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Tout a poussé, tout me submerge. L’herbe tremble sous la lumière. Le chêne fomente son labyrinthe, le ciel tombe derrière les collines. La beauté me sort des yeux. J’en ai plein la bouche. Mais quand je l’ouvre, si peu en sort :
― la… la… Ma main fait un geste évasif. Dans mon dos, des images cathodiques. Nettes, reconnaissables. Je sombre dans la non-image.
* À présent, je dis non ― Vraiment ? ― Vraiment. Non à ce oui où s’enlise le jour : même lumière, mêmes couleurs, même faux bien-être, même apparente transparence. Tout est là, trop à sa place pour être vrai. Chaque objet ― carafe, tasse, fauteuil ―, chaque chose ― montagne, chêne ― se referme sur sa propre suffisance. Plus rien ne circule qu’un petit air de déjà vu, déjà connu. Et quand je parle, même pipeau, mêmes crapauds, même voix toujours au bout du fil :
― Allo oui ? * Elle tend son pied, le regarde (bruit d’insectes et de mobylette). Son gros orteil pointe vers le ciel un peu gris de chaleur. (Des arbres, bien sûr, des herbes hautes, balancées).
― Une patte, pas un pied. Son index s’approche, touche la peau rose. Des moteurs circulent, invisibles parmi bourdonnements et roulades. Entre mes yeux et les choses, un vide sans espace ― une sorte d’attente inquiète où je me je tiens, sans savoir où.
― L’ailleurs est ici. La montagne fume. Le vent tourne les pages du journal. Main posée sur le pied elle voit ce que je voudrais voir. Je regarde, je ne vois que mon ombre.
* Un pas, un autre. Entre, l’élan qui me porte. L’ombre, la lumière, le blanc, le noir. Je marche, seul entre oui et non.
Jacques Ancet, L’Égarement, in Revue Nu(e), n° 37 Jacques Ancet, numéro coordonné par Serge Martin, septembre 2007, pp. 24-25.
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