuil)
[Notre voix] (extrait de Ce lieu que les pierres regardent)
[Nous venons d’un pays qu’on ne peut plus toucher] (extrait de On naît et disparaît à même l’espace)
[Pourras-tu encore témoigner…] (extrait des Mots sont des vêtements endormis)
Sous le seuil (note de lecture d’AP)
[toujours cette envie de t’ouvrir]
[Tout se cicatrise] (extrait de Garder le mort)
[Troisième voyage à Saint-Maur]
Voyages à Saint-Maur (note de lecture d’AP)
Jean-Louis Giovannoni | Stéphanie Ferrat, « Les Moches » (note de lecture d’AP)
Jean-Louis Giovannoni | Marc Trivier, Ne bouge pas ! (note de lecture d’AP)



■ Voir | écouter aussi ▼

→ (sur Terres de femmes)
3 février 1984 | Lettre de Raphaële George à Jean-Louis Giovannoni (+ La Main de Raphaële George, par Jean-Louis Giovannoni)
→ (sur le site de la Maison des écrivains et de la littérature)
une notice bio-bibliographique sur Jean-Louis Giovannoni
→ (sur le site des éditions fissile)
une fiche sur Garder le mort de Jean-Louis Giovannoni
→ (sur Secousse-08)
un entretien de Jean-Louis Giovannoni avec Anne Segal & Gérard Cartier (novembre 2012)
le nouveau site|blog de Jean-Philippe Poli, auteur photographe





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Commentaires

  1. Avatar de christiane
    christiane

    Merci de donner plain chant à l’irréversible silence de la mort. Je vais en faire racines-mémoire pour aller au-delà des roses que je pose sur la tombe de ma mère quêtant sa présence, forant les années qui passent pour qu’elle me hisse hors de ma solitude écorchée.

  2. Avatar de Claudine Giovannoni

    Come per lei, Jean-Louis, la morte di mio padre ha rappresentato l’apice…
    una sorta di chimerica presenza, che ora mi accompagna, a volte leggiadra, altre goffa…
    ma non posso dire che sempre sia facile esprimere ciò che portiamo dentro!
    È stata una sorpresa, scoprirla, così senza pretesti, per mera casualità…
    Anch’io scrivo, ma mi definisco unicamente una « cittadina del mondo »
    ligia alla mia famiglia che mi vede mettere molti dei miei sogni, in secondo piano.
    Incantata, dal suo poeticare vero e profondo…
    Forse, utopico, non è solo il « cognome » che ci accomuna.
    Serenità
    Claudine Giovannoni

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