Danielle Fournier | Le chaos des flammes

«  Poésie d’un jour  »


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Source Ph. Pont des Chaînes, Budapest





tu pleurais au bout du fil
tu oubliais mon nom dans tes sanglots
tu pleurais le Danube
au-dessus du ciel
les mains sur des paumes chaudes
tu pleurais tes yeux endormis
dans un matin de novembre
avant la tombée de la nuit
attirée par l’oubli
déjà une absence sans nom

tu pleurais l’infini au ventre
cette unique ville d’eaux
où tu déposes ton monde
entre des rives
où l’île seule
te regarde à travers des fenêtres embuées



il me semble que je suis née par inadvertance. Non que je n’aie pas été désirée, mais je suis issue d’un accident sans habitude du monde.

découverte là, au centre de la terre, au milieu de toi, offerte, femme, homme, enfant. Je m’écarte avec tes mains, me laisse prendre, enfouie dans ta langue. Je me coule et me défais. De tous les mots, seuls les nôtres existent : je me perds enroulée à une histoire qui ni me commence ni me termine. Ainsi je goûte aux fruits exclus des corps, aux fruits portés en d’autres lieux, pendant ces brefs moments où l’écriture

c’est-à-dire que tu me laisses tomber. Je m’envole à toute allure pendant que ta joie me tient chaud et m’enroule autour de toi afin de ne pas être déchirée. Le vacarme ne cessera jamais. Tout est pourtant à sa place, comme tu l’exiges.
Tu te gonfles et je me mets à trembler

    tu me reprends sur le rebord arrondi du fauteuil


ce qu’on souhaite : que cela ne vienne pas autrement ou sous une autre forme que celle d’une caresse longue et humide, comme une langue qui va au sexe ou à la bouche en répétant ces mots maintes fois dits, mais dits encore et encore, dans le demi-jour de notre vérité. Qu’ils ne reviennent pas, ces fantômes et ces cadavres, ces autres spectres qui hantent les maisons et les corps

tu me possèdes, moi, terre ou peau, moi magnifiquement ouverte, tovább, a másik oldalon. Complices, nous transformerons l’espace. Et, toi, merveilleusement grand, je te convie à moi


Danielle Fournier, Le chaos des flammes in Poèmes perdus en Hongrie, VLB éditeur, Collection Poésie, dirigée par Simone Sauren, Montréal, 2002, pp. 115-116-117. Prix Alain-Grandbois.





DANIELLE FOURNIER


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Ph. © Josée Lambert
Source




■ Danielle Fournier
sur Terres de femmes

toi
ton prénom
Danielle Fournier | Luce Guilbaud, Iris (extrait)
Danielle Fournier | Luce Guilbaud [Dis-moi plutôt ce qui nous réunit](autre extrait d’Iris)
Danielle Fournier | Luce Guilbaud, Iris (note de lecture d’AP)
→ (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
Pas de mots dans les mots
→ (dans la galerie Visages de femmes)
un Portrait de Danielle Fournier (+ un poème extrait du recueil Il n’y a rien d’intact dans ma chair)



■ Voir aussi ▼

→ (sur L’île, l’infocentre littéraire des écrivains québécois) une
notice bio-bibliographique sur Danielle Fournier
→ (sur remue.net)
Rencontre avec Danielle Fournier (soirée enregistrée le 4 décembre 2012 à la Mairie du 2e arrondissement, Paris)





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Commentaires

  1. Avatar de Christiane
    Christiane

    Et qu’est-ce qu’on fait, là ? qu’est-ce qu’on peut écrire, là ? Est-ce qu’on doit écrire, là ?
    Je ne peux que « lire » cette écriture de l’intime et de la jouissance, « désirer » poser ces pages au milieu d’autres pages, dans les draps blancs des feuilles.

    P.S. Comment acheter les livres de Danielle Fournier en France ?

  2. Avatar de Alistrid
    Alistrid

    […]
    Des pas résonnent en écho dans la mémoire
    Le long du corridor que nous n’avons pas pris
    Vers la porte que nous n’avons jamais ouverte
    Sur le jardin de roses. Mes paroles font écho
    Ainsi, dans votre esprit.
             Mais à quelle fin
    Troublent-elles la poussière d’une coupe de roses,
    Qu’en sais-je ?
             D’autres échos
    Habitent le jardin. Les suivrons-nous ?
    Vite, dit l’oiseau, vite, trouve-les, trouve-les
    Au détour de l’allée. Par le premier portail,
    Dans notre premier monde, allons-nous suivre
    Le leurre de la grive ? […]

    Footfalls echo in the memory
    Down the passage which we did not take
    Towards the door we never opened
    Into the rose-garden. My words echo
    Thus, in your mind.
             But to what purpose
    Disturbing the dust on a bowl of rose-leaves
    I do not know.
             Other echoes
    Inhabit the garden. Shall we follow?
    Quick, said the bird, find them, find them,
    Round the corner. Through the first gate,
    Into our first world, shall we follow
    The deception of the thrush?

    T.S. Eliot, Burnt Norton (Four Quartets)(extrait)

  3. Avatar de Webmestre de TdF

    VLB Editeur et les éditions de l’Hexagone sont distribués au Canada par les messageries ADP (groupe Quebecor Media). Un accord de distribution ayant été passé entre Quebecor Media et Editis, il n’y a aucun problème pour trouver les ouvrages de Danielle Fournier dans les librairies parisiennes, encore moins quand elles se sont spécialisées dans le domaine de la poésie (comme Tschann par exemple…). Ses ouvrages sont aussi en vente sur les sites comme Amazon ou Alapage,… (attention toutefois à bien écrire Danielle Fournier et non pas Danièle Fournier…).
    Danielle Fournier était d’ailleurs présente au dernier Marché de la Poésie à Paris, où Angèle l’a rencontrée.

  4. Avatar de Angèle Paoli

    Que dire? A mon tour d’être clouée dans le silence par les mots-échos que vous me renvoyez toutes deux, Alistrid et Christiane.
    Impossible, en effet, d’aller au-delà de ce qu’écrit Danielle Fournier. Sa poésie est la plus étonnante, la plus charnelle qui soit, et la plus tendre aussi. Il faut oser pousser la porte et laisser la voix qui parle nous convier au plus intime de nos mémoires.

    Elle est attendrissante, Danielle, bouleversante même ! Avec ce rien d’irrésistible qui vous donne envie de la suivre à l’autre bout du monde.

  5. Avatar de Causeuse

    Je me souviens de ses souliers rouges…A Bron, dans la bibliothèque… Des souliers excessifs (?) et expressifs… comme un vif rouge à lèvres de femme… Et elle, grande flamme fine et ondulante, parfaitement présente, posée comme par erreur entre les aiguillées de mots. Eu envie de la lire, tout de suite… et peut-être même de déliter son vacarme docile dans les suites, par un simple sourire d’accueil et de considération. Une écriture de la passivité ostentatoire et interrogative ? Difficile à cerner… J’aurais pu ne pas vouloir l’écouter, je me connais… c’est si dur parfois, la langue des écorchés, besoin de remettre les peaux de pudeur dessus, d’adoucir l’image ou de la contourner tout doucement. Bien sûr depuis, elle est dans mes bribes, sur la Cause. Comment ne pas écouter les peaux brûlées par l’amour et ses injonctions contradictoires ? Silhouette à suivre…

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